Philippe Boisseau, inspecteur honoraire de l’Education Nationale, a récemment publié chez Retz un très intéressant « Enseigner la langue en maternelle » (SCEREN/RETZ). Le Café lui a demandé ses premières réactions à la lecture du très récent document d’accompagnement des programmes centré sur le « langage à l’école maternelle »
http://www.cndp.fr/doc_administrative/essentiel/b_le_langage_en_maternelle.pdf
Pouvez-vous nous donner vos premières impressions sur le document d’accompagnement sur le « langage en maternelle » qui vient enfin de sortir ?
Première impression, le document est beaucoup plus précis et opérationnel concernant l’entrée dans la lecture/écriture (en méthode syllabique, synthétique) que concernant l’apprentissage du langage oral.
Pour l’oral, les premières pages en particulier sont des développements abstraits, non concrétisés par des exemples de productions enfantines et qui seront probablement interprétés de diverses façons selon qui les lira. On ne peut pas faire des instructions sur le langage comme ça, il faut que le discours encadre quantité d’exemples de productions d’enfants, tangibles, réelles. Sinon elles ne servent à rien.
Vous trouvez que les recommandations sont mauvaises ?
Non, certaines affirmations sont utiles, notamment concernant les interactions adulte/enfant : « Favoriser le développement, c’est d’abord ne pas vouloir « forcer », assurer ce qui est accessible, c’est-à-dire juste un peu plus que l’état actuel »(p15) ou » L’enseignant fait jouer les reformulations pour fournir des modèles phonologiques corrects, pour enrichir le lexique et la syntaxe en apportant des termes précis et en proposant des phrases complètes et plus complexes. »(p18) Plus loin, on parle d’ « exigences croissantes dans les résultats attendus ».
Mais, par ailleurs, on affirme que « le langage ne peut être planifié »(p12), qu’il ne peut y avoir de « programme linéaire » dans ce domaine (p13). Il n’y a donc pas dans ce texte de programmation de la syntaxe (ni du vocabulaire) à conquérir tout au long de la maternelle, au regard de laquelle les « exigences » pourraient se préciser à chaque niveau : par exemple, diversification du jeu de pronoms dont dispose l’enfant, construction progressive de son système des temps, diversification de son jeu de prépositions, complexification progressive de ses structures syntaxiques. Les tableaux des p. 19 et 20 donnent des repères concernant le développement du langage mais sans les multiples exemples nécessaires pour rendre ces repères vraiment opérationnels.
Vous reprochez le manque de précision ?
Oui, le discours se disperse en un fatras d’activités, de projets et de tableaux sans qu’on sache jamais clairement ce que tout cela doit permettre de conquérir. On affirme la nécessité d’ « une évaluation qui se fonde sur des indicateurs précis » mais les « indicateurs de compétence » des tableaux sont du type : « faire interagir une marionnette avec une autre animée par un camarade » ou » défendre un point de vue dans un débat »… à travailler aussi bien en TPS, en PS, en MS et en GS (!!!) sans qu’on sache à quel niveau linguistique on jugera la compétence acquise pour telle ou telle section.
Ainsi, concernant la construction progressive du système temporel de l’enfant, on évoque « la frise du temps » mais sans dire quels temps elle permet de travailler. L’opposition intéressante « langage en situation » / « langage d’évocation » devrait dans ce domaine s’armer de repères syntaxiques : Système de base à 3 temps (Présent / Passé composé / Futur aller) pour le langage en situation (Je fais / Avant j’ai fait / Après je vais faire), contre l’alternance Imparfait / Passé composé pour le langage d’évocation…
Pour parvenir à travailler en groupe de langage, seule la classique organisation en ateliers est préconisée : « une organisation rigoureuse telle que l’enseignant puisse se consacrer à un groupe d’enfants sans être trop souvent requis par le reste de la classe qui doit être investi dans des tâches pertinentes, de formes variées qui incluent le jeu ». Or on sait que cette organisation n’assure pas la disponibilité mentale suffisante pour prendre en charge efficacement les enfants qui en ont le plus besoin.
D’autres organisations sont plus efficaces ?
Ont fait leurs preuves, par exemple le décloisonnement de toute l’école une ou deux fois par semaine avec de multiples intervenants agissant à hauteur de leurs compétences pédagogiques variées : enseignants, assistant d’éducation, Atsems, parents bénévoles, animateurs sportifs dans le cadre d’un CEL… qui assurent une bonne prise en charge de groupes de par exemple 6 enfants dont les 3 les plus en difficulté de telle classe. Ce supplément d’âme peut permettre aux enfants de 5 ans encore en grandes difficulté de sortir de l’ornière sur la durée de la GS.
Et pour le passage vers l’écrit ?
Le document est beaucoup plus précis et opérationnel concernant les acquisitions phonologiques, la découverte du principe alphabétique, l’entrée dans la lecture/écriture. On perçoit ici l’influence du ministre. Dès la p28, la « liste des compétences attendues en fin d’école maternelle » (extraite du document « Lire au CP ») est suffisamment variée, précise et fiable. Complétée par les développements de la fin (par exemple p99), elle met en place une démarche qui, à la fois, aide l’enfant à comprendre ce qu’est la lecture et amorce intelligemment son apprentissage en méthode syllabique, synthétique, tel que le souhaite le ministre.
Cependant, pour les acquisitions phonologiques, des pistes pourtant efficaces ne sont pas évoquées : rimes des comptines pour accélérer la différenciation des voyelles, jeux montés sur les paires distinctives pour accélérer celle des consonnes, par exemple la différenciation sourdes/sonores : f/v, s/z, p/b, t/d, k/g.. évoquée dans le texte.
La quantité de détails pratiques concernant le travail de l’écriture (p112…) est étonnante si on la compare à l’imprécision et au confus de tout ce qui concerne, en début de texte, l’apprentissage de l’oral !
Le document fait peu de place aux activités de catégorisation ou de métacognition. Cela vous semble-t-il faire défaut ?
Certainement. On aurait pu s’inspirer par exemple des travaux de Sylvie Cèbe (Cf Catégo, Hatier, 2002). Les 150 premières pages de mon livre sorti récemment chez Retz (Enseigner la langue orale en maternelle) proposent quantité de situations mais aussi des jeux de catégorisation (S17 p66,90,111,129), de dérivation (S19 p136), de définition (S20 p137). On en trouvera aussi en quantité dans « Pédagogie du langage pour les 5 ans » qui sort ces jours-ci au CRDP de Rouen.
Pouvez-vous citer une ou deux pistes sur lesquelles vous insistez dans votre ouvrage récent, qui pourraient compléter le document d’application ?
J’ai insisté en particulier sur les programmations, sur la nécessité de courir tout au long de la maternelle des objectifs syntaxiques clairs et de plus en plus ambitieux ( cf. la construction de la syntaxe p178…), de programmer le vocabulaire (750 mots à 3 ans / 1750 à 4 ans / 2500 à 5 ans cf. p 205…), d’accélérer la construction de l’articulation (cf. p 218…). Les objectifs linguistiques ainsi dégagés sont travaillés dans les multiples situations proposées dans la première moitié du livre (à travers les interactions adulte/enfant qu’elles permettent, les réitérations), à travers aussi des albums montés sur les photos des enfants en action (albums-échos), ainsi que des albums en syntaxe orale adaptée.
Philippe Boisseau
Propos recueillis par Patrick Picard