Patrick Picard
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Qu’est-ce qui peut imposer l’attention à une commission de 150 enseignants d’école jusqu’à 22h30, un vendredi après une moyenne de 500 kilomètres de voyage ? C’est Erick Prairat, philosophe, qui s’y colle en abordant les questions de discipline à l’école. Une réflexion prolongée par la conférence de L. Muchielli.
Notes de conférence de Patrick Picard, non relues par l’auteur
Eric Prairat : Questions de discipline
Les discours actuels sur la discipline sont contradictoires. Pour les parents, le critère de la discipline est important lorsqu’ils choisissent le collège. En 1994 déjà, une enquête auprès des jeunes enseignants montrait ce qui a été ensuite confirmé : c’est un souci majeur pour les enseignants. A l’inverse, certains discours tendraient à minimiser la place de la discipline, comme si c’était un thème secondaire. Evidemment, tout dépend de ce qu’on met derrière les mots. Michel Foucault décrivait magistralement dans » Surveiller et Punir » l’entreprise de dressage des corps.
Evidemment, on ne parle plus de cela en 2005. Définissons ce qu’elle est et ce qu’elle vise. Elle est l’ensemble des dispositifs et des règles de conduites établis en vue de garantir le fonctionnement normal dans une classe et dans un établissement. Elle permet, elle autorise. Elle vise à faire entrer chaque élève dans une culture de la responsabilité : sentir, puis comprendre qu’on doit répondre de nos actes et de leurs conséquences. Il faut se déprendre de l’idée négative qu’être discipliné serait être servile et obéissant. Dans une conception kantienne, être discipline, c’est se donner librement des règles de conduites et de valeurs. C’est la seule solution pour éviter le débat stérile entre libéralisme mou et retour aux vieilles valeurs.
De quoi parle-t-on quand on parle d’indiscipline ? En quoi est-elle une menace pour l’ordre scolaire ?
– Je parle bien d’indiscipline, et non de violence scolaire. Il n’y a que des violences, oublions l’adjectif scolaire. En revanche, on peut parler d’indiscipline scolaire : bruits de fonds, bavardage, chahuts, bousculades, la liste est longue… Pour une part, ces perturbations sont liées à la forme sociale de l’enseignement. Ne criminalisons pas des personnes et des situations. La violence est question de policiers et de juges, l’indiscipline est question de maîtres.
– Que peut-on exiger ? L’exigible disciplinaire et comportemental est devenu flou, flottant, mal défini. Certaines formes scolaires canoniques sont en voie de disparition, par exemple l’interrogation individuelle au tableau. Pas à cause d’une fatwa didactique, mais à cause d’une » situation sans précédent, devant commencer par créer les conditions qui rendent possible son fonctionnement même « , comme le disait Antoine Prost. Dans certains établissements, elle est même sans cesse à reconstruire, à rejouer, ce qui est terriblement usant pour le corps enseignant. La relation pédagogique devient instable, au sens chimiste du terme.
– Les phénomènes d’indiscipline ont changé de nature, passant de chahuts traditionnels (circonscrits dans le temps et l’espace, fortement ritualisés, participant même à l’intégration des règles scolaires) à des chahuts anomiques, c’est à dire chroniques, témoignant d’une perte du sens de la règle. L’indiscipline est un ensemble de comportements qui tendent moins à renverser l’ordre qu’à le diluer, à l’effacer.
– L’indiscipline fait souffrir psychiquement et psychologiquement les professeurs. Le médecin chef de la MGEN montre l’apparition du syndrome de burn-out, de sentiment de ne plus pouvoir faire face.
Coupables et victimes
Les enseignants le ressentent de manière ambivalente : coupable et victime tout à la fois. Coupable de ne pouvoir être assez professionnel, de ne pouvoir créer un rapport suffisamment fort avec les jeunes. Victime, parce que vécue comme une négation du cœur de l’identité professorale, l’exercice de l’autorité. La formation des maîtres doit enfin s’en emparer, en cessant de prendre la formation comme exclusivement didactique et disciplinaire, et en mettant en cœur de son projet l’exercice du métier, de la classe, de ce lieu où se construit l’identité enseignante et l’expérience scolaire de l’élève.
On peut risquer une typologie, même si elle est simplificatrice. Cela peut donner des outils pour agir. Et il ne faut surtout pas pour cela poser le critère de la forme d’indiscipline, mais de la fonction :
Le souci d’échapper, de fuir la tâche scolaire, jugée pénible, trop difficile, insignifiante. C’est la fonction de retrait.
