Ce qu’en pense un documentaliste :
« On ne résoudra pas ce problème en bâillonnant l’outil dans l’enceinte scolaire ou en l’ostracisant »
– EDITO : Sécurité, contrôle, Internet et éducation (Bruno Devauchelle)
– Internet et la sécurité des jeunes
– Internet, est-ce que c’est dangereux ? (Odile Chenevez)
– Problèmes posés par l’accès libre en bibliothèque publique (Thierry Delcourt)
– « On ne résoudra pas ce problème en bâillonnant l’outil dans l’enceinte scolaire ou en l’ostracisant » (Alain Gurly )
– La navigation sécuritaire : Avant tout une affaire d’éducation aux médias (Louiselle Roy)
– Liens : La sécurité sur Internet : quelques sites et logiciels
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L’arrivée d’internet dans l’enseignement et les CDI en particulier. Quels effets ? Quelles implications pour les documentalistes ? Quelles nouvelles façons de travailler ? Quelle « sécurité » pour les élèves ? Quels apprentissages ?
Je ne reviendrai que très brièvement sur le petit séïsme que représente l’arrivée des TICE en général et d’Internet dans les CDI. Il est clair que cela a bouleversé la façon de travailler des documentalistes, autant dans la façon de gérer et mettre à disposition leur fonds documentaires que dans la façon de rechercher l’information. Il est clair aussi que leur charge de travail dans ces deux domaines a été multipliée par trois ou quatre. Mais le problème, qui s’est immédiatement révélé corrélatif, est celui de l’utilisation pédagogique de ces technologies. J’ai coutume de dire et je pense profondément qu’un des rôles sociaux fondamentaux de l’enseignant (entre autres) est de réfléchir en permanence à l’utilisation pédagogique des outils que lui offre la société de son temps. Nous avons donc de quoi ! Car le problème qui se pose désormais avec acuité pour les documentalistes, mais aussi pour tous les enseignants se résume à ceci : comment apprendre aux élèves à apprendre dans ce nouveau contexte, dans un tourbillon d’informations déferlantes, sans cesse renouvelées où il faut faire des sélections, des choix et des tris. Comment utiliser cet outil pour que les enfants se construisent leurs savoirs, car c’est la seule façon de réellement apprendre, personne ne le nie, mais personne n’a de recette définitive… A partir de ces quelques évidences, quelles peuvent être les pratiques d’Internet dans les CDI et plus généralement des équipes éducatives dans les CDI ? Commençons, comme les mathématiciens, par supposer quelques problèmes résolus pour ne pas avoir à y revenir. Nous supposerons : 1) Que les problèmes techniques de maintenance du matériel sont maîtrisés, et que les locaux et le personnel du CDI sont suffisants, compétents et non surchargés de tâches non seulement diverses, mais qui ont tendance à devenir incohérentes. 2) Que les enfants, les élèves, sont tous des lecteurs convenables…. Dans ce contexte, les pratiques, disons le tout net (et sans jeu de mot), ne dépendent pas exclusivement des documentalistes. La documentation n’existe pas seule. Apprendre à s’informer nécessite de s’appuyer sur le disciplinaire sinon cela n’a aucun sens. D’où la nécessité d’un travail collaboratif sans faille des équipes enseignantes, c’est-à-dire le plus souvent la nécessité d’un projet interdisciplinaire doté d’objectifs clairs. Ceci posé tous les cas de figure sont possibles dans l’utilisation d’Internet et des sources numériques d’information : En fait, si on les laissait faire, les documentalistes se préoccuperaient moins de l’efficacité de l’outil que de son utilisation pédagogique. Ce qui hérisse beaucoup de collègues (et moi !!) c’est qu’on favorise toujours l’obtention d’un résultat de recherche documentaire en temps limité au détriment de la compréhension de la démarche, et de la compréhension des enjeux qu’impliquent les bases de données numériques. Nous sommes habitués à entendre : » Il faudrait que les élèves aient obtenus des documents sur…. ceci ou cela avant la fin de l’heure ». Les TPE et les Travaux Croisés pourraient contribuer à changer rapidement cette façon d’envisager les choses. En fait, la question pédagogique de fond est toujours la même quel que soit l’outil depuis l’ère des Druides en passant par la galaxie Gutemberg jusqu’à l’ère du numérique : « comment vais-je faire afin que ces outils numériques puissent être un levier efficace d’apprentissage » ? C’est tout et c’est beaucoup. Voici quelques réflexions à ce sujet, qui hantent sans arrêt les réflexions et les discussions des enseignants documentalistes. Pour être bref, il y a trois niveaux, trois étapes de traitement du problème pédagogique. A – Le palier préparatoire à la recherche. A ce niveau , il n’est pas nécessaire que tout soit basé sur l’outil numérique. Par exemple, il ne faut jamais occulter les problèmes de vocabulaire lorsqu’on s’attaque à préparer un élève à interroger des banques de données !! L’acquisition (et la compréhension) d’un vocabulaire spécifique à un thème de recherche précis, c’est une base de départ incontournable et il est évident que les dictionnaires ou tout autre document papier sont aussi utiles que des documents numériques, et d’ailleurs, au cours de tout ce travail, il ne faut jamais laisser croire aux élèves que le document papier est devenu obsolète. Ce serait une grave erreur pédagogique. On peut aussi utiliser avec beaucoup de profit les Thésaurus numérisés, les aides et mode d’emplois des moteurs de recherche… et même les contenus des balises meta des pages HTML !!! Ce qui aura aussi l’avantage considérable de faire comprendre aux enfants comment se compose […] |
une page Web par rapport à son sujet. Cette phase du travail est rarement prise en compte de manière accentuée et nous, documentalistes, le regrettons, car elle est très constructrice des savoirs de l’élève. Cette phase de conceptualisation du sujet, par tous les moyens, demande du temps, et c’est le temps qui manque le plus aux collègues de discipline ! C’est à revoir !
