Notes de Patrick Picard
C’était le 14 février dernier à Clermont-Ferrand. L’IUFM d’Auvergne invitait, dans une conférence publique, deux experts à faire le point sur l’état des savoirs concernant la lecture. Il faut croire que l’initiative était pertinente : plusieurs centaines de personnes ont du rester dehors, les deux amphis universitaires prévus pour accueillir les auditeurs se révélant trop petits. « On a envie de savoir ce qu’ils pensent de la polémique en cours » résume Martine, enseignante. « Et aussi de montrer par notre présence qu’on n’est pas d’accord avec les simplifications abusives qu’on nous assène », précise une voisine, conseillère pédagogique venue du Cantal aux côtés de son inspecteur…
Michel Fayol et Roland Goigoux vont rester loin des polémiques, même s’ils n’ont pas pris la même place dans les récents débats : Roland Goigoux a pris parti dans plusieurs appels publics, ce qui lui a valu de voir » reportée » son habituelle intervention devant les inspecteurs en formation. Quant à Michel Fayol, qui est resté à l’écart des pétitionnaires, il souhaite manifestement garder ses distances, y compris du ministre : il ne participe pas au séminaire national convoqué par M. De Robien pour mettre les inspecteurs en ordre de marche… ( * )
Le Café vous livre ci-dessous des extraits significatifs de la conférence, avec la difficulté de remettre en écrit un propos nécessairement oral…
Une partie des débats d’aujourd’hui n’existerait pas si on avait un peu plus de connaissance de l’histoire professionnelle… D’ailleurs, je parle ici sous le contrôle des anciens qui me corrigeront.
Si les questions sont aussi mal posées, c’est parce que les pratiques sont caricaturées, outrées. – Il n’y a pas de catastrophe en France sur le plan de la lecture. La France est moyenne, la situation ne se dégrade pas (ce qui ne veut pas dire qu’elle soit satisfaisante). Les données de l’administration et des chercheurs convergent : à l’entrée en 6e, 4 à 5 % des élèves ne savent pas lire, et 11% déchiffrent et comprennent les textes simples, mais ont de grosses difficultés dès que le texte s’allonge ou se complexifie. 15% sont donc hors d’état de profiter de la scolarité au collège. C’est un vrai problème, mais qu’il faut remettre à sa place.
Années 70 : la Nation assigne un nouvel objectif pour l’Ecole
- Revenons sur l’histoire du métier d’instituteur et ses techniques : les méthodes ont certes changé, mais d’abord sous l’influence politique des nouveaux objectifs assignés à l’école primaire. Anne-Marie Chartier, dans Le Débat, situe la première crise de la lecture au moment où, dans les années 70, le collège dit à l’école primaire que les élèves n’ont pas le savoir-lire attendu par le secondaire. Cette période de la massification (59-75) est celle où tous les élèves entrent en 6e, y compris ceux qui n’y entraient pas avant, même ceux qu’on ne présentait pas au certificat d’étude (près de 50% d’une classe d’âge n’obtenait pas ce diplôme). Il ne faut pas négliger non plus les effectifs chargés avec des classes de 35-40 élèves ni le recrutement massif d’enseignants sans formation. Et les échecs nombreux : en 1962, 42% des garçons redoublent le cours préparatoire !
- En effet, le savoir-lire du primaire ne correspond pas au savoir attendu au collège. La lecture du primaire est oralisée, collective, » expressive « , à haute voix, là où le collège attend une lecture silencieuse, autonome, flexible, pour que les enfants soient capables, seuls, d’apprendre des informations nouvelles du texte lu. C’est le niveau d’exigence du secondaire. On a vraiment une bascule, que décrit Lelièvre : une scolarité primaire, qui délivrait un viatique, un bagage pour toute une vie comprenant les connaissances pratiques utiles aux milieux populaires est transformée en propédeutique, c’est à dire en une préparation aux apprentissages ultérieurs, ceux du secondaire. C’est un changement d’objectif, lié à la massification (et non la démocratisation), qui sera réussie, mais dans laquelle l’école élémentaire va être investie d’une nouvelle mission qui l’amène à changer ses méthodes et ses techniques, traduitent dans les IO de 72, avec un plan de rénovation, qui ambitionne que tous les élèves atteignent un meilleur niveau scolaire. La première crise de la lecture est une » crise de croissance » comme le dit avec raison Jean Foucambert.
