Ecole des parents : Comment comprendre un adolescent amoureux ?
Que faire d'un adolescent amoureux ? Le laisser vivre son expérience, préconise l’École des parents, dans un récent Hors-série consacré à « l'état amoureux à l'adolescence ». L'étape des premières amours est décisive dans l'élaboration de la personnalité et les parents ne peuvent pas en adoucir les déboires ni en revivre les émotions par procuration. C'est au contraire l'occasion pour enfants et parents d'inaugurer un nouveau partage des rôles familiaux qui précède l'émancipation des jeunes gens. Au fil de quatre dossiers rédigés par des acteurs de terrain et des spécialistes de santé et d'éducation, la revue donne quelques repères aux parents décontenancés par les bouleversements affectifs de leur enfant.
La première aventure
Tomber amoureux, pour l'adolescent, c'est d'abord expérimenter la sortie de l'affection familiale. Rencontre de l'autre, au risque de la surprise, de la déconvenue, de la trahison – ou de l'indifférence, l'adolescent s'aventure sans filet dans un monde inconnu. La rencontre semble promettre de retrouver l'intensité du lien maternel symbiotique, alliée avec une sexualité neuve et partagée. En résulte, remarque Didier Lauru, psychiatre, un désir de fusion idéale qui ne peut conduire qu'à l'échec, mais qui permet d'évoluer vers une relation plus mature. Un processus inévitable et bénéfique à terme, même s'il ne peut aller sans chagrins et sans déconvenues.
Bouleversement de l'espace familial
En attendant, c'est l'espace familial tout entier qui se trouve bouleversé. Affectivement, car les parents, les frères et sœurs, et les adolescents eux-mêmes, vont devoir recomposer leurs relations en fonction de la nouvelle donne. Et puis la maison comme lieu de vie, avec la sempiternelle question d''héberger (ou non) les ébats sexuels des amoureux. Refuser, n'est-ce pas se voiler la face ? Accepter, n'est-ce pas renoncer à une pudeur structurante de la famille ? D'autant que des retours œdipiens viennent à l'occasion embrouiller le jugement. A défaut de solution type, chaque famille doit composer ses propres règles. Et la bonne distance, estime Annie Birraux, psychiatre, s'instaure d'elle-même si l'on accepte de voir son adolescent comme un jeune adulte capable d'organiser sa vie affective sans ingérence de ses proches.
Au-delà des stéréotypes de genre ?
On attribue souvent tendresse et sentiments aux filles, sexualité et changement aux garçons. Mais les choses ne sont pas si différentes entre les sexes, indique Jean Chambry, pédopsychiatre. La quête amoureuse juvénile est d'abord celle d'une exclusivité affective, dans le deuil œdipien, à laquelle sont confrontés également filles et garçons. Ce qui apparaît nouveau, remarque la philosophe Anne Dufourmantelle, c'est le contexte d'une société « adulescente » où l'adulte vit dans une nostalgie de l'adolescence, projetant ses propres désirs sur les jeunes gens, ne leur laissant guère de liberté d'invention. Elle note aussi l'émergence d'une bisexualité flottante assez libre, mais d'où émergent parfois de vraies histoires d'amour « que nous devons nous obliger à entendre », dit-elle. La formule peut surprendre ; pourtant, Frédéric Gale, directeur du Refuge, témoigne des drames vécus par les jeunes gens qu'il recueille, chassés de leur foyer par leurs parents en raison de leur homosexualité. Et Cécile Chartrain, dans un rapport de l'INJEP, rappelle qu'il y a loin de la banalisation médiatique à la fin des discriminations dont font l'objet les personnes LGTB.
L'amour virtuel
Domaine inconnu des parents, source de peurs et de fantasmes, le flirt en ligne et les amours virtuels forment peut-être le domaine le plus spécifique des amours adolescentes. Mais s'ils constituent un espace de liberté, en particulier pour les filles qui s'y sentent libérées du regard des proches, les contacts internet sont aussi une source de complexification des rapports amoureux. Les profils sur les réseaux sociaux permettent à la fois de multiplier les facettes – voire les personnalités, mais aussi de brouiller les cartes dans le faisceau relationnel, et de jouer sur les rapports entre le durable et le fugitif, le permanent et le ponctuel, jusqu'à parfois s'y perdre soi-même. Dans ce domaine, la virtuosité d'utilisation ne suffit pas ; il y faut aussi un accompagnement de décryptage socio-psychologique.
Aussi romantiques que jamais, mais formées des nouvelles donnes d'une société qui continue d'évoluer, les histoires d'amour des adolescents ressemblent beaucoup à celles de leurs aînés sans leur appartenir : savoir garder sa place de parent et d'adulte, face à leur manifestation, serait en somme la plus sage mesure de prudence.
Jeanne-Claire Fumet
L'état amoureux à l'adolescence - L'Ecole des parents, Hors Série n°606 janvier-février 2014. Actes du colloque organisé le 14 octobre 2013 par Fil Santé jeunes, dispositif de l'EPE Ile-de-France. 60 pages – 12€
http://www.ecoledesparents.org/revue
Par fjarraud , le jeudi 03 avril 2014.