Peu d’enquêtes sérieuses sur le développement des pratiques dans les écoles. Afin de sonder le réel, le Café a plongé son regard dans une ville moyenne, Auxerre, où des efforts importants sont faits pour équiper les écoles. Et dans les classes, qu’est-ce que ça donne ?
Initié par la municipalité précédente (d’un bord politique opposé), le plan d’informatisation des écoles arrive dans sa phase visible : 250 machines sont arrivées dans les écoles, l’ADSL est branché, et les réseaux sont en cours de finalisation. Budget : 600 000 euros. Et 40 000 chaque année en frais de renouvellement.
Pour Claude Delagoutte, personne-ressource informatique sur la circonscription, « c’est la première fois de ma carrière que je vois un projet démarré qui va jusqu’au bout. L’investissement de la ville a été efficace, d’autant plus qu’ils ont tenu compte des demandes faites par chaque école : certes, au sein de certaines écoles, la communication n’est peut-être pas toujours descendue jusqu’aux collègues, surtout avec les quelques directeurs qui ne se sentaient que peu concernés. Dans ces écoles, on a juste demandé une machine pour la direction, auquel les élèves n’ont pas forcément accès.
Mais dans l’ensemble, on a tenté du sur-mesure : chaque directeur a été rencontré, afin qu’il exprime ses besoins. Ici, on a demandé des machines dans chaque classe. Ailleurs, le choix s’est porté sur une salle dédiée. Dans les quartiers plus sensibles, la sécurisation rendue nécessaire a fait pencher la balance vers des salles spécifiques, protégées et sous alarme. »
Conséquence imprévue, et difficile à gérer : le personnel enseignants se renouvelle ! Et les nouveaux arrivants demandent parfois l’inverse de ce qui vient d’être installé… Ce qui ne va pas sans poser de problèmes à la mairie. Il faut dire que le pilote du projet, employé sur un CDD, est parti voler vers d’autres cieux. Il a fallu que les services « Education Jeunesse » reprennent le bébé. Avec bonne volonté, mais aussi bien d’autres tâches sur le dos…
Ici et maintenance…
Les sujets d’impatience ne manquent pas. Ce sont toujours les problèmes matériels qui occupent les conversations : « entre instits, on n’arrive pas à faire la maintenance technique du réseau, on est sans arrêt embêtés avec les imprimantes et les transferts de fichiers, les disques durs qui refusent de démarrer. Et quand ça ne marche pas, on rentre dans sa classe. » explique une directrice.
Il faut dire que la mairie a délégué la maintenance à la CAMIF, fournisseur des équipements informatiques, dans le cadre de la garantie triennale. Mais la hot-line a du mal à répondre : les sous-traitants se succèdent, et l’information ne passe pas toujours… Quelques écoles attendent encore la mise en réseau prévue depuis la Toussaint, certains modems restent muets…
Parfois, c’est tout bêtement la mise aux normes électrique qui pose souci : lorsque les écoles sont anciennes, les disjoncteurs s’affolent… Nombre d’enseignants souhaiteraient que la ville puisse mettre à disposition un technicien spécialisé pour répondre aux petites contingences. Mais en a-t-elle les moyens ?
Histoire de sous…
Le renforcement de l’utilisation des TICE crée de nouvelles dépenses : c’est désormais aux écoles qu’incombent les coûts d’impression des circulaires académiques ou des instructions municipales. Et il faut bien mettre sur papier pour faire passer l’info dans l’école. Les cartouches d’encre, au prix prohibitif, valsent, d’autant plus qu’en général, on n’a pas investi dans une imprimante laser au coût d’entretien bien inférieur.
Alors, sur quel budget prendre l’argent ? Les enseignants, habitués à se partager équitablement les crédits disponibles pour leurs dépensent de classe, rechignent à rogner sur leurs achats de classe pour mutualiser…
Mais qu’est-ce qu’il font vraiment ?
