Depuis la rentrée 2003, six collèges isérois expérimentent le cartable électronique savoyard. Le Conseil général d’Isère a distribué 350 ordinateurs portables aux collégiens et enseignants. Ils sont accompagnés de quelques logiciels pédagogiques, d’outils bureautiques et donnent accès à Internet. Au centre du dispositif la plate forme développée par l’université de Savoie. Prof de maths, Sylvie Mignardot coordonne la mise en place du cartable dans son collège de Tullins.
FJ- Plusieurs collectivités locales ont équipé des élèves avec des ordinateurs. Une particularité du « cartable électronique » isérois c’est d’avoir mis l’accent sur la communication et de s’appuyer sur une plate forme et des accès Internet pour les familles. Comment utilisez vous la plate forme ?
SM- Nous disposons sur la plate forme d’outils qui permettent aux profs de travailler avec l’élève en classe et à la maison. Chacun d’entre nous voit son autonomie pédagogique respectée même si les collègues évoluent parfois sous la pression des élèves. Ainsi nous bénéficions d’un cahier de texte électronique. C’est certainement l’outil qui demande le moins d’investissement à l’enseignant car ce n’est pas une nouvelle pratique. Les élèves l’apprécient aussi car ils sont sûrs des devoirs qui sont à faire à la maison. Il permet également d’envoyer un travail différent à chaque élève : nous pouvons donc adapter les activités données aux élèves en fonction de leur niveau, fournir un fichier d’aide à certains, demander un travail plus complet à d’autres. Par exemple en français, la collègue adapte des travaux en fonction des élèves. La plate forme nous aide à personnaliser le travail. La messagerie intégrée va dans le même sens : faciliter le suivi et rompre l’isolement.
FJ- Donne-t-elle également la possibilité de faire des travaux ou de communiquer en groupe ?
SM- Nous pouvons créer des forums : Ils sont utilisés pour débattre autour d’un thème donné (en français par exemple). En maths, le forum m’a permis de faire bâtir par les élèves des fiches de géométrie: par exemple « comment démontrer que des droites sont parallèles ». Les élèves ajoutent les propriétés qu’ils connaissent à la fiche qui évolue ainsi au fur et à mesure que nous avançons notre programme de géométrie en classe. Ils peuvent utiliser ces fiches pour faire leur exercice en classe. Je pourrais créer ces fiches avec d’autres outils et en faire des documents plus attrayants mais ce qui m’intéresse c’est d’impliquer les élèves. C’est un exemple d’activité que nous n’avons pas le temps de gérer en classe habituellement et que la plate forme nous permet de réaliser en asynchrone. Nous utilisons également ces forums pour organiser des corrections : après un contrôle les éleves sont invités à rédiger la réponse qu’ils ont fournie à une ou plusieurs questions : le prof vérifie et laisse en ligne dans ce forum plusieurs réponses satisfaisantes. Les élèves ont ainsi à leur disposition différentes formulations exactes. Là encore elle permet un gain de temps en classe et dynamise le travail de correction si facilement rébarbatif.
Quant au travail de groupe, il est facilité et effectué en partie en asynchrone. Les élèves effectuent des recherches, les déposent dans un dossier commun et peuvent ensuite produire un document correspondant à la demande du prof. Par exemple, en physique, ils travaillent actuellement sur le système solaire en groupe. Ils font des recherches sur les différentes planètes et devront ensuite organiser ce travail sous forme de diaporama. On est surpris de constater que des élèves jugés peu scolaires par les profs sont très actifs à la maison.
FJ- La plate forme est-elle utilisée en classe ?
SM- Oui, nous l’avons d’abord utilisée en classe avant de nous en servir pour communiquer .Nous en faisons alors un usage habituel, à savoir intégrer dans une séquence de cours une activité utilisant un logiciel pédagogique . Comme les élèves possèdent un PC chacun, on peut faire du travail personnel et non par groupe de deux comme dans une salle informatique classique. C’est très important. Cela donne la possibilité de valider des compétences du B2i et d’avoir un réel travail personnel. En maths je peux utiliser le tableur et Cabri géomètre pour conjecturer par exemple. En langues les élèves utilisent le magnétophone de l’ordinateur. En Français, histoire-géographie ou SVT, les collègues créent des fiches avec des liens sur Internet pour amener les élèves à faire des recherches guidées. En technologie, le prof utilise les logiciels installés sur les portables qui sont les mêmes que ceux installés en salle info. Mais tout cela se lie avec l’outil de communication. Les élèves m’envoient les exercices à la maison et je prépare un document avec plusieurs propositions d’élèves (différentes présentations, rédactions, analyses d’erreurs…). Je peux aussi demander à un élève de rédiger la synthèse à la maison et de la partager.
Nous sommes en début d’expérimentation et les pratiques évoluent rapidement. Les collègues au vu des outils disponibles imaginent des pratiques et des séquences pédagogiques. A l’inverse nous demandons à l’équipe des concepteurs de la plate forme de développer de nouveaux outils ou de les transformer en fonction de nos besoins. Par exemple nous leur avons demandé de réfléchir à un nouveau support visant à faciliter le travail collaboratif tout en gardant tout l’historique de la production.
Au bout du compte, cela change la relation profs-élèves. Les élèves sont moteurs et amènent les profs à évoluer. Le premier gain pédagogique de cette expérience c’est d’améliorer la communication entre les profs, les élèves et les parents.