L’obstruction : empêcher le déroulement du cours, pervertir les règles de communication, atteindre la fonction de l’enseignant, souvent en visant davantage le représentant de la communauté des adultes que la personne elle-même. Agitation, défi, contestation, provocation…
Contester pour dénoncer un cadre instauré sans le consentement du sujet adolescent : renégocier un cadre de travail pour imposer (renégocier) de nouvelles règles.
Eléments d’explication
On ne peut évidemment pas avancer de théorie globale, mais des facteurs qui interfèrent les uns sur les autres. Le primaire n’est pas le collège, ni le lycée. La taille des établissements, les modes de fonctionnement pédagogiques y interfèrent fortement.
La massification des années 60, avec l’arrivée progressive de la totalité d’une classe d’âge, induit une modification qualitative de la donne. Les établissements accueillent des publics démunis des manières d’être requises pour entrer dans la culture scolaire « . Ces » nouveaux lycéens, au sens donné par Dubet, ne possèdent pas les rites, les normes constitutives de la culture scolaire, et parasitent les activités scolaires par leur agitation chronique. On assiste du coup à une rupture de contrat : » si tu travailles bien, tu verras, tu auras… « . L’Ecole faisait cette promesse, mais aujourd’hui a plus de mal à la faire. Pour certains élèves, la valeur instrumentale de l’école baisse, dès lors que l’institution ne tient plus ses promesses. En chahutant le professeur, on chahute l’institution. On remarque que les cadets de fratrie chahutent davantage, quand ils voient leur grand frère leur faire signe qu’il n’a pas à attendre grand chose de l’école. Quand un jeune fait l’expérience d’un monde sans limite ni espérance, c’est un miracle s’il ne tombe pas dans la violence.
Certains enfants découvrent simplement à la maternelle qu’il y a des limites, un espace nécessaire entre toi et moi pour que tu puisses exister. L’effet de la crise socioéconomique sur les atmosphères familiales, où s’additionnent sentiment de dévalorisation, effets du chômage, les rendant » licenciés par la vie « … Je crois qu’il y a peu de famille démissionnaires, mais surtout des familles débordées, comme il y a des enseignants débordés. Même dans les classes moyennes, les familles se voient de moins en moins comme un maillon du travail éducatif, déléguant à l’associatif ou à l’école la responsabilité éducative.
Plus l’écart entre l’école et l’emploi devient grand, plus le monde du travail délégitime l’école.
L’importance excessive qu’a prise le jugement scolaire. Hier, il n’avait pas de signification au delà de l’école. Aujourd’hui, il ne suffit pas de réussir à l’école, il faut réussir mieux que les autres, comme le montrent le développement des officines parascolaires Le jugement scolaire signifie, par effet de loupe, qu’on n’a plus d’horizon social. Et du coup, c’est résister à l’imposition du jugement négatif. Laborit disait qu’en situation d’agression, le vivant n’avait comme solution que la soumission, la fuite ou la révolte. Dans l’école, on retrouve ces comportements : l’apathie, l’absentéisme et la révolte. L’élève en difficulté devient un élève difficile. C’est une manière de survivre à la violence symbolique de la sentence scolaire.
L’écart des valeurs entre celles prônées par la société et celles de l’école. Ce télescopage axiologique, ce conflit de valeur est patent. D’un côté, apologie du zapping, de l’autre côté, appel incessant à la lenteur, à l’effort, à la gratuité, au plaisir différé. L’école devient un lieu atypique, exigeant, trop pour certains.
La crise de la fonction symbolique dans les sociétés modernes : c’est l’affaiblissement de l’ensemble, de l’en même temps. On se décroche les uns des autres : repères affaiblis, perte des effets structurants de la règles. Il y a urgence à refaire de l’ensemble, de l’en-même-temps. » Gare aux éclats quand on dégoupille la fonction symbolique » disait Deligny.
Donc, qu’est-ce qui relève de l’école, et qu’est-ce qui n’en relève pas ?
L’école doit certes former le citoyen, mais elle ne peut prendre ne charge tous les mots : précarisation, incivilités. Elle ne peut panser toutes les blessures du social et la ségrégation urbaine, dont la carte se superpose avec celle de la violence, ou celle de la précarité. Il y a donc plusieurs niveaux de réponse : national, académique, local, intra-classe même.
