Dans le cadre du « Grand débat « sur l’Ecole, et au cours même de la rédaction de « L’Ecole obligatoire : pour quoi faire ? », quelques points nodaux se sont imposés. Ils seront ici simplement énoncés ( mais ils sont longuement développés dans cet ouvrage paru aux éditions Retz en mars 2004 ).
Les deux premiers, originels mais toujours décisifs, concernent la définition de ce que l’on doit assurer au moins à chacun à la fin de la scolarité obligatoire.
L’instauration de la République et du suffrage universel dans la deuxième moitié de XIX° siècle induisent que le programme de l’enseignement obligatoire doit renfermer dorénavant « tout ce qui est nécessaire au développement de l’homme et du citoyen tel que les conditions actuelles de la civilisation française permettent de le concevoir […]. Puisque la libre volonté des citoyens doit désormais imprimer au pays sa direction, c’est en effet de la bonne préparation de cette volonté que dépendront le salut et le bonheur de la France » ( projet de loi Carnot de 1848 ).
Redéfinir une culture de base
Par ailleurs, le même retour à l’origine montre à l’évidence que l’Ecole obligatoire n’a vraiment de sens que s’il existe une définition claire de l’instruction obligatoire, une définition réglée à partir du principe énoncé par Jules Ferry lui-même : « Ne pas embrasser tout ce qu’il est possible de savoir, mais bien apprendre ce qu’il n’est pas permis d’ignorer ».
Pour des raisons complexes, cela a été perdu de vue tout au long de la Cinquième République ; des repères essentiels se sont effacés, et il apparaît désormais urgent de régler à nouveau cette question en prenant bien en compte que nous sommes aussi dans une situation nouvelle. Ce n’est en effet pas par hasard que la question de la redéfinition d’une « culture de base » ou d’un « socle commun de connaissances et de compétence » revient de façon récurrente, de plus en plus obsédante depuis une vingtaine d’années. Le problème du « collège unique » ne peut recevoir une solution positive que dans cette réflexion d’ensemble d’une redéfinition globale de la scolarité obligatoire.
Il faut donc en revenir aux « fondamentaux », sans retour en arrière ou « nostalgie » déplacée d’ailleurs. Certes, indubitablement, au « lire, écrire, compter » ; mais ce serait le comble qu’on en reste là, alors que Jules Ferry lui-même considérait que son Ecole républicaine différait précisément de celle de l »Ancien régime » en ce qu’elle incluait en plus d’autres matières. Lesquelles ? Tout est là, et jusque où ?
La culture scolaire commune, « générale », a historiquement été centrée d’abord sur les humanités puis sur les sciences et les mathématiques ; elle a jusqu’ici laissé à la marge les sciences humaines et sociales entendues au sens large ( y compris l’économie et le droit, désormais si prégnants dans la vie publique et politique aussi bien que dans la vie privée ) et la technologie pour tous.
On ne saurait trop souligner par ailleurs combien une maîtrise minimale par chacun des technologies de l’information et de la communication apparaît désormais comme incontournable et devrait être partie intégrante de ce socle commun de connaissances et de compétences. D’abord parce que peu d’emplois échappent désormais à l’utilisation de l’ordinateur. Ensuite parce que la « formation tout au long de la vie » est susceptible de se développer sous des formes d’enseignement à distance, faisant largement appel à Internet et demandant une maîtrise minimale des TIC. Enfin dans la perspective d’une citoyenneté moderne, puisque internet ( gigantesque forum planétaire ) véhicule un flux quasi-infini d’informations non contrôlées : l’exigence d’une mise à distance et d’un regard critique s’avère dans ce domaine le minimum auquel on doit éduquer le futur citoyen.
Il ne s’agit pas, en effet, d’établir une culture pour les « pauvres »
En définitive, il y a sans doute lieu d’opérer un rééquilibrage, au moment même de la redéfinition nécessaire de la culture scolaire de base à assurer à tous et à chacun au seuil de ce troisième millénaire. Mais cela engage avec d’autant plus de détermination à préciser ce qui peut être fondamental dans les apports de chaque discipline ou corps de connaissances ou de compétences retenus.
La diversification accrue de la culture scolaire de base et la recherche du fondamental ne sont pas nécessairement contradictoires, bien au contraire. Il ne s’agit pas, en effet, d’établir une culture pour les « pauvres », une « culture pauvre », mais de rechercher et de décider ce qui est basique pour une culture de notre temps, pour la culture de tous. La définition précise d’une « culture plancher » et la diversification des recours à des « champs disciplinaires » différents vont dans le même sens à condition de limiter rigoureusement leurs apports à « ce qu’il n’est pas permis d’ignorer », à ce qu’il n’est plus permis d’ignorer.
Il y faut simplement du courage intellectuel et politique. Mais c’est peut-être ce qui manque le plus.
Claude Lelièvre,
professeur d’histoire de l’éducation à la Faculté des Sciences humaines et sociales-Sorbonne ( Paris V ), membre de la Commission dite « Thélot » sur « l’avenir de l’Ecole ».
Derniers ouvrages parus :
« Les politiques scolaires mises en examen. Douze questions en débat » ; éditions ESF, 2002, 210 pages.
« L’Ecole obligatoire : pour quoi faire ? Une question trop souvent éludée », éditions Retz, mars 2004, 140 pages.