Des conséquences
Ce moment génère de multiples innovations techniques astucieuses, et d’autres qui s’avèrent erronées ou hasardeuses, qu’il faut savoir critiquer ou abandonner. Mais on ne se situe pas aujourd’hui dans cette perspective progressive, raisonnable, lorsqu’on se met à tout vouloir ramener à la situation d’avant 1970.
Les méthodes syllabiques de lecture de l’époque prennent en charge l’enseignement du déchiffrage, mais n’ont pas d’ambition culturelle. Or, pour accéder aux exigences culturelles du secondaire il faut que l’école primaire modifie son rapport à la culture écrite. Cet objectif va se mettre à irriguer les pratiques pédagogiques dans un souci de démocratisation :
– permettre une communication à distance, en l’absence de l’auteur,
– transmettre le patrimoine et les œuvres,
– lier écriture et lecture, production de texte, dictée à l’adulte, production de messages signifiants dès le plus jeune âge.
Bref, il s’agit de fabriquer une autre culture du livre, passant des livres sous clé dans les armoires aux BCD…
Le temps…
Mais derrière les ambitions (assigner au primaire une partie des fonctions de transmission jusque là dévolues aux familles bourgeoises), on se retrouve devant un problème : le temps, qui est la ressource la plus rare en pédagogie. Quand on passe du temps à enrichir la palette, il faut se poser la question de ce qu’il faut alors retirer. C’est à ce moment que les processus élémentaires, les mécanismes de base comme le déchiffrage passent un peu au second plan. Je pense qu’on a pu avoir un vrai problème de dosage, La décennie 90-2000 est selon moi celle qui a permis de retrouver un équilibre, de trouver un consensus, tel que rédigé en 2003 dans la conférence de consensus et en 2002 dans les programmes, plébiscités par les syndicats d’enseignants. Je pense qu’aujourd’hui, on est dans un équilibre qui est assez bon dans l’ensemble des classes françaises. C’est pour ces raisons que j’ai jugé inapproprié de tout vouloir bouleverser, comme si on était dans une situation catastrophique.
Interroger la secondarisation ?
Faut-il interroger la secondarisation du primaire avec certaines outrances dans les exigences littéraires assignées à l’école élémentaire ou les pratiques scolaires lettrées telles que les exposés ou les travaux autonomes en BCD qui ressemblent plus à des compétences d’étudiants que d’élèves de cycle II ou de cycle III ? Sans doute. Je pense qu’il faut travailler les réglages pour ne pas risquer des retours de bâton similaires dans quelques années sur l’ORL en cycle 3.
Prenons l’exemple de la lecture à haute voix. Sa critique était juste lorsqu’elle était l’alpha et l’oméga du temps d’apprentissage à l’école, chacun lisant à son tour dans un temps très peu productif. Accorder de l’importance à la lecture silencieuse et à la compréhension était évidemment nécessaire, pour favoriser la compréhension du texte dans son ensemble. Mais il était sans doute erroné de passer par perte et profit toute la lecture à haute voix qui a évidemment des vertus : segmentation de la chaîne écrite, automatisation des procédures de décodage, mise en scène…
Mais que se passe-t-il réellement dans les classes ?
Critiquer un fonctionnement » moyen » n’a pas de sens : là où les années 70 étaient encore très normées, une grande disparité s’est installée dans les pratiques des maîtres : les uns restent dans une pédagogie classique, d’autres essaient, tâtonnent avec plus ou moins de bonheur. Cela va provoquer des conflits identitaires que peuvent nous aider à décrypter les ergonomes : où est la norme ? où est l’identité ? Le « bien » et le « mal » ?
Les lieux de formation initiale vont se retrouver avec la mission déraisonnable d’apprendre aux jeunes ce que les vieux ne font pas, alors qu’il me semble qu’ils devraient être là pour transmettre et capitaliser les savoirs-faire les plus efficients et les mieux rôdés. Cette critique peut s’entendre, mais qu’on ne l’adresse pas uniquement aux IUFM : les » Ecoles Normales « , aujourd’hui parées de toutes les vertus, organisaient des stages de » recylage « , terme péjoratif, souvent culpabilisant pour les enseignants dont les erreurs linguistiques étaient dénoncées et les techniques dévalorisées. Ce n’est pas comme ça qu’on aide une profession à évoluer.