FJ- Pourtant souvent les outils informatiques sont d’abord utilisés pour « rajeunir » le cours magistral…
SM- Il y a parfois des cours magistraux. Mais nous n’utilisons pas le matériel informatique pour soutenir cette pratique devenue marginale en collège. Par exemple le vidéoprojecteur peut nous servir pour montrer une animation ou une image empruntée à un site internet mais pas question de transformer les cours en réunion animée à l’aide d’un diaporama . C’est la même chose pour les exerciseurs : c’est très bien pour la maison puisqu’ils peuvent s’en servir tout seuls. Nous ne souhaitons pas non plus de manuel électronique. On est satisfait des outils de la plate forme. Ils peuvent être complétés par des encyclopédies, des logiciels (comme Cabri, Sismolog), des banques d’exercices puisées sur les sites mutualistes.
FJ- Dans ce cas il faut que le professeur produise lui-même ses contenus. Ce n’est pas trop lourd ?
SM- Il n’est pas question de nous transformer en auteurs de manuels numériques. Pendant les séances de cours l’ordinateur a la même place que le bon vieux manuel papier : sur la table, parfois ouvert pour y puiser une activité, souvent fermé. On réutilise également des supports numériques qu’on possédait déjà.
FJ- Comment se passe la prise de notes des élèves ?
SM- Le papier reste un bon support pour la mémorisation. Pourquoi s’en priver ? Les élèves gardent leur cahier et leur manuel papier. Généralement, les collègues laissent le choix aux élèves entre la prise de notes classique ou avec traitement de texte. Mais cette deuxième pratique reste marginale. On préfère leur demander de rédiger et poster des résumés de cours sur la plate forme et de les partager.
FJ- Peut-on dégager un impact en terme de niveau scolaire ?
SM- C’est difficile de tirer des conclusions sur le niveau pour l’instant. Il est important de ne pas laisser l’élève consommer et de le responsabiliser. Il est évident que les élèves progressent au niveau informatique. On peut également supposer que des élèves qui deviennent plus autonomes, qui sont responsabilisés par rapport à leur formation et qui apprennent à s’auto-évaluer – tout ce que permet le cartable numérique- vont nécessairement progresser en terme de niveau scolaire.
FJ Peut on dire que le la plate forme amène les jeunes à réfléchir aux règles et à comprendre l’intérêt de les respecter ?
SM- On a eu la question des règles de communication. Au début les jeunes ont émis des messages dans tous les sens et… tous les styles. Il a fallu mettre les choses au point et expliquer que les échanges avec les professeurs nécessitent un langage soutenu. Ca n’a pas posé problème. Même hors temps scolaire c’est le même respect qu’à l’école.
FJ- N’y a t il pas le risque de produire des élèves inadaptés au lycée traditionnel ?
SM- S’ils disposent dans l’avenir du cartable en 4ème et en 3ème, on peut penser qu’ils auront des demandes en arrivant au lycée. Sans doute inviteront-ils davantage les profs à communiquer avec eux. Il faut bien comprendre qu’ils sont demandeurs et que prolonger le cours par un chat ou des messages leur paraît naturel. Ils sont prêts à écouter nos demandes. Mieux : quand les enseignants osent demander leur aide, ils se sentent responsabilisés et ça améliore la relation. C’est aux collègues à s’ouvrir à cette relation.
FJ- Comment le cartable a-t-il été accueilli par les profs ?
SM- L’équipe était volontaire et l’expérience a resserré les liens entre ses membres. Des profs qui utilisaient peu ou pas de logiciels pédagogiques en salle informatique ont rapidement évolué vers une utilisation de la plate forme pour communiquer avec l’élève à la maison. L’important c’est que les collègues soient rassurés : ce n’est pas une affaire de spécialiste. Il suffit de savoir naviguer sur internet et utiliser un traitement de texte pour se lancer.
Nous avons également bénéficié du soutien et de la confiance du principal du collège. Il nous a permis de gagner en efficacité en nous laissant dialoguer en direct avec les autres partenaires, conseil général, rectorat, concepteurs de la plate forme, en limitant la pression hiérarchique.
FJ- Les liens sont-ils devenus plus étroits avec les parents ?
SM- Nous avons formé les parents à l’utilisation de la plate forme et certains nous envoient régulièrement des messages au sujet de la scolarité de leurs enfants. La communication avec les familles est un axe de notre projet et nous en ferons une priorité l’année prochaine
FJ- Le conseil général justifie cet équipement par le souci de lutter contre la fracture numérique. L’objectif est-il atteint ?
SM- C’est trop tôt pour le dire, mais je pense que oui. Une partie des élèves avait ni ordinateur ni Internet et ils les ont découvert grâce au collège et avec l’aide de leurs camarades. C’est une façon de permettre à tous les élèves d’accéder aux nouveaux supports du savoir. Cependant il y a également des échecs. Certains décrocheurs ont été rattrapés mais pas tous. Certains sont trop déconnectés du milieu scolaire pour accepter l’échange même électronique.
FJ- Cette expérience a lieu à l’initiative du conseil général qui entre là un peu sur le terrain pédagogique. Pourtant elle est bien accueillie..
SM- Si ça marche c’est que le conseil général ne nous impose rien. On a le sentiment qu’il nous accompagne et qu’il nous aide, en accord avec l’académie. Nous avons la responsabilité pédagogique et nous savons que nous pouvons demander au conseil général de faire évoluer la plate forme en fonction de nos besoins. Là aussi il y a communication et écoute.
Entretien : François Jarraud
A voir…
Une présentation Powerpoint du projet :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/Documents/tullins.ppt
La stratégie du Conseil général de l’Isère :
http://www.cg38.fr/pages/index/id/4349
L’accès à la plate forme
http://www.cartable-electronique.org/
Un article sur le cartable numérique dans le Café n°18
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/laclasse/Pages/2004/pratiques_18_accueil.aspx