Depuis 2005, dans le cadre de la loi de « Cohésion Sociale » (trivialement loi Borloo), le programme « Réussite Educative » vise à « accompagner dès la petite enfance des enfants et des adolescents présentant des signes de fragilité et des retards scolaires en cherchant à prendre en compte la globalité de leur environnement ». A ne pas confondre, malgré les termes, avec les « contrats de réussite éducative » ou aux « projets personnalisés de réussite éducative (ou scolaire) – PPRE ou PPRS- que la loi Fillon demande aux établissements scolaires de mettre en place dans les écoles…
Le Café Pédagogique a demandé à Claudine Paillard, Directrice Education Enfance de la Ville de Rennes, mais aussi responsable de l’ANDEV (Association Nationale des Directeurs à l’Education des Villes de France) son point de vue sur la situation. Elle insiste sur la nécessité de questionner les évidences : prendre en charge individuellement une famille est-il dissociable du traitement global des problèmes ?
Comment les villes ont-elles accueilli les « Projets Locaux de Réussite Educative » proposés par la loi Borloo ?
Les communes bousculées par les effets d’annonce et l’urgence des financements à utiliser ont dû boucler des dossiers très rapidement sans forcément pouvoir prendre le temps de la concertation nécessaire du fait de l’étendue du domaine concerné : secteurs éducatif, social et de santé. Les directeurs de l’éducation des villes, chargés d’élaborer le dispositif, n’en ont pas forcément la connaissance exhaustive.
Sans surprise, on constate donc que les dossiers déposés reposent souvent sur des diagnostics engagés dans d’autres cadres (projets éducatifs locaux, veille éducative, contrat de ville…) et ressemblent plutôt à une addition d’actions sans projet global et cohérent.
Il reste donc pour les communes qui s’y attèlent un long chemin à parcourir pour qu’il devienne opérationnel : ces nouvelles missions peuvent impliquer des changements d’affectations de personnels ou des recrutements sur des profils professionnels à construire. Il faudra aussi du temps pour que les actions prévues soient réellement intégrées dans le fonctionnement des réseaux professionnels pré-existants dans les quartiers. On ne pourra pas en tout état de cause, malgré les annonces ministérielles, obtenir des résultats concrets et évaluables d’ici la prochaine année budgétaire.
La note de cadrage publiée en 2005 par la Délégation Interministérielle à la Ville précise que les dispositifs de réussite éducative n’ont pas vocation à se substituer à ce qui existe : contrats éducatifs locaux (CEL), contrats locaux d’accompagnement à la scolarité (CLAS), veille éducative, contrats de réussite des réseaux d’éducation prioritaire (REP), contrats enfance, contrats temps libre, réseaux d’écoute, d’aide et d’appui des parents, ateliers santé ville… Quel est votre sentiment ?
Parallèlement à la mise en place des financements des PLRE les crédits du volet social des contrats de ville diminuent. Même si le ministère s’en défend, on se trouve bien dans le cadre d’un redéploiement d’un dispositif vers l’autre. Cette situation produit des tensions fortes entre les différents acteurs. Le PLRE semble signer l’abandon progressif de la politique sociale de la ville. Du côté des acteurs des contrats de ville, des associations concernées et parfois même des préfectures elles mêmes, les tentations sont fortes pour affecter les financements nouveaux sur des actions jusqu’à présent inscrites dans les contrats de ville et qui se trouvent désormais en panne de crédits malgré leurs bilans positifs, plutôt que de les orienter vers des actions nouvelles.
Donc, tout risque d’être comme avant, au final ?
On ne peut pas dire cela. La volonté de rupture du ministère de la ville et des représentants de l’Etat au niveau local avec l »esprit » contrat de ville est manifeste : le volet social des contrats de ville serait synonyme d’actions collectives et de prévention avec pour défaut majeur de présenter des résultats difficiles à mesurer et donc à vérifier……tandis que le PLRE, visant exclusivement l’action individuelle, plutôt curative, serait ainsi facilement -en apparence du moins- quantifiable et contrôlable.
L’analyse de la réalité de terrain résiste peu à cette dissociation. Action collective et individuelle sont nécessairement liées et plus souvent complémentaires qu’opposées. Ainsi par exemple, dans le domaine de la parentalité, présenté comme une priorité du dispositif, est-il possible de ne travailler dans une école qu’avec une seule catégorie de parents identifiée – et pour le moins ainsi stigmatisée -sans d’abord mettre en place des actions globales et collectives permettant de faciliter le contact école /parents ?