Déchiffrage et compréhension…
Comme certains élèves déchiffraient sans comprendre, certains ont cru qu’ils lisaient mal parce qu’ils décodaient. Ils ont pensé qu’on pouvait comprendre sans décoder, le lecteur » expert » étant celui qui savait lire sans décoder. C’était une erreur, aujourd’hui largement réglée, même si quelques très rares collègues y sont restés accrochés. Mais c’est à nous tous que ce bilan critique doit s’exercer sans amnésie : nombre d’entre nous, enseignants, moi le premier, inspecteurs et formateurs ont exploré des pistes en ce sens. Aujourd’hui, on sait que l’ensemble des instituteurs enseignent précocement les correspondances entre les lettres et les sons, 12 à 14 phonèmes dès le premier trimestre de l’année de CP. L’Inspection Générale, peu suspectée de sympathies globalistes, l’a une nouvelle fois établi dans un rapport en 2004, Arrêtons de nous faire peur avec ça.
D’autres malentendus ?
Dans le même ordre d’idée, les manuels, qui incarnaient le passé et les méthodes qu’on voulait remettre en cause, ont été souvent mis à l’index, en cherchant à s’adapter aux singularités des enfants. Mais les procédures ne changent pas d’une année à l’autre, et les enfants n’apprennent pas chacun avec une méthode singulière.
Et les manuels, qui ont aujourd’hui beaucoup évolué, sont un outil utile au maître qui ne peut tout réinventer seul, et permettre un dialogue simple avec les parents. Travailler sans manuel est évidemment possible, pourvu que le maître ait l’expérience nécessaire pour sécuriser les familles sur ce qui va se passer… et répondre à la question de savoir si l’apprentissage de l’enfant se déroule normalement ou pas.
Les programmes de 2002
Les programmes demandent d’enseigner les correspondances systématiques, organisées, permettant la synthèse. Mais ils ajoutent aussi une idée qui est en débat, y compris sur le plan scientifique : l’analyse des mots en unités plus petites. Lorsque vous demandez à des élèves de mémoriser des mots, par exemple son prénom, faut-il attendre Pâques pour leur apprendre Gilles ?
En apprenant Malika et Rudi, bien sûr qu’on va aider à l’analyse et à la synthèse de MARDI. Mais fait-on alors de la reconnaissance » globale » ? Non, bien sûr, il faut éviter ce malentendu.
Evidemment, si se contente d’en tracer le contour, la silhouette (logographique), ou de mémoriser en prélevant quelques indices partiels, on fait une erreur d’enseignant : le mot n’est pas mémorisé, tant qu’il n’a pas été identifié comme une suite ordonnée de lettres, dans une perspective analytique et orthographique. Il ne s’agit en rien de » global « , mais d’un traitement orthographique qui s’appuie sur la reconnaissance d’une suite de lettres. C’est cela qu’il faut enseigner, pour une véritable mise en mémoire, qui va permettre le travail d’analyse par segmentation d’unités analogues (le di de Rudi et mardi par exemple).
Mais sur 100 CP de ce département, je n’en connais pas un qui fasse mémoriser des silhouettes de mots comme on le raconte au journal télévisé de 20 heures.
« Lundi, j’ai trouvé un ours dans mon placard » : il le lit par cœur !
A force d’avoir déchiffré 10 ou 15 fois sa phrase de lecture, l’enfant peut certes savoir sa phrase « par cœur », et des parents non avertis se dire : » tiens, ils doivent lui faire la globale « … Alors, soyez professionnels : donnez aux parents le moyen de se rassurer, » dites lui de suivre avec le doigt la phrase que vous lisez, ou de dire le mot que vous avez sauté « . En vérifiant que leur enfant fait bien le lien entre la phrase et le code, en lui précisant bien que les devoirs doivent durer un temps bref… C’est le boulot des enseignants d’expliquer ça plus, et que ça désamorcerait des risques de malentendus. Tout se qui dépossède les parents de leur pouvoir d’agir avec leurs enfants est mauvais…
La syllabique n’a pas le monopole de la syllabe.