Une fois balayées toutes ces réticences préalables, pas facile de savoir exactement ce que les élèves font avec les machines… Evidemment, très variable d’une classe à l’autre. Pour Claude Delagoutte, qui navigue dans les écoles, on a incontestablement passé un cap. « Les ordinateurs tournent, d’autant plus que les machines sont stables. Pour moi, un enseignant sur deux utilise peu ou prou l’informatique avec ses élèves. Les salles infomatiques permettent de travailler à demi-groupe, ce qui peut être attractif pour les collègues au moment où ils disposent d’un intervenant, en langue par exemple.
Les activités des élèves sont centrées sur quelques dominantes :
– recopier des textes pour la mise au propre, mais sans forcément qu’il y ait de valorisation de la production. La production d’écrit directe sur ordinateur reste marginale, comme l’utilisation des correcteurs orthographiques et dictionnaires de synonymes.
– l’utilisation des logiciels ludo-éducatifs, comme ceux qui sont sur les distributions « KitEcole » de Pragmatice.
– les logiciels d’entraînement à la lecture, comme Lecthème ou Lectra (même en édition limitée). Mais les évaluations de ce que fait l’élève restent marginales. Seuls quelques mordus de la pédagogie investissent du temps dans les logiciels plus exigeants, comme Idéographix.
Et Internet ?
Les élèves commencent à naviguer sur Internet, ce qui pose le problème de la sécurisation des réseaux : même sans volonté malveillante, une requête sur un mot anodin renvoie des sites pornographiques. « C’est pourquoi nous avons demandé aux enseignants de limiter l’usage de Google, au profit de Spinoo, Takatrouver ou Kartoo » explique Cl. Delagoutte. « Evidemment, on a moins de références, mais c’est plutôt une bonne chose. Nous n’avons toujours pas de solution magique pour protéger les réseaux d’école. Sans doute allons nous aller vers les « listes blanches » qui n’autorisent que l’accès à certains sites. Mais c’est très lourd en utilisation ».
Certains collègues ne sont d’ailleurs pas convaincus qu’il faille y passer du temps. Anne en doute :« Internet, est-ce bien utile au primaire ? Pour faire des recherches ? Mais ne devrait-on pas déjà mieux leur apprendre à se débrouiller avec un dictionnaire et une encyclopédie, que ce soit sur papier ou sur CD-ROM ? »
La jungle des logiciels
A part les mordus, la masse des enseignants se sent un peu perdue dans l’immensité de l’offre.
« Il faudrait qu’on puisse mutualiser les comptes-rendus des logiciels. On est noyés sous les offres de logiciels, mais on ne sait pas ce qui vaut quoi. » explique Jean, directeur d’école.
Chantal ne sait pas trop ce que font ses collègues des autres écoles.
Pierre, nouveau directeur, a récupéré beaucoup de vieilles machines pour equiper les classes faire du traitement de texte. Il attend maintenant la mise en réseau des machines pour favoriser les échanges entre les classes. Il faut juste que le mairie finisse de faire passer les cables.
Sophie, en cycle III, aime bien Mobiclic et ses dossiers documentaires. Ses élèves utilisent aussi le traitement de texte « quand ils ont fini leur travail », ou Lectra, « économique et efficace ». « Certains élèves du groupe d’adaptation s’y intéressent beaucoup. Si tu les mets devant un écran, ils sont déjà investis, même s’ils sont en difficulté. Ils arrivent à trouver, ils cherchent… même mieux que moi ».
Chez Philippe, nourri à la pédagogie Freinet, chaque machine est allumée du matin au soir, dédiée maths, lecture ou traitement de texte… « Dans le plan de travail individuel, chaque quinzaine, j’indique ce que je veux qui soit fait. Ils font quand ils ont un moment. Chaque gamin est environ ¾ h par jour devant l’ordinateur, à son rythme. Pour moi, l’intérêt, c’est de développer l’autonomie, mais aussi de pouvoir faire des exercices répétitifs de manière plus ludique. Sans oublier la présentation et la valorisation de leurs productions ».
