La
circulaire sur les programmes de français au collège souligne bien la
différence entre un effet d’annonce et une tentative de programmation. Quand
le ministre Fillon se fait prendre en photo devant un musée de la
pédagogie*, quand il décrète le retour de la dictée, etc., il fait un calcul
politique, donne des gages à la réaction et aux nostalgiques qui se
retrouvent dans l’ouvrage de M. Le Bris**. En revanche, quand il faut entrer
dans le détail d’une circulaire détaillée, il devient très difficile
d’innover tant, en la matière, tout a déjà été dit à un moment ou à un
autre.
Mais dans cette impression de redite, il y a aussi les limites de la
communication. Car le retour aux bonnes vieilles méthodes, avec le but avoué
de prendre le contre-pied de ces « démarches laxistes » qui veulent mettre
l’enfant « au centre du dispositif », est typiquement un faux débat. Les
propositions de la recherche n’ont en effet jamais suggéré une telle dérive.
Leur message, autrement plus complexe, essayait de montrer comment on peut
mieux aider les enfants en tenant compte de ce qu’ils sont, ce que l’on
connaît mieux grâce notamment à la psycholinguistique. Loin de tout laxisme,
il s’agissait au contraire de promouvoir un comportement exigeant qui rompe
avec toute démarche adultocentriste. Et d’ailleurs quel est le plus laxiste
de celui qui prétend que l’adulte seul sait ce qui est bon pour l’enfant ou
de celui qui cherche à mieux comprendre l’enfant pour améliorer ses
performances ?
En fait, cette agitation médiatique est révélatrice de l’impuissance des
pouvoirs publics mais aussi des limites de certaines méthodes pédagogiques
qui, pour ne pas se remettre en question, pour ne pas affronter la
nouveauté, nous expliquent que c’était mieux avant, en créant un passé
mythique qui n’a jamais existé***. Autrement dit, on défend ce que l’on
connaît, ce que l’on est, par crainte du nouveau, de l’inconnu. C’est tout à
fait ce qui se passe en matière d’orthographe où les victimes adorent
souvent leur bourreau. Cela s’appelle tout simplement le conservatisme. Mais
cette posture est en outre révélatrice d’une fuite en avant. Ce qui est bon,
c’est toujours ce que l’on ne fait pas, et qu’il faudrait faire mieux,
autrement. C’est ainsi que se comporte un pouvoir politique qui surfe sur la
vague du mécontentement. Et, au-delà du calcul politique, cela s’appelle
tout simplement la démagogie.
Jean-Pierre Jaffré
J.-P. Jaffré est chercheur au CNRS dans le Laboratoire d’études sur
l’acquisition et la pathologie du langage chez l’enfant. Le Café a rendu
compte récemment d’un entretien publié sur le site ministériel de lutte
contre l’illettrisme Bien Lire.
* Le Musée de l’école du Grand Meaulnes, à Epineuil (Cher), paru dans le
Figaro Magazinedu 11 septembre.
** Et vos enfants ne sauront pas lire… ni compter !, Marc Le Bris, Stock.
*** Comme le dit si justement H. Hammon dans Le Monde daté du 15/09/2004,
rubrique Société / Éducation, pp. 10-11.