Je conteste l’approche syllabique stricte, parce qu’elle exclut l’analyse mais aussi parce qu’elle vide les textes de toute signification (Léa sort le cheval, Faro le mord, le cheval a mal, Léo lui parle fort, il file). Si on choisit que le O ne fera que le son O, on se prive de tellement de mots que ça donne des textes dérisoires…. Pourtant, les manuels actuels organisent un travail partant de l’oral, font un travail d’analyse phonologique, localisent les phonèmes ( » où entend-on OU dans MOUTON ? » et permettent de faire les relations entre ce qu’on entend et ce qu’on voit. Et sans doute que toutes les techniques du métier ne se valent pas, surtout si on ne se les échange pas…
Dans ce travail, la phase d’écriture est fondamentale, parce qu’elle permet d’encoder le son, de matérialiser par exemple les » petits mariages » entre le O et le U pour faire OU…
Appuyées sur des gammes où on va s’exercer systématiquement, ces pratiques vont être efficaces.
Toutes ces considérations sont déjà dans les programmes, aussi dans l’immense majorité des classes. En le redécrivant avec soin, peut-être pourrons nous rediscuter de manière moins passionnelle…
La recherche est loin de donner la clé des pratiques quotidiennes des enseignants. Mais l’évolution du champ des pratiques est aussi un gage pour le travail de la recherche, pour la mise en relation entre recherche et pratiques professionnelles. Voilà l’état d’esprit de cette conférence. Mais avant de tenter de dégager l’état actuel des recherches, je voudrais faire le détour d’un rappel historique.
Rappel historique
A la fin de la guerre, la pratique du BA-BA est conforme avec la vocation de l’école : dégager une élite restreinte et alphabétiser la grande partie de la population. A la fin des années 70, le boom des nouvelles générations et les nouveaux objectifs assignés à l’école font réfléchir à une nouvelle manière d’aborder la compréhension en lecture, devenant un support pour les apprentissages ultérieurs. On va tâtonner, et un certain nombre de pratiques nouvelles, pas très bien contrôlées, se mettent en place sur le territoire. Mais en France, on ne fait pas de pédagogie expérimentale, contrairement à d’autres pays : on improvise sans que l’institution même ait un contrôle. Les manuels deviennent des produits hybrides, influencés par plusieurs apports de recherches, ni proprement syllabiques, ni globaux. On est sur quelque chose qui est mouvant.
Où en est-on aujourd’hui, sur le plan de la recherche comme sur les utilisations pédagogiques disponibles pour les enseignants ?
Tentons une définition valable pour l’école élémentaire, qui nous permettrait d’évaluer la performance d’un élève de CM. Tout le monde est d’accord pour dire que l’objectif est la compréhension. Mais on parle d’une compréhension qui s’exerce sur l’écrit, même si elle est amodale : savoir lire, c’est savoir identifier et comprendre les mots écrits au point de pouvoir faire, à partir d’un message écrit, ce qu’on sait faire avec un message oral, c’est à dire le comprendre.
– Savoir lire nécessite de tenir compte de deux dimensions : la compréhension-interprétation, et l’identification des mots écrits. Aucune n’est suffisante, toutes deux sont nécessaires, et la difficulté est de coordonner les deux.
Pour l’identification des mots écrits, deux cas de figures sont possibles :
– le mot est déjà connu, fréquenté : on va pouvoir le reconnaître, d’autant plus rapidement que le mot est fréquent (ou fréquenté…). C’est un cycle à enclencher, la lecture s’améliore en lecture au fur et à mesure qu’on lit.
– Les mot est inconnu, ce qui est le cas le plus fréquent pour les enfants jeunes. Il va donc falloir le décomposer en » morceaux « , comme fait un adulte lorsqu’il rencontre un mot inconnu. L’un des grands problèmes est la nature de ces » petits morceaux « … On va élaborer des principes de transcodage entre l’oral et l’écrit, variables d’une culture à l’autre : dans quelques systèmes orthographiques, les unités sont syllabiques, ce qui entraîne une lourde charge pour la mise en mémoire : jusqu’à 3000 combinaisons possibles.
