» Tour d’horizon saisissant ! : parcouru du ministre à l’élève, comme nous venons de le faire, à la recherche de cet introuvable objet, le système éducatif français s’intéresse, en 2005, d’une façon bien imparfaite et aléatoire à ce qui justifie aussi bien son existence que le fait que l’État lui consacre près du quart de ses ressources : les acquis des élèves qui le fréquentent… L’idée défendue ici est que les acteurs du système sont trop éloignés aujourd’hui, dans leurs habitus et dans leur conception implicite de l’école, d’une considération suffisante portée aux apprentissages et aux acquis des élèves pour que, si on ne prend pas soin de réfléchir aux conditions d’une révolution scolaire, les nouvelles entreprises d’évaluation et de mesure se traduisent par une efficacité accrue de l’ensemble. Ni la méthode de la LOLF, ni les préconisations générales de la Loi ne seront autre chose qu’une machinerie bureaucratique, mobilisant les énergies à seule fin de rendre des comptes et de tenir des tableaux de bord, si on ne se préoccupe pas d’abord de faire évoluer l’entreprise d’éducation vers un nouveau paradigme pédagogique… L’école, en France, depuis longtemps n’est pas au clair, comme elle a pu l’être dans le passé ou comme le sont les écoles de certains pays, sur les rapports entre la prescription nationale des programmes et la réalité des apprentissages et des acquis des élèves… Le temps semble urgent, dans un contexte général qui fait parfois douter l’école d’elle-même, de reprendre la question et de lui rendre tout motif de croire en elle en l’assurant mieux sur la construction, le suivi, la mesure et la certification de ce qu’elle enseigne ». Le rapport de l’Inspection générale et de l’IGAEN piloté par Anne-Marie Bardi et Roger-François Gauthier, avec les inspecteurs Myriem Bouzaher, Annie Dyckmans, Alain Houchot, Michel Leblanc, Pierre Malléus, Christiane Menasseyre, Alain-Marie Bassy, Jean Vogler et Claude Sage, sur « les acquis des élèves » appelle à rien moins qu’à une « révolution des références de l’école ».
C’est que le moment paraît choisi pour impulser des changements : la loi organique relative à la loi de finances demande aux administrations de rendre des comptes précis de l’argent des contribuables. La loi Fillon invite le futur Haut conseil de l’éducation à élaborer des outils d’évaluation de l’Ecole. En France, comme dans les autres pays développés, on voit se mettre en place un pilotage par les résultats, à l’image de ce que la loi No Child Left Behind a impulsé aux Etats-Unis. Enfin le « socle commun » prévu par la loi Fillon exigera un contrôle des compétences des élèves.
Or, en France, les outils actuels ne permettent pas de connaître les acquis des élèves, affirme le rapport. » Au niveau national, la culture de l’évaluation tarde à s’enraciner… Les outils ne manquent pas. Ils sont au contraire pléthore. Mais certains sont trop rudimentaires pour permettre d’apprécier les acquis des élèves. D’autres, plus pointus et sans doute plus adaptés, sont, en matière de pilotage, peu utilisés ». Au niveau des enseignants, » si l’on constate que la très grande majorité des enseignants sont capables d’évaluer précisément les capacités et le niveau de chacun de leurs élèves, ils ont souvent du mal à traduire cette appréciation de manière fine en termes d’acquis, à l’expliciter et à la faire remonter vers la communauté éducative comme à la faire redescendre à l’élève et à sa famille. La conversion de toute évaluation en note et, dans certains établissements, le compactage en « note moyenne » par discipline sur le bulletin trimestriel de toutes les notes obtenues par l’élève au cours du trimestre… réduisent considérablement la précision de l’analyse des acquis et des manques ». Le rapport souligne l’absence de réflexion et même d’information des enseignants sur l’évaluation au niveau de chaque établissement et le culte de la moyenne, « spécificité française », qui empêche une estimation fine des compétences et des acquis. Seule la voie professionnelle semble avoir progressé sur ce terrain. Les programmes eux-mêmes donnent peu d’indications sur ce qu’apprennent les élèves : leur rédaction n’est pas toujours cohérente d’un niveau à l’autre et leur application varie d’un enseignant à l’autre. Résultat : » l’institution est-elle le plus souvent impuissante à rendre compte avec précision aux élèves et à leur famille de la réalité des savoirs ou des savoir-faire acquis comme des progrès accomplis dans leur apprentissage ».
Aussi le rapport préconise-t-il des changements importants dans les programmes, les examens et les pratiques enseignantes. Ainsi il souhaite « diversifier les formes d’épreuves afin d’améliorer la cohérence des évaluations avec les objectifs des programmes ». On est loin des projets Fillon qui supprimaient les TPE au bac et se contentaient de limiter le nombre des épreuves sans chercher à évaluer autrement.
Mais c’est surtout un changement dans les pratiques pédagogiques que vise le rapport. Et il propose des recommandations précises. Pour « conduire les maîtres à concevoir l’évaluation… comme un objet essentiel d’exercice d leur responsabilité professionnelle », il envisage de » demander à chaque enseignant d’élaborer un document d’analyse et de réflexion pluriannuel décrivant ses stratégies pour faire progresser ses élèves et analysant les résultats ainsi obtenus » et de » proscrire tout calcul de moyenne entre notes à statut différent afin que le recentrage sur les acquis des élèves soit clair à l’ensemble des acteurs. Substituer aux divers bulletins trimestriels et dossiers à constituer pour chaque examen ou inscription, un livret scolaire unique se constituant tout au long de la scolarité et portant sur l’atteinte des acquis prévus par les programmes (et non sur la personne), outil qui sera aussi bien celui de l’élève que celui de l’institution ». Cela permettra de suivre l’acquisition des compétences de chaque élève et d’informer les familles des points à consolider ou à acquérir. Il s’agit d’ » informer et responsabiliser les élèves. Valoriser leurs essais en donnant à l’erreur son juste statut. Favoriser l’autoévaluation grâce à l’explicitation des objectifs et à la fourniture d’outils. Guider les élèves dans la constitution d’un portfolio individuel rassemblant au cours de la scolarité les traces des productions les plus remarquables ».
Portfolio, évaluation des compétences, évaluation croisée entre disciplines, transmission aux familles des bilans : des pas avaient été faits ces dernières années dans cette direction au lycée grâce aux modules. Jusqu’à ce que Luc Ferry puis François Fillon recadrent leur esprit et suppriment l’évaluation nationale et ses outils. Il faut souhaiter que ce rapport percutant et stimulant connaisse un autre sort et que le pilotage par les acquis ne devienne pas, comme c’est le cas parfois ailleurs, un simple pilotage par les statistiques aggravant les inégalités et les exclusions.
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/acquis_des_eleves.pdf
http://www.adobe.fr/products/acrobat/readstep2.html