Le dernier numéro du café pédagogique avant les vacances d’été, c’est l’occasion de tirer un bilan de l’année scolaire écoulée. Commençons par le café lui-même. Le rôle, la fonction, pour ne pas dire la mission, du Café pédagogique restent les mêmes : nous construisons et nous entretenons un espace pour la mutualisation des pratiques pédagogiques, pour l’échange et la réflexion au sein de la communauté éducative entre les enseignants, les chercheurs, les responsables institutionnels et les familles. De septembre à juin, notre audience, par le nombre d’abonnés et de visiteurs du site, a beaucoup augmenté. Des témoignages de sympathie, des encouragements, des contributions de toutes sortes nous sont parvenus. Nous nous en sommes fait l’écho chaque jour dans L’Expresso et chaque quinzaine dans les rubriques du magazine. Nous ne reviendrons pas ici sur l’absence de soutien institutionnel en faveur du Café. C’est peut-être un paradoxe français : notre revue pédagogique qui touche au moins 400.000 enseignants chaque mois et dont tous nos interlocuteurs officiels reconnaissent l’utilité ne bénéficie du soutien d’aucun ministère, d’aucune académie, d’aucun CRDP.
Mais le plus important est ailleurs : l’Ecole, ses problèmes et les changements qui l’attendent. Comme l’immense majorité de nos concitoyens, nous sommes attachés à l’institution éducative nationale. Nous sommes convaincus que l’innovation pédagogique locale est l’un des moyens qui permettra de surmonter la grave crise qu’elle traverse. Nous sommes également convaincus que les technologies d’information et de communication sont l’instrument le plus efficace dont nous disposons aujourd’hui à la fois pour la mise en oeuvre de l’innovation pédagogique sur le terrain et pour sa diffusion sous forme mutualisée dans l’ensemble des établissements scolaires.
La forte croissance de l’audience du Café pédagogique montre que nos convictions sont partagées par beaucoup d’enseignants, d’acteurs de l’école, de parents d’élèves, de partenaires de l’école. Mais le sont-elles par les personnes qui se trouvent placées à des postes de responsabilités institutionnelles et qui ont, plus que d’autres, le pouvoir d’agir : ministres, conseillers, directeurs de l’administration centrale, recteurs et cadres des services déconcentrés de l’Etat ? Lors de nos rencontres avec les responsables des technologies éducatives du ministère, nous avons constaté que la politique ministérielle était, dans ce domaine du moins, inspirée principalement par des visions industrielles ou économiques (développer un marché) et par la volonté inchangée de faire appliquer par la base les décisions prises au sommet.
Nous sommes aussi déçus par certains choix pédagogiques ministériels. Prenons trois exemples. Au primaire, le soutien apporté par le ministre au redoublement dès le CP est pour le moins surprenant alors que de nombreux enseignants se rendent compte que le redoublement ne suffit pas à régler les difficultés des élèves, ce que d’ailleurs toutes les études scientifiques corroborent. Par réconfort, disons que le simple bon sens ridiculiserait demain le redoublement dès la maternelle. Au collège, la possibilité offerte par Luc Ferry de supprimer les itinéraires de découverte (IDD) à la rentrée 2004 fait craindre la disparition dans de nombreux établissements de ce dispositif innovant, seul capable de souder les équipes pédagogiques et d’offrir un enseignement adapté aux jeunes, du « sur-mesure », pour reprendre la formule du recteur Joutard. Cette décision intervient au moment où justement les IDD commencent à s’installer et poignarde les efforts des équipes pédagogiques. Enfin, au moment où est rédigé cet éditorial, c’est la question de la sélection dès la troisième qui est soulevée par le ministre. On peut craindre que la formule de la troisième « découverte professionnelle » soit systématiquement utilisée pour éloigner du collège des élèves qui ont du mal à s’adapter à l’enseignement traditionnel. Or on sait bien que ces élèves là se trouvent plus souvent dans les banlieues et les milieux défavorisés que dans les beaux quartiers. On sait, et le ministre aussi, que les études internationales, par exemple PISA (OCDE), établissent que les systèmes éducatifs les plus performants,y compris pour les meilleurs, sont justement ceux qui instaurent un long tronc commun pour tous les élèves.
Pourtant, malgré ces fâcheuses orientations gouvernementales, l’Ecole française ne nous paraît pas condamnée à ruminer sans cesse ses traditions. D’une part parce que le succès même du Café pédagogique montre qu’une large partie du corps enseignant est attaché à une évolution de l’Ecole. Quelles que soient les déclarations conservatrices de certains décideurs, dans les classes de très nombreux enseignants font évoluer leurs pratiques, s’adaptent à des publics de plus en plus hétérogènes et en tirent le meilleur parti. Nous en recevons, au Café, des signes quotidiens. D’autre part, dans ce combat là, l’Ecole peut s’appuyer sur les parents qui ne se satisfont pas, eux non plus, d’un discours qui règle les difficultés par la mise à l’écart. Il est frappant de voir toutes les associations de parents s’opposer au projet de nouvelle troisième ou intervenir dans le débat sur le redoublement. A de nombreux endroits, les familles trouvent dans les collectivités locales de puissants relais d’influence. Régions, départements, grandes villes font très souvent le choix de la démocratisation de l’Ecole en assurant la gratuité des manuels et en soutenant les pratiques pédagogiques innovantes. La France d’en bas ne se confond pas avec la France d’hier.
L’année scolaire passée aura été une mauvaise année. La prochaine année scolaire sera-t-elle meilleure ? Pour le Café, cela dépendra en grande partie de votre soutien. Retrouvons-nous nombreux en septembre pour faire en sorte qu’elle le soit.
François Jarraud
Quelques pistes :
Le recteur Joutard dans Libération
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_040623152310.67946seg.html
Marie Duru-Bellat : l’hétérogénéité freine l’inégalité sociale à l’école
« Plus les systèmes scolaires maintiennent un niveau élevé d’hétérogénéité (peu de redoublements, tronc commun long, établissements peu différenciés) moins les inégalités sociales de réussite entre élèves sont importantes ».
http://www.u-bourgogne.fr/IREDU/notes/note042.pdf
L’Ecole que nous voulons
http://www.ecolequenousvoulons.org/laligue/ecolequenousvoulons/index.html
Dans ce numéro du Café, les dossiers spéciaux sur le redoublement et la violence scolaire.
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