B- Le niveau de la recherche lui-même. Avec ce que cela suppose de savoirs et de savoir-faire acquis à l’étape précédente, mais aussi et en outre, ce qu’ils doivent acquérir au cours de cette étape en particulier les techniques d’ interrogation de bases de données. Or, il faut noter que la phase précédente bien acquise et bien appliquée nous permet en outre de ne plus prêter le flan à une critique trop aisée qui nous assimile à des « enseignants de mode d’emploi ». La compréhension préliminaire du vocabulaire associé au thème va permettre aux élèves de mieux lire les données et d’y pratiquer des choix et des tris. Ce palier doit déboucher sur la collation, le classement de données pertinentes. Et puisqu’il est question d’Internet, notons au passage un moyen simple de vérifier que l’élève a acquis son sujet, qu’il est capable de repérer désormais les informations pertinentes dans une banque de données. Ce moyen en effet, c’est Internet. A ce moment, si on demande aux élèves de trouver, seuls, en une heure, un à deux sites Web bien ciblés et bien pertinents par rapport au sujet, et s’ils y arrivent, alors on peut dire qu’il y a bonne compréhension de ce sujet. C- La phase de travail collaboratif d’accroissement de son savoir et de restitution. Si on demande alors aux élèves de construire une ou plusieurs pages web de présentation du thème de recherche, il est clair que le travail collaboratif de mise en page et le besoin de clarté et de cohérence va permettre aux élèves de mieux placer, comprendre et construire le savoir relatif à ce thème. J’ai dissocié nettement ces trois phases pour la commodité de l’exposé. Mais on peut, si on se sent capable de le pratiquer, en imbriquer étroitement les processus, à condition toutefois que les élèves aient clairement défini et compris le vocabulaire nécessaire à cette recherche. On n’insistera jamais assez sur ce point précis, qui conditionne largement tout le reste. Il est en outre indispensable que tout cela doit s’accomplir dans le cadre trans, multi, pluridisciplinaire, genre TPE, TC, mais améliorés dans le sens que j’ai indiqué. Voyons maintenant et pour terminer comment aborder le thème très controversé de la « sécurité » des élèves dans un tel contexte. D’abord, les élèves sont-ils en danger ? Et en quoi ? Il faut faire en sorte que les élèves aient une attitude critique face à une information virtuelle, déferlante, et surtout non vérifiée et validée par un quelconque filtre scolaire. A l’évidence il s’agit d’un travail de fond énorme, de longue haleine, dévolu à toute la communauté éducative et pas seulement aux documentalistes. Ce travail d’apprendre à apprendre devient fondamental à cause d’internet. On ne peut plus y échapper. Mais il suppose une culture préalable que les élèves n’ont pas et qu’ils doivent justement acquérir chemin faisant, et c’est toute la difficulté de la démarche pédagogique à inventer et à proposer. Cela repose entièrement aussi le problème des bases que doit détenir impérativement tout élève. Il est donc normal qu’il y ait des erreurs et des tâtonnements. Cela ne doit pas décourager. Les profs de discipline et les documentalistes ont eux aussi à leur disposition les possibilités collaboratives d’Internet pour pouvoir aisément se concerter et faire avancer plus rapidement ces techniques éducatives capitales. Le travail de médiateur vers les capacités de s’informer intelligemment, vers les possibilités de savoir trier, critiquer, classer les informations devient un des aspects essentiels de l’enseignement de notre époque. C’est Internet qui en est le détonateur et qui en démontre l’urgente nécessité. On ne résoudra pas ce problème en baillonnant l’outil dans l’enceinte scolaire ou en l’ostracisant, mais en l’intégrant dans le cadre des objectifs fondamentaux de l’Ecole : faire des élèves cultivés, capables de continuer à se cultiver après l’école, et civiquement responsables de leurs choix. Alain Gurly |