Elle s’appelle Véronique… Ou
Angélique, ou Nathalie… Peut importe, mais
l’histoire ci-dessous est rigoureusement vraie. Si le
Café vous la propose, ce n’est ni pour en faire un
martyr, ni un porte-drapeau. Véronique – ou Nathalie, ou
Angélique…- ne le souhaite pas. Mais si elle a
accepté de nous raconter son histoire, ce n’est pas pour
« chercher la pagaille », mais parce qu’elle refuse
de « se laisser manger tout cru (toute crue ?)»,
après l’intense campagne médiatique sur la
lecture.
En quoi est-elle concernée personnellement ? Tout
simplement, parce qu’elle vient de se faire inspecter. Et le
rapport est clair : il faut changer de pédagogie, ou
changer de classe. L’inspectrice a-t-elle évalué
le niveau scolaire de ses élèves comme
insuffisant ? A aucun moment. Mais son verdict est tombé
comme une gifle : le ministre l’a dit, un point, c’est tout. Et
on va voir ce qu’on va voir…
A la rentrée dernière, après sept
années d’exercice, Véronique est nommée
dans une nouvelle école. 5 classes, un recrutement
socialement hétérogène. Ce sera le CP,
pour la première fois. Elle doit choisir sa «
méthode », sans expérience
particulière, si ce n’est la chaleureuse collaboration
qu’elle a eu, l’année précédente, avec une
maîtresse « formidable », en ZEP,
réputée pour venir à bout des
élèves dont personne ne voulait plus, et leur
apprendre à lire au bout de 3 ou 4 mois malgré
leur passé difficile. Forte de ce compagnonnage
fructueux, elle se lance : ce sera, elle aussi, la «
méthode naturelle » de lecture. « Je ne
me considère pas comme une militante pédagogique,
mais j’avais eu l’expérience de ses élèves
mis en réussite par leurs productions d’écrits,
ça me semblait une piste à explorer, avec
humilité ».
Elle installe « tranquillement » sa classe, en
prenant le temps de s’organiser : pour les maths, un manuel
appuyé sur un fichier, pour ne pas avoir «
à tout inventer en même temps ». Elle met en
place ¾ d’heure quotidienne de «
différenciation », construit des plans de travail
individualisés, valorise les textes des
élèves. « Quand on ne sait pas lire
« merci », on va s’appuyer sur le « mer
» de mercredi, en fonction des rencontres faites dans les
textes ». Mais « pour se rassurer », elle
affiche scrupuleusement des listes de sons, avec les syllabes.
Elle compare la progression de la classe avec les
échelles de fréquences des sons, installe
systématiquement ce qui est le plus régulier.
« Le EUIL, ils l’ont vu dans fauteuil ».
Mais elle a acquis la conviction que ses élèves
installent les correspondances grapho-phonétiques
surtout dans l’écriture : « c’est là
qu’ils décomposent les phonèmes, qu’ils prennent
conscience, qu’ils utilisent les outils qu’on fabrique en
classe : pour le journal, pour leur cahier « Mes
histoires ».
Prévus dans le plan de travail, ces moments
d’écriture reviennent plusieurs fois par semaine.
« Je pense même qu’il faudrait que j’en fasse
tous les jours, mais c’est pas facile… Le temps…
». Elle croit aussi beaucoup aux
dictées-recherches, par deux, à partir des
phrases issues du corpus des textes de la classe : «
ils manipulent les graphèmes, doivent chercher les
informations, recopier sans se tromper. C’est ce qui leur
permet de prendre conscience de l’orthographe, de faire des
analogies ».
Alors, quand elle entend l’inspectrice, dans les
conférences pédagogiques, demander aux
enseignants de travailler la compréhension, de faire des
listes de mots… elle se sent rassurée :
« j’avais l’impression qu’elle décrivait ce que
je fais… ». D’autant plus que depuis sa sortie
de l’IUFM, il y a 7 ans, ses rencontres avec les conseillers
pédagogiques ont été plus que rares.
