Chassé croisé dans Le Monde. C’est en durcissant le ton que Gilles de Robien reprenait les arguments en faveur de la méthode syllabique déjà développés dans une récente tribune de Libération. « Il faut sans doute revenir sur l’idéologie selon laquelle l’élève doit « construire lui-même ses savoirs » et le professeur « se mettre à l’école de son élève ». Au nom de cette idéologie, on a déconsidéré les apprentissages élémentaires systématiques. Je crois profondément que les enseignants, et les instituteurs en particulier, ne se satisfont nullement de cette évolution, qui leur a été imposée au nom du « pédagogisme »…. Les travaux des chercheurs démontrent que les méthodes à départ global sont beaucoup moins efficaces que les méthodes à départ syllabique, et qu’elles sont même néfastes pour les enfants les plus fragiles. Elles expliquent en partie les difficultés que l’on observe chez les élèves qui ne savent pas lire en 6e ». Un pourcentage qu’il fixe à « 15 à 20% », très haut dessus des chiffres des chercheurs : 4% d’élèves en très grande difficulté…
De « simples » instits ont pris la peine de répondre au ministre. « Le ministre de l’éducation nationale affirme que l’école pourrait mieux réussir l’enseignement de la lecture ; nous le pensons aussi. Il considère qu’il n’y a pas de lecture maîtrisée si l’élève ne manipule pas avec aisance « les correspondances entre les lettres et les sons » ; nous aussi. Mais il y a différentes façons d’y parvenir, et notre expérience de plusieurs années de CP nous a appris qu’enseigner le « b.a.-ba » dès le début de septembre est loin d’être le procédé le plus efficace ».
Ces enseignants (Luc Bentz (école Pauline-Kergomard, 95 Sarcelles), Martine Castier (62 Helfaut), Annie Cobes (Ecole ouverte des Bourseaux, 95 St-Ouen-L’Aumône), Michel Colas (école Célestin-Freinet, 49 Saint-Lambert-du-Lattay), Sylvain Connac (Ecole coopérative, 34 Balard), Christian Deligne (école Pierre-Curie, 95 Pierrelaye), Catherine Foucher (école des Charruaud, 33 Libourne), Isabelle Lescouarch (école de Mont-Cauvaire, 76), Florence Suire (école des Boulingrins, 95 Vauréal), Danielle Thorel (école Hélène- Boucher, 59 Mons-en-Baroeul), précisent leur démarche. « Nous n’enseignons pas le « b.a.-ba » au début du CP. Nous ne pratiquons pas non plus ce que l’on dénomme « méthode globale ». Dès le début de l’année, en revanche, nous mettons à la disposition de nos élèves les outils qui les rendent progressivement autonomes dans l’écriture de textes dont ils sont les auteurs ».
Pour eux, « en rectifiant les programmes pour y énoncer l’obligation de pratiquer le « b.a.-ba » dès le début du CP, le ministre nous empêcherait d’emprunter cette voie originale et féconde qui vise à ce que les enfants s’approprient parallèlement la maîtrise des codes : le code grapho-phonologique certes, mais aussi le code orthographique, grâce auquel le lecteur repère plus directement le sens des mots (sept, cette, Sète, set) et leur rôle dans la phrase (Quand elles lui content des histoires, il est content). L’usage précoce du « b.a.-ba » conduit en effet de nombreux élèves à produire d’emblée l’écriture des mots « comme on les entend » (par ex. : jé fé un cado a ma seur) plutôt que d’utiliser les outils qui les aident à développer leurs connaissances orthographiques, indispensables à une lecture aisée et à la compréhension des textes. Si le ministre maintient son projet, nous serons contraints à la désobéissance pour pouvoir continuer à faire écrire les enfants, pratique pédagogique sur laquelle se fonde l’essentiel de leurs acquisitions en lecture ».
Sans doute ne seront-ils pas obligés d’aller jusque là. Malgré ses multiples déclarations dans les médias, le ministre a finalement revu son projet de programme dans un sens conforme aux prescriptions des chercheurs et contraire aux injonctions d’un certain G. de Robien. Le texte définitif sera étudié par le Conseil supérieur de l’éducation le 14 mars. D’ici là Mr le ministre a peut-être encore le temps de supplanter Dr Robien ?
Article du Monde
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Rappel : L’Expresso du 10 mars