Même dans son école de centre-ville, tous les enfants ne sont pas à égalité de familiarisation avec l’outil. Quant à évaluer ce que ça change vraiment, il est dans le doute… : « Ce n’est sans doute pas très différent de l’exercice papier. A ceci près (et je le déplore) que beaucoup d’élèves utilisent systématiquement les aides disponibles, ce qui ne favorise pas les progrès. Ils cherchent à contourner l’effort, là comme ailleurs ».
Pour ce qui est du développement des technologies nouvelles, il est convaincu qu’elle ne peut être que le fruit d’investissements personnels : « On le voit bien dans les écoles de la ville, ça s’est développé lorsqu’il y avait au moins une personne-ressource chez les enseigants de l’école. C’est comme l’installation de la BCD : ou on s’y met, ou rien ne bouge. »
Des CIVIS en renfort
C’est bien à partir de ce constat que depuis quelques mois, la ville d’Auxerre a décidé d’accéder à la demande des écoles, assez démoralisées après la disparition des aides-éducateurs qui intervenaient dans les écoles : 4 jeunes ont été recrutés, sur les dispositifs « CIVIS ». Leur profil : niveau bac, débrouillées en informatique, BAFA. Leur mission : intervenir dans les écoles (à temps partagé) pour aider les enseignants, mais aussi animer les ateliers hors-temps scolaire, lorsque les directeurs d’école ont donné leur accord. Une animation pédagogique a été prévue, pour les enseignants volontaires, afin de faire le point, mais aussi de prendre le temps de faire connaissance.
Julie intervient en fonction de la demande des enseignants : « Dans une école, je travaille surtout avec CP, les enfants viennent au fond de la classe avec moi, deux sur chacun des deux postes. Je travaille sur des logiciels de lecture avec Lecthème. Dans une autre, je fais du traitement de texte en salle informatique, par demi-classe. J’essaie de voir avec chaque maître ce qu’il veut faire »
Alison, qui travaille en maternelle, utilise des logiciels pour leur apprendre à manipuler. Dans l’école où intervient Emmanuelle, on a décidé de travailler par cycle d’apprentissage : sur 6 à 7 semaines, entre deux vacances, elle intervient toujours avec le même groupe d’élèves, pour avoir un enseignement continu et leur permettre de faire un grand pas..
Ludivine, elle, fonctionne par petits groupes, pour faire de la recherche sur Internet ou du traitement de texte. « Sur le temps de cantine, j’en prends aussi, en petit groupes ».
Leur arrivée ne va pas sans faire souci. Pour Anne, enseignante, « les collègues n’avaient pas l’habitude de travailler avec quelqu’un d’autre dans la classe, ça peut déranger. C’est une question d’habitude pédagogique. »
Habitudes pédagogiques.
C’est bien ce que souligne Claude, avec le recul de plusieurs années d’expérience de personne-ressource en informatique. « On demande aux collègues de « faire de l’informatique ». Mais ils ne voient pas forcément QUOI faire, ils ont du mal à savoir quels logiciels peuvent leur apporter quoi, en fonction de leur cohérence pédagogique.
C’est comme pour la formation : on ne peut pas trouver des réponses à des questions qu’on ne se pose pas.
Les emplois-jeunes, c’est bien, mais ça comporte toujours le risque que ça devienne les spécialiste, comme des gens qui vont répondre à la place des enseignants.
Il y a un besoin de mettre en commun. Mais comme on n’est pas habitué à le faire, même pour des fichiers ou des livres de lecture. Donc, on est un peu démuni. Certes, il y a sûrement des besoins de temps de concertation. Mais même quand on a du temps, on ne sait pas forcément quoi faire… On a du mal à s’emparer de ce qui est possible… l’accompagnement n’est pas facile. »