« C’est un boulot qui prend la tête, on en parle
avec les collègues. C’est vrai que je n’ai pas
forcément de point de référence. Je sais
ce qu’attend ma collègue de CE1, mais ce n’est pas
facile de discuter vraiment de la classe, des pratiques, c’est
plus difficile… Et dire ses difficultés, c’est le
plus dur… »
Alors, depuis que ses élèves ont
démarré la lecture, elle se sentait
rassurée. « Je n’ai pas la prétention de
dire que ce sont tous d’excellents élèves, ils
sont dans des facteurs de vie qui nous échappent
largement. Il n’y a rien de miraculeux. »
Les parents ? Ils se manifestent peu. « C’est vrai que
je n’ai rien fait de particulier, si ce n’est trois
réunions pour travailler surtout sur l’attitude
scolaire, le comportement. Il faut qu’on apprenne à se
connaître, c’est pas facile. La confiance vient petit
à petit. Certains venaient me faire part de leur
inquiétude, mais j’étais disponible, je les ai
toujours rencontrés. Je sentais bien quelques
incompréhensions, des difficultés pour savoir
comment ils pouvaient aider à la maison.
»
Le choc
Le choc de l’inspection n’en n’a été que plus
brutal. L’entretien est abrupt, même si la
référence au discours ministérielle est
tue : « Que comptez-vous faire pour la lecture
l’année prochaine ? ». Véronique a du
mal à discuter, l’entretien est très directif.
Aucun échange sur les côtés positifs des
pratiques mises en place, ou le niveau des
élèves.
Après le départ de l’inspectrice, c’est
l’abattement : « j’ai vraiment l’impression que je
fais mon travail sérieusement, et je me sens
complétement remise en cause sans discussion de fond
». Le rapport ne fait pas dans la dentelle : les
textes des enfants ne sont « pas assez riches »,
elle doit « organiser de manière
structurée et planifiée l’étude du code
». Pourtant, l’inspectrice cite un « travail
consciencieux », « le souci de la réussite
de tous les élèves » ou de «
réelles qualités relationnelles et
pédagogiques ». Mais ce qui compte, c’est la forme
de la méthode. Comme un a-priori qui ne se discute
pas.
C’est ce qui ulcère le plus Véronique :
« si on m’avait dit que mes élèves
étaient nuls, j’accepterais la discussion. Mais
là, c’est comme un délit d’opinion ».
Elle refuse qu’on lui impose sa façon de faire, alors
qu’elle respecte les programmes. « Ma collègue
d’avant travaillait à sa manière, c’était
son truc, elle était peut-être efficace. Je ne
juge pas les autres. Si on m’impose à travailler
à l’inverse de ce à quoi je crois, je serai
forcément moins efficace. J’ai une conception de
l’éducation, de ce que je veux transmettre en classe,
que l’écrit fasse sens, que les élèves s’y
retrouvent. Je ne vois pas ce qui est en contradiction avec les
instructions officielles. Et d’ailleurs, même la
dernière version de la circulaire du ministre est plus
ouverte là-dessus. »
Alors du coup, suivant les jours, Véronique oscille
entre deux attitudes : « Je me suis demandée si
je n’allais pas laisser tomber, prendre un CE2 qui se
libère dans l’école, ne pas affronter tout le
monde tambour battant ». Elle ne veut pas
appraître doctrinaire, trop sûre d’elle,
fermée à ces débats professionnels qu’elle
appelle de ses vœux.
« Mais si on ne reconnaît pas tout le boulot que
j’ai fait, c’est pas possible. ».
Propos recueillis par Patrick Picard
A travers cet exemple, une illustration de ce que seront sans
doute les prochaines semaines. Le ministère a
demandé aux inspecteurs d’organiser la rencontre de tous
les maîtres de CP. Quel sera le discours ?
Ici, un inspecteur général demande de rassurer
les troupes, de rappeler la continuité des efforts
à faire pour mieux mettre en œuvre tous les
domaines des programmes de 2002, d’insister sur l’aide à
donner pour compléter intelligemment les manuels.
Là, un inspecteur demande la mise au clou des manuels
litigieux, réclame de prendre contact avec les mairies
pour une grande mise en « conformité » des manuels
scolaires…
Et pendant ce temps-là, Anne-Marie Chartier,
spécialiste unanimement reconnue de l’histoire des
méthodes de lecture, s’échine à expliquer
qu’il est totalement illusoire d’imaginer un apprentissage de
la lecture hors de la logique du cycle… http://zep89.ouvaton.org/article.php3?id_article=74
Entre le caporalisme et le pilotage intelligent, les semaines
à venir risquent d’être décisives…
N’hésitez pas à envoyer vos témoignages au
Café…