Pour la réussite de « chacun » (qui est évidemment l’objectif de toute action publique), est-il prioritaire de mettre en oeuvre des actions individuelles ou de favoriser la prise en charge collective ? C’est une vraie question pour ceux qui mettent en oeuvre les dispositifs.
Un dispositif pour partie redondant par rapport aux actions de droits commun
Vous semblez dire que les « remédiations individuelles » sont déjà présentes sur le terrain local ?
Absolument. Quels que soient les financements alloués aux PLRE, ils resteront relativement marginaux par rapport à l’ensemble de l’action éducative, sociale et médicale publique déjà conduite auprès des enfants et des jeunes par les institutions qui en ont la charge dans le cadre de leurs compétences.
C’est particulièrement criant dans le premier degré où l’intervention individuelle auprès des enfants en difficulté est déjà de la compétence de nombreux professionnels : personnels de RASED, Infirmières ou assistant sociaux, PMI. Il faudrait renforcer leur intervention, mais les moyens du PLRE ne permettront au mieux que d’engager des réponses précaires (vacations, contrats auprès de professions libérales de santés) sans rien changer, par exemple, aux moyens disponibles dans les services publics ou sociaux.
Nombre d’enseignants ont du mal à s’y retrouver, entre le PLRE de la loi Borloo et les divers « contrats de réussite » ou « PPRE » de la loi Fillon…
Les lignes de partage entre le dispositif de réussite éducative et le contrat individuel de réussite éducative prévu dans le projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’école restent à définir. Pourtant, on parle souvent des mêmes enfants. Nous aurions préféré que les dispositifs de réussite éducative visent à une action globale autour de l’enfant, et que les contrats de réussite soit un des leviers possibles à activer dans ce cadre. On le sait, cette distinction entre les temps de l’enfant entre temps scolaire et temps non scolaires (telle qu’elle apparaît dans les dispositifs d’aménagement des temps ou des rythmes et les contrats qui s’y référent) cache en fait une volonté d’identification, voire de séparation des pouvoirs et des responsabilités entre les institutions en charge des enfants – élèves. Pourtant, il n’y a pas l’Education Nationale contre le reste du monde. Par exemple, travailler sur l’accompagnement scolaire impose de réfléchir (et d’agir !) avec les enseignants, y compris parfois pour interroger le sens que chacun peut donner aux devoirs à la maison…
Il faut toujours, selon nous, privilégier une réflexion globale sur tous les temps de l’enfant.
Craignez vous la mise en place de nouvelles bureaucraties ?
Il est vrai que les représentants de l’Etat instructeurs des dossiers veillent à ce que les frais de structures et de coordination des PLRE soient les plus faibles possibles afin que les actions bénéficient vraiment directement aux enfants. C’est louable en soi, mais pas forcément aussi simple.
On souffre plutôt de l’éparpillement des acteurs que d’absence ou d’insuffisances d’interventions. La nécessité de trouver des pilotes de terrain pour coordonner les différentes interventions nous paraît patente.
La loi demande que les villes ne soient pas directement gestionnaires des crédits du PLRE, mais qu’on passe par les Caisses des Ecoles ou des Groupements d’Intérêt Publics (GIP) . Bonne ou mauvaise chose ?
Nous craignons plus de lourdeurs administratives qu’autre chose, du fait de la nécessité de modifier les statuts, par exemple, des Caisses des Ecoles.
Cette obligation parait plutôt refléter une volonté technocratique de formaliser le partenariat au niveau local, comme si celui ci ne pouvait pas s’organiser en dehors de toute structuration juridique. Elle manifeste aussi un réflexe de contrôle à priori de l’Etat qui souhaite là avoir une forme de regard nouveau sur l’utilisation des fonds publics par l’intermédiaire du conseil local de réussite éducative nommé à l’intérieur de ces structures, qui est composé essentiellement de membres qu’il désigne.
En conclusion ?
L’ANDEV, dès la mise en place des premières réflexions, s’interrogeait sur le contenu des PLRE et de leur articulation avec l’ensemble des autres dispositifs. On s’inquiète donc aujourd’hui de l’apport réel de ce dispositif pourtant annoncé à grand renfort de communication. Afin d’obtenir des résultats quantifiés rapidement, les budgets qui commencent à arriver doivent être consommés au plus vite et il est à craindre dans ce contexte qu’il en résulte surtout un saupoudrage financier vers des actions dont l’intérêt et la continuité n’est pas acquise.
Claudine Paillard
Entretien : Patrick Picard
L’Andev :
http://www.andev.com.fr/