Notre système s’est basé sur la différenciation entre graphèmes et phonèmes, et ce n’est pas seulement des lettres et des sons… Dans » BALLON « , j’entends deux syllabes, mais aussi des phonèmes qui correspondent chacun à une (/b/, /a/) ou deux (/l/, ) lettres : les graphèmes…
Les élèves ont donc trois problèmes : comprendre, acquérir un système alphabétique et identifier les mots, et intégrer ces trois dimensions au cours de la lecture, de manière de plus en plus rapide et sans effort.
Au delà de la difficulté spécifique du moment de l’acquisition du principe alphabétique, le travail sur la compréhension se poursuit tout au long de la scolarité, d’abord sur l’oral, dans la famille et à l’école, puis sur l’écrit. Et c’est au cycle II, entre 6 et 8 ans, que se situe l’intégration entre les deux univers, celui de la compréhension jusqu’alors exercée à l’oral et celui de l’écrit, dans une phase spécifique du continuum. Une grande partie des débats sur la lecture se tient autour de la relation entre la compréhension et le code : comment faire pour essayer de tenir les deux ?
Le code…
Deux types de capacités sont à enseigner, l’une et l’autre : aucune n’est spontanée. La première, c’est le principe alphabétique. Ce serait simple, si on avait des systèmes orthographiques idéaux, qui associent toujours la lettre A avec le phonème [a]. Mais le premier problème vient avec les consonnes, entités abstraites non directement perceptibles, qui doivent être associées à une voyelle. Les enfants ne peuvent pas percevoir directement les consonnes, ils doivent apprendre à les construire, les discriminer, les catégoriser grâce à l’enseignement. Cela a l’air simple, mais c’est loin de l’être. Nos collègues de l’Université Libre de Bruxelles ont montré qu’au Japon, dans un système idéographique où ils avaient appris à lire sans décomposer la parole en » petits morceaux « , même les grands lettrés peinaient à segmenter ou identifier les phonèmes. Les enfants sont dans la même situation, ils doivent le construire, et l’école est là pour trouver les moyens d’intervenir pour éviter au maximum les risques dans l’acquisition du principe alphabétique.
Au cours des 20 dernières années, l’essentiel des recherches a porté sur cet aspect :
on a suivi des cohortes d’enfants dans plusieurs systèmes alphabétiques, et on a trouvé que les meilleurs prédicteurs de l’apprentissage de la lecture étaient :
– la conscience phonologique (syllabe, rime, puis phonème lorsqu’on sait déjà lire),
– la capacité de dire les noms et les sons des lettres,
– mais aussi la vitesse de dénomination (capacité à nommer rapidement la couleur de jetons proposés, par exemple)
On a donc suggéré :
– d’introduire en maternelle des entraînements à la conscience phonologique. Il ne s’agit pas là d’enseignement, mais d’activité régulières et systématiques qui permettent de réaliser qu’on peut décomposer un mot qu’on entend à l’oral.
– d’introduire ces activités plus intensivement en début de CP
– de s’attaquer à l’échec en lecture avec les 20% d’élèves les plus en échec, à les soumettre à des entraînements intensifs. Les expériences de Torgesen et Vellutino donnent des résultats tout à fait impressionnants.
Mais ça ne suffit pas…
Hélas, ça ne suffit pas en français, qui est une langue à système irrégulier, où un nombre non négligeable de mots ne se prononcent pas comme ils s’écrivent : plus de phonèmes que de lettres, et certains graphèmes qui correspondent à plusieurs phonèmes : « nous mentions » et « des mentions » !
Langues différentes, systèmes différents…
Entre les enfants des différents pays de l’Europe, il n’y a pratiquement pas de différences pour la performance dans la reconnaissance des lettres-sons. Mais quand on regarde la lecture des mots, tout change : quand les Espagnols et les Italiens sont à 95%, les Français sont à 79%, et les Anglais à 34%. Pour la lecture des pseudo-mots, les résultats des Anglais sont également inférieurs à 30%. Les systèmes orthographiques sont donc défavorables à l’anglais, et dans une moindre mesure au français, qui est en lecture proche de la régularité. On va donc être obligé de mémoriser des mots disons irréguliers : oignon, monsieur, femme… Même les adultes ont encore des difficultés avec ces mots » irréguliers » qu’ils sont obligés de mémoriser. Lorsqu’il écrit, le petit français est encore plus en difficulté, d’autant plus que s’y ajoutent encore les difficultés morphologiques…
Pour l’enseignement, cela va donc nous poser un nouveau problème. : est-ce que pour apprendre à lire « femme », il faut lui proposer tout de suite, ou est-ce qu’il va l’auto-apprendre ?