Propositions
Il n’y pas de formule magique. Je resterai au niveau de la classe, celui qui engage le quotidien des professionnels.
Travailler à l’élaboration d’un contrat de vie et de travail clair et lisible. Le » règlement de classe » est nécessaire au fonctionnement de tout collectif d’individus appelés à vivre ensemble pour un temps long. Il y a de nombreuses manières d’y parvenir, dans les différents types de situation qui seront à l’œuvre en classe, la gestion du matériel, des déplacements… Il est bon qu’il y ait des obligations et des interdits, immédiatement lisibles. Mais il doit aussi être marqué par des droits, des licences, des possibilités. Un règlement doit pouvoir être lu, au plan symbolique, en évitant l’écueil de l’omnipotence comme celui de l’impotence.
Créer un temps d’institutionnalisation. La classe n’est pas simplement un groupe de travail, c’est un groupe de base, institué et instituant. Le conseil, l’espace temps où émerge le sujet autant que le temps social, permet les rituels, les prise de parole, dans un temps très délimité, solennel, dans lequel une classe s’explicite.
User de sanctions éducatives, en étant d’accord sur les finalités d’une sanction éducative : politique (réhabilité l’instance de la loi, et non celle du maître ou du CPE), éthique (apprendre à responsabiliser l’enfant en lui apprenant qu’il est responsable de ses actes), psychologique (une sanction est un coup d’arrêt, une limite dans un délire d’omnipotence). Si au moins les enseignants étaient d’accord et le disaient ainsi aux parents…
Introduire des rituels : les sociétés ont besoin de règles. On ne tient pas ensemble par la vertu du droit, mais aussi des rituels. Le » ça va, toi… Et toi, ça va… ? » permet la persistance du lien rituel, de la socialisation. La ritualité de l’école de la IIIe république est certes caduque, mais il faut en réinventer de nouvelles.
Utiliser des procédures pédagogiques impliquantes : si on veut que l’élève soit dans un double rapport d’altérité, à la fois à la Culture et à ses pairs, c’est la manière même d’organiser l’apprentissage qui est signifiante. La pédagogie différentiée, l’évaluation formative y contribuent indéniablement. Elles impliquent et elles positivent l’élève. Ce sont deux règles d’or du pédagogue moderne : proposer des entrées différentiées dans le savoir, et évaluer sans dévaluer.
Contractualiser certaines activités scolaires. Tout est négociable, dit Michel Develay, sauf les programmes et le rôle d’évaluateur du maître. Je retiens l’idée, même si je trouve le fond un peu dogmatique.
Permettre aux élèves de distinguer normativité et normalisation… Si on ne veut pas se soumettre à la normativité des maths ou de la langue française, on ne rentre pas dans les apprentissages, on n’arrive pas à dire ce qu’on pense. On prend du pouvoir en se soumettant. Parfois, les élèves n’y voient que le diktat du prof, l’injonction professorale. Je pense que c’est au cœur du travail de l’enseignant : faire le tri entre la violence symbolique du scolaire, et les normes sociales qui peuvent être discutables, négociables.
» Je voudrais conclure en disant que cet apprentissage autour de la discipline, c’est aussi le rapport de chacun à son propre pouvoir. Perrenoud citait les dix droits imprescriptifs de l’apprenant (droit de bouger, de ne pas être toujours attentif, de ne pas coopérer à son propre procès…) Dans une conférence, tout le monde signe. Mais dans la classe, on a beaucoup plus de mal… »
Erick Prairat a publié :
– Question de discipline à l’école (EJRES)
– De la déontologie enseignante (Puf)
– La sanction en éducation (Que-Sais-je, PUF)
Laurent Mucchielli : Violence et délinquance juvénile
Sociologue, travaillant sur les questions de délinquance au CNRS, enseignant à l’université de Versailles, cherchant dans les dossiers judiciaires le moyen d’arriver à entrer dans les histoires criminelles. Pour lui, il importe de résister à la pensée dominante qui voudrait que » tout foute le camp « . Illustrant son propos à travers sa connaissance de l’histoire judiciaire, il entend y trouver quelques outils pour ne pas se laisser aller aux paroles faciles… et aux actes dangereux.
Violences et délinquances juvéniles : représentations, faits et prises en charge
Pour introduire :
Il n’y a pas de comportements violents » en soi « . D’abord, parce qu’entre une insulte et un meurtre, il faut parler de choses précises, pour savoir de quoi on parle. Les enquêtes de » victimisation « , qui enquêtent sur le terrain, montrent que la moitié des 6% de gens qui répondent qu’ils ont subi une » agression » ont en fait subi des insultes. On glisse progressivement vers des logiques sécuritaires qui squizzent les dimensions sociales en ramenant tout à l’individu.
