Les paysans et les Soviets
Nicolas Werth avait déjà publié, dans le Bulletin de l’IHTP et sur le web, un remarquable article sur les rapports entre le pouvoir soviétique et les paysans dans les années 1930. Il met maintenant en ligne un dossier complet (330 pages en version imprimée) sur ce thème. On y trouvera un très riche corpus documentaire extrait des archives du GPU. Les années 30 sont celles de la « dekoulakisation », des déportations massives, des réinstallations en Sibérie et de la grande famine qui s’ensuivit. Le dossier montre comment le GPU et le pouvoir organisèrent cette politique criminelle : déportations massives et aveugles, conditions mortifères de réinstallation des paysans. » Au 1er janvier 1932, lorsque l’OGPU effectua un premier pointage général des » déplacés spéciaux « , on ne recensa que 1 317 000 personnes sur les 1 803 000 déportés en 1930-1931, soit une perte de près d’un demi-million d’individus. Combien s’étaient enfuis ? Combien étaient morts ? Une extrapolation du chiffre global des fuites en 1930 et des données partielles connues pour 1931 laisse supposer qu’environ 250 000 déportés s’enfuirent en 1930-1931 ; par conséquent, un nombre à peu près équivalent mourut. Pour les années suivantes, les statistiques centralisées de l’OGPU font état des pertes suivantes parmi les » déplacés spéciaux » : en 1932, 207 000 évadés (38 000 d’entre eux furent rattrapés), 90 000 morts ; en 1933, 216 000 évadés (54 000 rattrapés), 151 600 morts soit un taux de mortalité de 14 % ! En 1934, 87 600 évasions, 40 000 morts. À eux seuls, ces quelques chiffres donnent la mesure de ce que représenta la » dékoulakisation » pour la société paysanne » note N. Werth.
Le dossier restitue également les résistances à la dékoulakisation que ce soit dans les régions de départ ou sur les lieux de déportation. « Les réactions paysannes à la collectivisation furent à la mesure des enjeux. La collectivisation c’est-à-dire l’expropriation des paysans et leur intégration dans des exploitations collectives devait permettre à l’État de disposer d’un approvisionnement régulier et quasiment gratuit en céréales, productions agricoles et produits de l’élevage pour nourrir les villes et financer, par des exportations massives, l’industrialisation du pays. Elle devait aussi faciliter l’imposition d’un contrôle administratif et politique sur la paysannerie, afin de la contraindre d’adopter, douze ans après l’installation du régime issu d’octobre 1917, les » nouvelles valeurs du socialisme « . Comme l’a montré Lynne Viola, la collectivisation forcée des campagnes fut bien plus que l’expropriation des paysans et leur embrigadement dans des kolkhozes. Elle fut ressentie, dans un pays où la fracture restait très forte entre le monde dominant des villes et le monde dominé des campagnes, comme une véritable guerre déclarée par l’État communiste… contre toute une culture paysanne traditionnelle. Dans cet affrontement, la paysannerie, souligne fort justement Teodor Shanin, » se comporta en entité sociale ayant des intérêts économiques en commun et une identité propre qui s’exprimaient dans des savoirs, des modes d’action et des formes de conscience politique spécifiques débouchant sur une action collective « ». Cela se traduisit par de nombreuses manifestations, rarement violentes (il est vrai que le pouvoir avait préventivement procédé à la récupération des armes et à l’arrestation d’éventuels meneurs) et où les femmes eurent le premier rôle. La grande famine, décrite avec une incroyable distanciation par les sbires du régime, brisa ces résistances. En 1935 l’Etat arrive à ponctionner gratuitement 45% de la production agricole. N. Werth conclut : « Comme l’écrivait, en septembre 1935, Lazar Kaganovitch à Sergo Ordjonikidze, le Commissaire du peuple à l’Industrie lourde.., » nous avons définitivement gagné la guerre, la victoire est à nous, une victoire fantastique, totale, la victoire du stalinisme « . Victoire du stalinisme, défaite de la paysannerie. C’est ce combat engagé au début de 1930 que retracent les deux volumes de documents de la police politique sur les campagnes soviétiques consacrés aux années 1930-1934 ».
N. Werth, Le pouvoir soviétique et la paysannerie dans les rapports de la police politique (1930-1934), Bulletin de l’Institut d’histoire du temps présent, n°81-82, 2003, 336 p.
Le texte intégral est en ligne :
http://www.ihtp.cnrs.fr/dossier_soviet_paysans/index_dos_soviet.html
Les revues de la quinzaine
L’Histoire
Le numéro de janvier est consacré quasi-intégralement à un vaste dossier sur le Moyen Age. Il s’ouvre sur un entretien accordé par Jacques Le Goff qui fait l’histoire de la période : des « Dark Ages », du « gothique » on est passé au « beau Moyen Age », deux visions que J. Le Goff juge extrémistes même si le XIIIèmle siècle est bien une « embellie ». Olivier Postel-Vinay évoque le retournement climatique du Xème à la fin du XIIIème siècle : si le réchauffement ne suffit pas à expliquer « le beau Moyen Age », il en est un des facteurs. C’est ce qui rendit payants les efforts des paysans conquérants présentés par Monique Bourin : les défrichements s’accélèrent. Claude Gauvard évoque l’évolution des sentiments et la place de la sexualité dans cet univers chrétien. Enfin, avec Dominique Barthélémy, c’est le grand rêve de la paix de Dieu qui refait surface. L’Eglise tente d’établir la paix quitte à détourner la violence dans les croisades. On le voit, le dossier fait le point sur les différents aspects du « beau Moyen Age ». Il est accompagné d’un lexique et d’une bibliographie. Malheureusement pas de webographie.
L’Histoire, n°283, janvier 2003
http://www.histoire.presse.fr
Historia
Père Noël et astrologues : Historia nous vendrait-il du vent ? Non car le magazine enquête sur ces mythes. Ainsi il retrace l’histoire du Père Noël, qui, partant de la légende de Saint Nicolas, devient un lutin rondouillard dans l’Amérique du XIXème siècle avant d’être teint en rouge par Coca Cola dans les années 1930. Historia part également à la recherche des sources historiques de l’astrologie. Catherine Salles évoque les oracles antiques et Jean Verdon les pratiques divinatoires de l’Occident médiéval. Plus douteux est l’article consacré aux prophéties de Nostradamus pour lesquelles Historia donne « un décryptage » qui renvoie à des faits historiques. Cet article vient gâcher le dossier.
Historia, n°685, janvier 2004
Texte intégral sur
http://www.historia.presse.fr