« Il y a un aussi un large consensus parmi les scientifiques sur le fait que l’apprentissage des correspondances grapho-phonologiques doit démarrer dès le premier jour du CP… L’enseignement phonique systématique est plus efficace que l’enseignement phonique non systématique ou absent. L’enseignement phonique est plus efficace lorsqu’il démarre tôt (GSM ou CP) que lorsqu’il démarre après l’apprentissage de la lecture (CE1). L’enseignement phonique systématique est également supérieur à l’enseignement non phonique sur des mesures de compréhension en lecture ». Sur Education et Devenir, Franck Ramus (Cnrs) développe sa pensée, rapetissée par Le Figaro. Alors partisan de la « méthode syllabique » ?
C’est plus compliqué. « Si la phonique doit être présente dès le début de l’enseignement de la lecture, elle ne doit pas être seule; ce n’est qu’une composante parmi bien d’autres qui sont tout aussi nécessaires… Sur le fond, je ne suis pas un partisan de la méthode Boscher. Je pense que c’est une méthode qui marche bien avec beaucoup d’enfants (ceux qui ont déjà acquis tous les fondamentaux langagiers nécessaires), mais qui est insuffisante pour beaucoup d’autres, qui manquent de vocabulaire, de contact avec les livres, etc… En ce qui concerne Goigoux, il a effectué une des rares études francophones comparant rigoureusement l’efficacité d’une méthode idéovisuelle et d’une méthode phonique, et il a démontré la supériorité de la méthode phonique (appelée généralement syllabique en France). Les méthodes comparées n’étaient ni une méthode mixte, ni la méthode Boscher, ce qui souligne, je suis bien d’accord avec vous, la confusion qu’il y a à parler de méthodes globale et syllabique, chaque terme recouvrant des méthodes très variées. Malheureusement il ne m’a pas été possible de faire sortir la journaliste du Figaro de cette dichotomie, d’où certains raccourcis ».
Françoise Clerc (Université Lyon 2) nuance elle aussi le débat. « Il faut informer le public que la méthode globale inventée au 18ème siècle et largement réinterprétée par Freinet et Decroly, n’a plus d’adeptes. De même, il faut préciser que la méthode dite « syllabique » n’existe plus au sens strict du terme. Les enseignants ont de plus en plus tendance à déterminer leur propre démarche à partir de documents divers… Il est faux de dire que le décodage précède la compréhension dans l’ordre des acquisitions. En revanche, l’automatisation du décodage soulage le lecteur et lui permet de mieux consacrer ses ressources mentales à la compréhension. À l’inverse, la familiarité avec le sens facilite le décodage. C’est pourquoi l’apprentissage se fait généralement en conjuguant l’entraînement au décodage et l’élaboration du sens à partir d’un travail complexe, alternant des activités variées consacrées à la compréhension du texte mais aussi à la construction du sens… Le fameux débat sur la lecture parle d’une école qui n’existe plus que dans les souvenirs des adultes et dans les fantasmes des politiques ».
Pour Françoise Clerc, » le débat cache mal un enjeu idéologique qui en fin de compte conduit à rejeter la responsabilité de l’échec sur l’enfant et sur sa famille » .
Dans une contribution, Roland Goigoux (Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand) estime que « la lecture est une activité qui requiert simultanément une pluralité de connaissances et d’habiletés intellectuelles. Celles-ci doivent être toutes enseignées et exercées à l’école si l’on ne veut pas se résoudre à un échec précoce et cumulatif des élèves les moins sollicités et les moins instruits hors l’école. En d’autres termes, les recommandations adressées aux enseignants devraient insister sur « ce qu’ils n’ont pas le droit de ne pas enseigner ». Par exemple, ne pas exclure l’enseignement explicite des correspondances grapho-phonologiques, ne pas négliger les tâches d’écriture dès le début de l’apprentissage, ne pas remettre le travail d’enseignement de la compréhension à plus tard, ne pas réserver l’accès au livre aux seuls élèves capables de lire de manière autonome ou qui auraient fini leur travail avant les autres, etc. » Dans cette perspective, « l’effet-maître » lui paraît plus important que « l’effet-méthode ». « C’est pourquoi il est absurde, sur le plan politique, de rédiger dans la précipitation une nouvelle directive nécessairement en contradiction avec les programmes en vigueur : celle-ci ne peut que démobiliser les enseignants suspectés d’être des crétins ou des lâches. L’effet magique d’une circulaire capable à elle seule d’inverser les chiffres de l’illettrisme (selon les propos mêmes du ministre) stigmatise leur médiocrité antérieure, leur aveuglement, leur manque de bon sens et leur absence d’autonomie dans le travail ».
Sur le site d’Education et Devenir
Rappel : tribune de Jacques Bernardin dans le Café 68