Aujourd’hui, la prévention est portée par le Ministère de l’Intérieur, en cherchant à » dépister » les individus qui risquent de devenir déviants. Les recherches de l’INSERM médicalisent les comportements, et c’est une déviance grave. Les intellectuels et les politiques ne nous aident pas lorsqu’ils renoncent à penser le collectif en ne voyant plus que la responsabilité » individuelle » de chacun dans une logique psychologique, voire biologique.
Les enseignants, parce qu’ils sont au centre du problème, sont un maillon très important pour résister à ces concepts médicaux qu’il faut garder pour les souris.
Pourquoi avons nous si peur de la violence des jeunes ?
Au fil du temps, c’est presque un système de pensée qui s’est imposé, qui a une logique propre, dans lequel nous baignons. Essayons d’isoler des segments de ce discours pour voir en quoi il fait réseau…
– « Ils sont de plus en plus jeunes, et de plus en plus violents ».
– « Ils sont totalement désocialisés et sans repères »
– « Après avoir saturé les villes, ils menacent désormais les campagnes » : la délinquance se répand, comme par contagion.
– « Avant, ce n’était que les garçons, maintenant, les filles s’y mettent ». Pourtant, les statistiques montrent que la proportion garçon/fille ne change pas.
– « C’est la faute aux parents qui sont démissionnaires, à l’école qui ne fait plus son boulot ».
– « Si la justice était moins laxiste… »
– « C’est bien la preuve que la prévention, qu’on met en place depuis 30 ans, ça ne marche pas, comme ne marche pas l’intégration… « . Sous-entendu, il faut faire autre chose pour pallier cette dilution des institutions…
Mais en quoi ce » tout fout le camp » dépasse le Café du Commerce ? Je vous invite à ne pas vous satisfaire de cette bouillie pour chat, de cette vision décadentiste du monde, qui certes marche très bien, mais nous mène tout droit au populisme.
Le rôle des médias n’est pas à sous-estimer, dans la chasse au scoop et à la surenchère à laquelle ils se livrent : c’est parce que les intérêts des bandes de jeunes et des journalistes se sont rencontrés que c’est institutionnalisé l’habitude des » cramages » de voitures de la St Sylvestre à Strasbourg, devenant événement médiatique national.
L’univers des discours politiques a vécu une évolution forte, avec la fin des discours clivés entre droite et gauche. L’uniformisation du discours politique autour du » bloc central » des partis de gouvernements rapproche les discours entre le PS et l’UMP, avec son corollaire des radicalités déplacées aux deux extrêmes (gauche et droite) du bloc central.
Des lobbys se sont renforcés, intéressés par ce discours. Ainsi, le syndicat des commissaires de police et des hauts fonctionnaires s’ingénie à renforcer ce discours. Mais le thème de la sécurité devient aussi un support de revendication professionnelle : c’est le prisme à travers lequel s’exprime nos inquiétudes sur les évolutions de notre temps. L’agression d’un personnel devient le vecteur numéro un d’une grève à la RATP. Dans l’éducation nationale, un fait divers, même exceptionnel ou dramatique, devient le support de la revendication.
Que peut-on observer dans les évolutions ?
Un symptôme parmi d’autres : au cours des 20 dernières années, et pour la première fois, la courbe des suicides ne culmine plus chez les vieux, mais montre un pic impressionnant chez les jeunes de 30 ans.
