Sylvain Genevois est formateur et responsable du service TICE à l’IUFM de Lyon. Depuis plusieurs années, il s’efforce, avec d’autres collègues formateurs, d’intégrer les TICE dans la formation initiale et continue des enseignants. Ainsi a été mis en place DIDATICE, un dispositif expérimental et innovant pour les PLC2 d’histoire-géographie. Il est également l’auteur de logiciels pédagogiques tels Cartes & Croquis (didacticiel de cartographie) ou le navigateur éducatif R2i (assistant de recherche pour guider les élèves sur Internet).
FJ- Aujourd’hui quelle est la place des TICE dans la formation des enseignants ?
SG- Après avoir insisté sur le retard des équipements ou l’insuffisance des ressources, les rapports d’enquête et les études récentes soulignent le déficit de formation TICE, y compris chez les jeunes enseignants. Les IUFM essaient de rattraper ce retard. C’est pourquoi l’IUFM de Lyon a décidé, dans son nouveau plan de formation (2003-2006), de donner la priorité aux TICE. Le défi majeur est à la fois d’assurer une formation individuelle à l’outil et de faire réfléchir à son intégration dans les pratiques de classe : en début de deuxième année, chaque stagiaire passe un test diagnostique à l’issue duquel il peut choisir, en fonction de ses résultats, des ateliers pour maîtriser le traitement de texte, le tableur, la messagerie, Internet… Après cette remise à niveau adaptée aux besoins individuels de chaque stagiaire, débutent les ateliers d’intégration didactique et pédagogique. Nos ateliers informatiques sont désormais calqués sur les exigences du Certificat Informatique et Internet (C2i niveau 1) : ce B2i créé pour le supérieur est devenu obligatoire pour valider la formation à la sortie de l’IUFM. Il faut bien dire qu’aujourd’hui encore la majorité des étudiants ont un faible bagage informatique.
FJ- C’est surprenant !
SG- Ils ont un vernis informatique, acquis sur le tas. Or on va leur demander en tant que professeur d’être capable de faire passer le B2i aux élèves. Il leur faut donc une réelle maîtrise de l’outil. La formation doit aller au-delà des simples rudiments du « bidouilleur » autodidacte et prendre en compte les TICE dans leur globalité (aspects pédagogiques, didactiques, déontologiques,…) Pour cela le stagiaire construit un projet disciplinaire, ou interdisciplinaire, qui utilise les TICE : c’est la démarche même du C2i niveau 2 qui insiste sur les enjeux des TICE et les gestes pédagogiques à acquérir.
FJ- Mais n’est ce pas un peu tôt ? Après tout ces stagiaires savent à peine ce qu’est une classe.
SG- C’est en effet un peu tôt. Et c’est tout le problème de la formation initiale. Elle doit être continuée. Les 24 heures annuelles d’atelier TICE servent à semer pour l’avenir. Nous espérons que ces nouveaux enseignants auront envie d’expérimenter ensuite dans leur classe et qu’ils complèteront au besoin leurs compétences en formation continue. Pour assurer ce continuum dans la formation TICE, nous avons un outil : la plate-forme DIDATICE (Intégration des TICE dans la didactique de l’Histoire-Géographie).
Elle sert de lien de formation entre les stagiaires, les maîtres de stage et les formateurs ; de passerelle entre l’IUFM et les formateurs de terrain. On essaie de créer une communauté de pratiques qui s’appuie aussi sur une formation de formateurs. Didatice propose des ressources comme par exemple des séquences incomplètes, des liens, des outils d’échange et de suivi. Grâce à elle, on bâtit une formation qui s’appuie sur l’enseignement à distance et l’enseignement en présentiel. Les formateurs se rendent compte de l’intérêt de Didatice pour prolonger une séquence ou la préparer. Quand une séquence est vue par le professeur avant et critiquée, cela apporte une réelle plus-value. Elle sert aussi à publier les productions des stagiaires, à suivre leur mémoire professionnel, à mutualiser des travaux… Actuellement 120 personnes l’utilisent, moitié stagiaires, moitié formateurs.
S’ajoute à la plate-forme, un cédérom, réalisé par Dominique Pascaud et moi-même, qui est distribué en début d’année aux stagiaires. Durant les deux premiers mois, ils y trouvent de nombreuses ressources qu’ils utilisent en autoformation pour découvrir des usages, connaître des travaux de collègues ou simplement accéder à des ressources. Le cédérom permet des parcours libres et des réflexions sur les démarches. Par exemple : quels sont les prérequis pour une séquence TICE ? Au début les stagiaires l’utilisent comme boîte à outil pour puiser des fonds de carte, tester des logiciels libres de droit, accéder à des sites portails… Il s’agit d’éviter de perdre un temps considérable à prospecter des ressources sur Internet. Mais le cédérom sert ensuite de support de formation pour apprendre à devenir un praticien réflexif. C’est donc plus une boîte à idées qu’une boîte à outils et nous voudrions faire évoluer ce support dans ce sens.
A l’issue de ces deux mois, les stagiaires bénéficient de 24 heures d’intégration pédagogique avec deux formateurs, un formateur TICE et un formateur didactique. Ainsi on traite de thèmes d’histoire-géographie avec les TICE dans un esprit d’intégration pédagogique de l’outil. C’est ce que va maintenant imposer le C2i niveau 2 qui sera obligatoire à partir de la rentrée 2005. Ce C2i « enseignant » ne sera pas un diplôme mais, comme le B2i, devra être validé à travers des situations pédagogiques. En accompagnant de la sorte les stagiaires, on essaie de promouvoir cette nouvelle forme d’évaluation formative (on envisage de mettre en place une fiche de positionnement qui validera les compétences au fur et à mesure de leur acquisition). On mesure le saut culturel pour la culture enseignante : un mode d’évaluation nouveau qui nécessite une véritable co-formation entre l’IUFM et les maîtres de stage.
