« Notre propos est de nous demander comment évoluent les modes de régulation institutionnels du système d’enseignement secondaire dans cinq pays européens (Angleterre, Belgique (Communauté française), France, Hongrie, Portugal). Plus précisément, nous nous demanderons si les politiques éducatives des vingt dernières années contribuent à construire une certaine convergence de ce point de vue ». Dans le numéro 49 des Cahiers de Recherche en éducation et formation, Christian Maroy, Girsef – Université Catholique de Louvain, étudie l’évolution des systèmes éducatifs européens pour dégager des convergences. Peut-on tirer de ces multiples transformations des directions qui permettraient d’affirmer que l’Europe s’engage vers une mutation de son modèle de gouvernance éducative ?
Christian Maroy constate que « la variété des pays et le nombre des pays touchés par ces réformes suggèrent que ces changements ne sont pas seulement conjoncturels mais qu’ils apparaissent comme les signes d’un changement de régime de régulation ». Il constate des évolutions convergentes entre pays européens : autonomie accrue des établissements, recherche d’un point d’équilibre entre centralisation et décentralisation, montée de l’évaluation externe des établissements, promotion du choix de l’école par les parents, diversification de l’offre scolaire et érosion de l’autonomie de l’enseignant.
Par conséquent, pour lui, le modèle « bureaucratico-professionnel », marqué par une standardisation élaborée par l’Etat accompagnée d’une large autonomie individuelle des enseignants mis en place dans les années soixante, est en train de s’effacer devant un nouveau modèle. Ou plutôt devant deux modèles de gouvernance « post-bureaucratiques » : la régulation par le quasi-marché et la gouvernance par les résultats.
« Tout se passe comme si les politiques éducatives tendaient, à des degrés et avec des temporalités variables à converger partiellement du point de vue des modèles de gouvernance et régulation qu’elles cherchent à installer. D’une part, certains traits partiels d’un Etat évaluateur tendent à se mettre en place et on assiste à un renforcement de la volonté d’évaluation, de contrôle, de suivi des Etats sur les « producteurs » (notamment les établissements et leurs agents) et les « produits » de leurs systèmes éducatifs (les acquisitions des élèves) notamment par le biais d’outils d’évaluation. D’autre part de façon beaucoup plus variable, des ingrédients d’un modèle de marché sont introduits par la promotion de dispositifs favorisant davantage le libre choix des usagers, plus rarement par la valorisation des vertus de la concurrence entre établissements scolaires. Enfin, par le renforcement de leur autonomie de gestion, les établissements sont appelés à se mobiliser pour améliorer leur fonctionnement ou leurs résultats, en réponse aux besoins divers de leurs usagers ou aux objectifs assignés par des autorités locales ou centrales de tutelle ».
Cette évolution vient de loin. « Plusieurs facteurs économiques, sociaux et culturels sous-tendent ces processus de convergence : montée de demandes croissantes de l’économie à l’égard de l’éducation, contexte politique néo-libéral, crise de légitimité de l’Etat-providence, inquiétudes et demandes sociales des classes moyennes à l’égard de l’éducation, et enfin, l’effet de contamination de modèles favorisés par divers acteurs et instances internationales ».
D’où pour C.Maroy deux interrogations : ces nouveaux modèles assurent-ils plus d’équité et d’efficacité ? Quelles conséquences ont-ils sur les acteurs du système éducatif ? Sur le premier point, il estime que « les résultats des recherches sur les incidences du quasi-marché restent cependant controversés : d’un côté nombre d’auteurs comme Lauder et Hughes (1999) et Gewirtz et alii (1995) concluent que le quasi-marché renforce les inégalités et les ségrégations scolaires, alors que Gorard et collègues (2003) affirment que la ségrégation scolaire ne s’est pas renforcée en Angleterre tout au long des années 90… Par contre, l’analyse de l’effet des dispositifs de l’Etat-évaluateur reste encore largement en friche pour ce qui concerne l’impact sur l’efficacité ou l’équité des systèmes ».
Sur le second point, on ne s’étonnera pas de retrouver une thèse déjà développée par C. Maroy : le nouveau mode de gouvernance complexifie le travail enseignant. « Plus largement, on peut se demander si cela ne diminue pas leur autonomie professionnelle et si un nouveau régime de « performativité » n’envahit pas le monde scolaire comme plus largement l’ensemble des politiques sociales de l’Etat. Dans un tel régime, comme l’avance Stephen Ball (2003), ces personnels sont soumis à plusieurs pressions nouvelles : tensions entre leurs éthiques humanistes et les attentes de résultats visibles attendus par les nouveaux dispositifs d’évaluation étatiques, orientation de leurs pratiques vers la production de « fabrications », d’artefacts qui justifient leurs actions, mais leur laissent un douloureux sentiment d’inauthenticité. Par ailleurs, ce sont aussi les fonctions de direction des établissements qui sont redéfinies dans une optique plus managériale, supposée améliorer l’efficacité et la pertinence des actions des établissements (Gewirtz, 2002) ».
Cette étude, qui paraît au moment où les choses s’accélèrent en France, permet d’appréhender plus globalement l’évolution du système éducatif. Il faut noter qu’en France on assiste en plus à une tentative d’inversion réactionnaire des pratiques pédagogiques. C’est très clair par exemple en ce qui concerne la lecture ou les zep. L’objectif ne semble pas être celui d’assurer plus d’équité et d’efficacité…
Etude (en pdf)
Rappel : une autre étude de C.Maroy
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