Ne soyons pas amnésiques : on ne connaît pas de société qui n’ait pas connu de délinquance juvénile. Dans les dernières décennies, on a déjà vu se conjuguer la mayonnaise liant les faits de délinquance juvénile, une mise en scène médiatique et une récupération politique :
– les Apaches du début du XXe siècle (1905-1910) alimentés par la presse populaire qui jouait le rôle de média de masse, dans un contexte de fort débat sur la peine de mort, dans un contexte de migration forte vers les villes dans un cadre de crise économique
– les » bandes de jeunes en blousons noirs » dans les années 50/60, au moment de l’apparition des grandes barre urbaines, le » mal de vivre » d’une société qui se cherche, conjugué aux conséquences de l’arrivée à l’adolescence des enfants du » baby boom « , alors que les politiques s’insurgent contre l’augmentation des taux divorces et l’apparition des femmes sur le marché de l’emploi… C’est la » famille qui fout le camp » avec l’apparition du Rock’n’Roll, que Maurice Papon, alors préfet de Police, demande d’interdire. On voit bien le parallèle avec ce qu’on voit aujourd’hui sur le Rap… A l’époque, le centre de recherche de Vaucresson, centre de formation des éducateurs qui deviendront la PJJ, montre qu’on leur reproche surtout d’être en bandes rivales, défendant leur territoire, masculine, cultivant des valeurs machistes, consommant beaucoup d’alcool. On leur reproche d’être des Vandales, recourant à la violence » gratuite » (alors que toute action a toujours un mobile), des voleurs qui cherchent à s’accaparer des biens de consommation pour jouissance immédiate. Mais on leur reproche aussi d’être des auteurs de viols collectifs, ce que tout le monde oublie aujourd’hui en laissant croire que les » tournantes » seraient une nouveauté liée aux musulmans mal intégrés…
Pour autant, je ne veux pas dire que rien ne change. L’apparition des drogues est sans doute la différence essentielle (entre 3 et 8 millions de consommateurs, 80 000 poursuites par an, avec une politique particulièrement prohibitive qui ressemble à celle de l’autruche). C’est un business qui rapporte, qui renforce encore des trajectoires marginalisées dans les classes populaires exclues de l’école (les classes moyennes consomment au moins autant, mais ne remplissent pas les prétoires…), qui permet de penser jouir de la vie ou d’avoir un avenir immédiat.
Mais le vol de biens de consommation (surtout ceux vendus aux adolescents) et le vandalisme représentent les ¾ des infractions. Rien de nouveau dans ce » bonheur d’avoir » et l’envie de paraître, directement proportionnel avec le manque de moyen d’assurer de l’estime de soi dans la tradition familiale, le manque de statut ou l’avenir professionnel, signe de grandes fragilités narcissiques.
Quels paramètres pour l’inscription dans un destin social ?
Lorsque Jospin s’excuse à la fin de la campagne présidentielle » d’avoir pensé que la baisse du chômage ferait baisser la délinquance « , il fait un contresens grave : le chômage, comme la délinquance, n’est pas uniforme. Il y a DES chômages, avec des variations importantes selon les milieux, les âges. Lorsqu’on dit que le taux de chômage est à 10%, celui des jeunes entre 16 et 30 ans sans diplôme, de père ouvrier, est de 50%. Ajoutez-y la couleur de la peau, et vous comprenez qu’il est chronique que plus de la moitié des jeunes sont au chômage. Comment parler du business de la drogue sans parler de ça ? Y compris l’éducateur qui veut » faire construire un projet » ne peut répondre à la demande de » réussir sa vie » (famille, maison, et travail). C’est parce qu’ils savent qu’ils ne vont pas y arriver que tout discours moralisateur ne peut pas marcher.
Famille, école, quartier sont les trois grandes variables qui pèsent sur le devenir social du jeune.
Selon que la famille abîme beaucoup ou pas, ce sont les autres paramètres qui jouent. Certains individus sont marqués par des problèmes psychologiques propres, très tôt. Mais ils sont l’exception. La grande majorité statistique commence à la pré-adolescence. Ils n’ont pas fait de bêtise avant et n’ont pas de famille particulièrement cassée. C’est donc leur rapport aux quartier, à la bande, ou à l’école, qui devient premier, avec les dimensions de jeu, de défi. Mais après cette phase où beaucoup font des bêtises (3/4 fraudent dans les bus), un autre tournant arrive, au moment du partage entre ceux qui vont arrêter, et ceux qui vont s’enfoncer dedans et entrer dans un » style de vie délinquant « . Cela correspond grossièrement avec le partage qui s’opère dans l’école, entre ceux qui sortent de l’école (ou sont dans des filières déqualifiées) et ceux qui restent. L’exclusion scolaire est le point commun de tous ceux qui deviendront les » délinquants « .
Mais pour reprendre les points que j’évoquais au début de mon propos, ils ne sont pas « délinquants » plus jeunes qu’avant, les études le prouvent. D’ailleurs, les grandes étapes de la psychologie de l’enfant ne bougent pas… Par contre, ils peuvent être plus concentrés dans des ghettos urbains, dans une société qui sépare les riches des pauvres…
Le site de L. Muchielli :
http://laurent.mucchielli.free.fr/