» Comment maintenir la foi dans la justice du mérite scolaire quand les méritants eux-mêmes finissent par perdre ? L’affirmation réitérée selon laquelle l’allongement des études et l’élévation du niveau de qualification scolaire sont un bien en soi repose à la fois sur des évidences et sur des illusions ». Les sociologues François Dubet et Marie Duru-Bellat partent en guerre contre la méritocratie scolaire dans un article du Monde qui annonce deux ouvrages qui vont compter : L’inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie de M. Duru-Bellat (Seuil) et Injustices. L’expérience des inégalités au travail de F. Dubet (également au Seuil).
» S’il est évident que chacun a intérêt à élever son niveau de diplôme, ne serait-ce que pour résister au déclassement, ce choix rationnel au niveau individuel entretient lui-même le déclassement général des diplômés au niveau collectif. Et, dans ce mécanisme, ce sont les plus faibles qui perdent le plus. Notre société a du mal à se défaire de l’illusion selon laquelle les diplômes pourraient se multiplier sans que leur relation à l’emploi n’évolue profondément ». Pour F. Dubet et M. Duru-Bellat, la qualification scolaire croissante des jeunes s’accompagne de leur déclassement.
Cette situation marque d’abord l’Ecole où elle génère le décrochage. » L’affirmation un peu rituelle et vaguement hypocrite selon laquelle les études paient toujours ne doit pas masquer le fait que le doute s’installe quant à l’utilité de ces études ». Socialement il durçit les oppositions et déplace les représentations. » Dans les classes moyennes, la peur de la chute se manifeste par des phénomènes de fermeture et d’évitement tout aussi marquants. Fermeture sur les avantages acquis et les statuts ». Politiquement, » l’emprise du déclassement et de la peur de tomber entraîne insensiblement une transformation des cadres de la représentation politique » coupant le pays entre ceux qui pensent tirer profit de la globalisation et les autres. C’est le mythe républicain lui-même qui est atteint. » Quelle croyance partagée peut remplacer la confiance dans le progrès quand les schémas hérités des Trente Glorieuses relèvent de l’illusion nostalgique ? Quelles sont les politiques sociales les plus justes possibles quand le déclin de la croissance conduit à partager des sacrifices et des pertes bien plus que des bénéfices ? Enfin, et la question irrigue désormais la totalité de nos débats, que sont la nation et la citoyenneté quand l’Etat et les classes dirigeantes nationales ne paraissent plus maîtriser l’avenir ? »
Cette perspective du déclin français doit-elle nous amener à chercher pour l’Ecole une autre justification que son utilité professionnelle ? Sans doute. L’Ecole a toujours transmis autre chose que des perspectives de réussite sociale. Mais on ne saurait se contenter d’une Ecole totalement détachée des besoins de la société. L’analyse du devenir de nos élèves, par exemple les travaux du Céreq, montre que, si les diplômes se sont effectivement globalement dévalués, le fossé reste grand en terme d’accès à l’emploi, de précarité et de rémunération entre les niveaux de qualification scolaire. Les entreprises exigent des qualifications croissantes et ce n’est pas toujours dû à une concurrence sur le marché de l’emploi : c’est aussi que tous les emplois sont affectés par l’évolution technique et sociale et nécessitent de nouvelles qualifications.
D’ailleurs, ce serait faire un contresens que croire que nos auteurs prêchent pour les sorties précoces du système scolaire et l’apprentissage à 14 ans. Reste la question du mythe fondateur collectif et de l’attitude face à l’avenir.
Article du Monde
Rappel : F Dubet dans Le Café 36
Rappel : M Duru-Bellat dans Le Café 5