Le ministre de l’éducation nationale insiste. « Je vais passer de la parole aux actes en envoyant cette semaine une circulaire aux enseignants » déclare-t-il à l’AFP. Et il condamne « méthode globale et assimilée ». Il annonce une réunion mardi 13 décembre avec l’Association des maires de France au sujet des manuels d’apprentissage de la lecture.
Cette insistance rencontre une incompréhension croissante. Dans La Croix, Bernard Gorce fait le point de l’interrogation des spécialistes. Ainsi Alain Bentolila explique : » le cours préparatoire est un moment important et la méthode d’apprentissage compte. Mais affirmer que le problème de la lecture se réduit à cela ressemble à un slogan pour brosser les parents dans le sens du poil ». Le ministre semble s’appuyer sur un rapport de l’Observatoire national de la lecture mais ses auteurs ne reconnaissent pas leurs conclusions dans les propos ministériels.
Le Café a publié le 12 décembre une tribune d’un membre de cet Observatoire; d’autres contributions d’enseignants nous sont parvenues. Les projets ministériels ne laissent pas les enseignants et les spécialistes de marbre. Vous trouverez ces contributions sur la page spéciale du Café. Ainsi Jackie Ferey, IEN, rappelle que » le Ministère de l’Education a lancé en 95 une vaste enquête en France pour déterminer l’efficacité des méthodes de lecture au CP. Celle-ci a conclu à une différence non significative, mais attribuant à l’équation personnelle du maître la différence des réussites de l’apprentissage (regard positif sur l’enfant, encouragement, aides personnalisées, bilans individuels des acquis…)….les méthodes sont renvoyées dos à dos ». Pour Evelyne Charmeux, chercheur en didactique de la lecture, » cette déclaration gouvernementale est, à coup sûr, la chose la plus bête, la plus ignorante, la plus honteuse donc pour des gens prétendument cultivés, qu’on ait pu dire depuis longtemps sur l’école et sur l’apprentissage de la lecture ».
Patrice Gourdet, enseignant formateur, en appelle à la responsabilité politique. « Pour finir, les déclarations du ministre laissent donc à penser qu’à tout moment l’institution peut réformer des programmes, imposer des interdits sur des méthodes d’apprentissage. Cette immédiateté de l’injonction est dangereuse. Les programmes, j’y reviens, se construisent dans le temps à travers des instances officielles qui privilégient les échanges, les débats, les réflexions. Ces instructions officielles engagent l’Etat sur un temps qui dépasse les durées des mandats électoraux, c’est une garantie pour la démocratie car le rapport entre l’école et la société est complexe, il a besoin de sérénité que ce temps lui offre. Ne pas respecter ce rapport au temps (« sous huit jours ! ») c’est mettre en danger l’école, la formation des enseignants, les réflexions pédagogiques mais aussi la relation de confiance indispensable entre les familles et l’institution. Comment expliquer aux parents que la méthode globale n’est plus pratiquée dans les classes (elle ne l’a jamais été réellement), comment les rassurer, comment leur dire que le manuel utilisé prend en compte la complexité et la diversité des entrées pour apprendre à lire, comment reconquérir une confiance primordiale alors que le ministre parle de nocivité, de danger et utilise même le terme de « criminel ». L’enseignant devient l’assassin, pourquoi le juger, condamnons le tout de suite ! » Le ministre serait-il allé vraiment trop loin ?