Si on fait lire à des CP, en janvier, des mots réguliers, des mots irréguliers et des pseudo-mots, on s’aperçoit que c’est, paradoxalement, l’entraînement à la lecture des mots réguliers et des pseudo-mots qui va amener les enfants à mémoriser des associations de lettres qui ne se prononcent pas, les amenant, pour la plupart, à mémoriser les mots, même irréguliers. C’est en lisant qu’on va se fabriquer au moins en partie un lexique orthographique, un capital d’associations entre des lettres qui ne se prononcent pas associées à des lettres qui se prononcent…
Cependant, un certain nombre d’enfants et d’adultes n’arrivent pas à mémoriser les mots. Le problème des « troubles » est en train de se déplacer, passant de l’idée de troubles d’apprentissages du principe alphabétique pour lesquels beaucoup a été fait, aux troubles dans l’apprentissage de la lecture fluide, sur laquelle nous ne savons pas grand chose.
Pour résumer, avant l’apprentissage, on a la connaissance des lettres et la conscience phonologique, qui pourraient être systématiquement enseignées avant le CP, pour permettre d’entrer, par la pratique de la lecture, dans le cycle de la connaissance orthographique, qui va se renforcer au fur et à mesure que la lecture va devenir de plus en plus fluide, et se mettre en relation avec la compréhension qui n’a jamais cessé d’évoluer de son côté, renforçant le lexique grâce à la fréquentation des mots écrits.
Ne pas oublier la culture
L’activité de lecture est une vraie activité, qui doit se pratiquer en tant que telle même si on doit aussi pratiquer des exercices spécifiques. Mais il ne faut pas oublier que l’activité de lecture fait beaucoup référence aux connaissances antérieures et à la culture. Les programmes de 2002 avaient bien vu qu’un des problèmes à anticiper dès la maternelle, c’est la différence de culture entre les enfants. Lire aux enfants des histoires, entrer dans une culture partagée, de manière à ce qu’ils soient capables de bénéficier non seulement de leur capacité à traiter le code, mais aussi de leurs connaissances culturelles.
Là où nous achoppons encore, c’est sur l’acquisition du lexique orthographique, sur lequel nous avons encore de grands progrès à faire.
Sur la formation à l’enseignement de la lecture, je pense qu’il faut un minimum de connaissance sur ce qu’est un phonème, comme sur ce qu’est un processus d’apprentissage. Former les maîtres à repérer le niveau de difficulté de ce qu’ils donnent à faire aux élèves, c’est déjà leur donner plus d’efficacité.
Si on veut dépassionner les débats, ça vaut la peine de s’interroger sur les aspects sur lesquels on n’a pas de réponse, et plutôt que d’apporter des réponses passionnelles, travailler à développer des travaux empiriques, par exemple sur la place à donner à l’écriture dans l’apprentissage. Il se pourrait que l’écriture soit un moteur pour l’apprentissage du principe alphabétique. Mais c’est encore un conditionnel à confronter sérieusement au réel.
* Michel Fayol nous demande d’insérer la précision suivante :
« Le cabinet du Ministre m’avait sollicité pour intervenir le 9 mars, et j’avais immédiatement accepté le principe de cette intervention. Malheureusement, une soutenance de thèse était déjà programmée ce même jour, cela depuis longtemps, thèse que je co-dirigeais avec mon collègue P. Bonin. Nous avons déplacé la soutenance du matin vers l’après-midi pour tenter de rendre compatibles la soutenance et l’intervention au ministère. Toutefois, les horaires des avions, ceux depuis Paris et ceux des membres du jury (Toulouse et Pays de Galles) n’ont pas permis de retenir cette organisation. J’ai donc renoncé à intervenir, et j’en ai informé le ministère. C’est alors que J-E. Gombert a été sollicité, ce qui lui a permis d’émettre des avis qui correspondent à ceux que j’aurais très certainement exprimés. En somme, il n’y a eu aucun refus de ma part de participer à cette réunion. Ce sont les circonstances qui ont rendu impossible ma participation. »
Page publiée le 23-02-2006