FJ- Il y a des résistances ?
SG- A plusieurs niveaux. D’abord au niveau politique : il faut penser l’informatique non plus en terme d’ingénierie technique mais d’ingénierie pédagogique. Jusque là l’équipement a souvent précédé la réflexion sur les usages. Au niveau culturel, les TICE ne sont pas disciplinaires mais transversales. Elles ont du mal à se situer dans le système. Enfin la culture des TICE c’est celle de la communication. Si on regarde Didatice depuis deux ans, on a remis du lien horizontal entre les formateurs et les maîtres de stage et rompu avec la tradition de dissocier théorie, à l’IUFM, et pratique, en stage.
FJ- Le formateur doit aussi être animateur de réseau…
SG- Dans TICE on oublie trop souvent le C de communication. C’est une dimension qui n’est pas encore vraiment reconnue. Tout le monde s’accorde sur l’intérêt des formations en « présentiel enrichi », mais pour l’instant la conception de cours en ligne ou même le simple suivi des stagiaires sur une plate-forme collaborative (ne parlons pas du tutorat à distance !) ne sont pas des tâches reconnues par l’institution.
FJ- Peut-on dresser un bilan de Didatice ?
SG- C’est en demi-teinte. En positif, les stagiaires se rendent compte des richesses des TICE. Le cédérom leur fait gagner du temps (il est même réclamé par les maîtres de stage et maintenant les enseignants en poste dans l’académie !). La plate-forme leur apporte des ressources et leur permet de s’initier aux environnements numériques de travail. En négatif, la moitié des stagiaires n’utilisent les TICE que pour « informatiser » un cours traditionnel. Ils restent immergés dans une culture professionnelle traditionnelle comme s’il leur fallait d’abord se rassurer sur ce terrain. Certains, réfléchissant dans leur mémoire professionnel aux usages du tableau électronique ou du vidéoprojecteur, reconnaissent que leur paradigme d’apprentissage n’a pas changé. Pour qu’il y ait changement, il faudrait un autre accès aux salles informatiques, un autre environnement scolaire, une autre gestion de la classe,… Mais comme le dit Julien Deceuninck (IUFM de Lille), même si « les TICE compliquent la gestion de la classe et peuvent apeurer les jeunes enseignants, leur utilisation est souvent l’occasion de susciter un changement de culture professionnelle en introduisant une dimension coopérative ».
FJ- L’environnement coopératif, celui des communautés nées sur Internet, pourrait les aider à adopter, en les légitimant, de nouvelles pratiques ?
SG- Tout à fait. C’est ce qui se fait en histoire-géographie à l’échelle nationale, au travers par exemple d’un site comme les Clionautes. Mais c’est plus délicat pour un groupe académique. Les maîtres de stage n’ont pas tous acquis une culture informatique et les stagiaires jouent heureusement un rôle d’entrainement auprès d’eux. Mais les stagiaires ne sont pas encore prêts à une démarche coopérative, sauf entre eux. Ils sont encore aux portes du métier, en mutation. Symboliquement, ils n’ont pas droit à une adresse électronique académique. D’autre part, au bout de peu de temps, par les mutations, une grande partie des stagiaires quitte l’académie et on les perd de vue. Le travail de formateur c’est donner une impulsion initiale. Même si c’est pas mis en oeuvre tout de suite, ce le sera un jour.
FJ- Vous êtes aussi l’auteur de R2i. Quel lien avec votre conception de la formation ?
SG- R2i est un assistant de recherche intégré. Il décompose les étapes de la recherche sur Internet et intègre le traitement de l’information. Il amène donc à un regard critique sur celle-ci et à problématiser les recherches. Il s’efforce de répondre aux nouveaux dispositifs pédagogiques (IDD, TPE, ECJS, PPCP…), notamment en traçant toutes les recherches de l’utilisateur et en lui permettant d’élaborer à partir de celles-ci des dossiers documentaires ou des pages web. C’est aussi un support utile pour valider certaines compétences du Brevet Informatique et Internet (B2I).
J’ai mis 2 ans pour concevoir et mettre au point cet outil de recherche en ligne. Ma préoccupation majeure était d’éviter les dérives des élèves sur Internet et de proposer des liens directs par discipline, des démarches actives, des activités pédagogiques… Je pense que la recherche documentaire va bien au delà de la connaissance des moteurs de recherche ou de la technique des mots clés. La recherche, la sélection, la hiérarchisation et la maîtrise de l’information sont devenues des compétences essentielles à acquérir, au même titre que la maîtrise du calcul, de la lecture ou de l’écriture. Sur un plan cognitif, la recherche d’informations s’apparente à la démarche de résolution de problèmes et nécessite donc d’être planifiée. D’où l’idée d’un navigateur qui décompose les étapes de recherche et accompagne l’utilisateur en fonction de ses objectifs : c’est le but à atteindre (en l’occurrence ici la production finale : dossier, exposé, débat argumenté…) qui va déterminer en amont les moyens intellectuels et matériels à mobiliser. Cette approche est le reflet, bien sûr, de ce que j’ai pu observer en formation et j’espère pouvoir le faire évoluer en fonction des observations des utilisateurs eux-mêmes : un logiciel pédagogique ne vaut que par la mise en oeuvre qui en est faite !
Entretien : François Jarraud
Les TICE à l’IUFM de Lyon :
http://web.lyon.iufm.fr/stagiai/ressou-formation/tice_stag.html
Dispositif DIDATICE :
http://web.lyon.iufm.fr/formateurs/form_initiale/didatice.html
Navigateur R2i :
http://sgenevois.free.fr