VIOLENCE DE L’ECOLE MATERNELLE, Christine Colomer
11heures : c’est le moment de ranger. Antoine et Kévin empoignent la grosse caisse de Duplos. Celle qui donne des allures de déménageurs quand on la porte. Chacun tire de son coté, bien décidé à réaliser seul son projet personnel. Cris. Antoine libère une main et tire violemment l’oreille de Kévin. Hurlements et flots de larmes. La caisse tombe. Fracas de Duplos.
Violences ordinaires d’enfants en plein égocentrisme, mais aussi violence de l’école maternelle.
Il est courant qu’un enfant de cycle I utilise la violence pour résoudre un conflit qui le met en danger. Quand Antoine et Kévin se disputent le rôle du déménageur, chacun cherche une façon de se faire reconnaître, ne supporte pas le projet de l’autre. Et à cet âge, l’autre est une entité vide de sens, le monde tourne autour de l’enfant, l’autre doit aussi intégrer cette organisation perçue comme universelle : «Je suis le maître du monde !»
Des familles leur donnent parfois raison. Ainsi, Fabrice 5 ans semble épuisé. «C’est normal, il ne veut pas lâcher sa console avant 22h30 !» dit sa maman. Ou Viviane qui traîne sa petite mine jusqu’à l’école. «Elle a de la fièvre mais veut absolument venir, alors…» Le désir de l’enfant fait office de loi pour ces parents souvent désemparés. C’est «Le temps des enfants tyrans» titre le Nouvel Observateur dans son numéro du 31/10/2002. (1)L’intégration à la vie sociale de ces enfants souvent angoissés par l’absence de repère exige la proximité attentive de l’enseignant pour que cette première rencontre avec la loi ne soit pas trop brutale, pour leur dire à tout instant, avec nos mots, nos gestes, notre attitude, l’organisation de la classe : «ici aussi, tu es très important, même si nous n’accédons pas à toutes tes demandes, même si nous interdisons certains de tes gestes, même si les autres sont aussi importants que toi.» Dans ce fragile équilibre entre règles infranchissables pour tous et respect de la personne unique, l’enfant intègre pas à pas la Loi, il quitte un monde informe, mouvant, que seuls animaient ses désirs à sans cesse formuler, imposer, frapper. Les frontières d’un univers se dessinent au sein de la classe, il va pouvoir s’y accouder pour «découvrir le monde» en toute tranquillité, et s’ouvrir à l’autre. Cheminement au frontière de la personne que l’école maternelle semble être amenée à devoir de plus en plus conduire.
Les crèches, jardins d’enfants, et centre de loisirs s’adaptent à ces réalités humaines et sociales, avec des conditions d’encadrement et de proximité respectueuses des particularités des petits. Les crèches n’accueillent pas plus de 8 petits âgés de 2 ans pour un adulte et peuvent effectuer un travail d’écoute et de socialisation si nécessaire à cet age. (2)
Le taux d’encadrement en centre de loisirs est de 1 animateur pour 8 enfants de moins de 7 ans.(3)
L’école maternelle française ose rassembler jusqu’à 30 petits dans une même classe. Les effectifs moyens sont de 26 enfants par classe en 1999, avec une ATSEM au petit bonheur la chance, que les classes doivent souvent se partager.(4)
Le «vivre ensemble» ne peut s’imposer qu’à la hache, les actes de violences se multiplient avec le nombre, mais aussi avec la réduction de l’espace vital : l’autre se fait surtout oppressant, l’affirmation de soi inaudible, le bruit insupportable, et l’action des adultes dépasse difficilement la frontière des pipis-bretelles.
La rentrée 2002 a accueilli 16800 élèves supplémentaires en raison de la hausse des naissances. 53900 petits élèves frapperont à la porte de l’école en septembre 2003…et ailleurs.(5)
(1)
http://www.nouvelobs.com/articles/p1982/a27634.html
(2)Décret no 2000-762 du 1er août 2000
http://www.adminet.com/jo/20000806/MESD0022398D.html>
(3)
http://vosdroits.service-public.fr/ARBO/190705-FXVAL122.html
(4)MEN.DPD 1999
http://www.education.gouv.fr/dpd/etat/somm.htm
(5)
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226–282550-,00.html