Selon un schéma bien classique à l’Education nationale, le Grenelle de l’Education accouche de propositions qui reproduisent exactement les conceptions libérales du ministre. Rémunération au mérite et à la carte, contractualisation d’établissements autonomes, statut de directeurs d’école, les propositions du Grenelle vont loin et sont explosives. JM Blanquer devrait prochainement dire ce qu’il en retient et cibler ce qu’il veut mettre en place d’ici 2022. Tout ?
Un édifice construit par le ministère
Officiellement le Grenelle de l’éducation regroupe des experts qui discutent librement de l’avenir de l’Ecole. Sauf que c’est le ministère qui a choisi les personnalités présentes et que chaque groupe est piloté par un cadre du ministère (généralement un inspecteur général). Au final on retrouve dans les différents groupes des renvois aux propositions des autres groupes. On a bien un édifice idéologique cohérent élaboré par le ministère.
Parfois c’est maladroitement mis en forme. Ainsi quand le groupe Rémunération estime que le départ de la Fsu et de la Cgt » a eu pour effet de rééquilibrer la composition du groupe » on croit entendre un long soupir de soulagement. Du coup les échanges sont faits « de manière ouverte et dépassionnée sur la thématique du temps de travail des enseignants ». On trouve dans les préconisations du groupe la création d’une cérémonie professionnelle qu’on va trouver dans le groupe valeurs de la République. Le statut de directeur d’école se retrouve dans plusieurs groupes (gouverner mais aussi encadrement).
Une revalorisation liée au « mérite »
Revenons à la rémunération des enseignants qui est le premier souci des enseignants. »Les participants sont largement favorables à une revalorisation salariale durable de tous les personnels enseignants sans condition préalable » affirme la synthèse du groupe. Le montant n’est même pas esquissé. Il n’est pas question de récupérer le pouvoir d’achat perdu. Mais l’affirmation « sans préalable » est immédiatement battue en brèche par une série de propositions contraires.
La revalorisation salariale est pour tous les enseignants mais elle sera liée à un devoir d’astreinte au remplacement. Elle dépendra aussi des formations suivies hors temps scolaire. Les primes pourront varier en fonction des lieux. La rémunération pourra varier selon « le mérite ». Par exemple « les projets innovants (avec droit à l’erreur), certaines expérimentations devraient pouvoir être récompensés ». C’ets le cas aussi de « certaines fonction objectivées qui demandent un investissement préalable ». Par contre tous les enseignants auraient droit à une cérémonie d’investiture dans le métier, une idée auquel le Grenelle tient beaucoup. Sera t elle accompagnée d’un serment ? D’un ordre ?
En finir avec l’avancement à l’ancienneté
Dans d’autres groupes ces idées sont complétées. Le Grenelle veut aussi en finir avec les accords PPCR et l’avancement à l’ancienneté ce qui renvoie au « mérite ». Là, l’enjeu est de taille : l’avancement à l’ancienneté c’est 350 millions par an, quasiment le montant de la « revalorisation » blanquérienne. On retrouve l’idée de la suppression du PPCR dans le groupe autonomie. Il envisage aussi de modifier les obligations de service des enseignants en intégrant un temps de travail en équipe en plus de l’horaire devant élèves.
Des directeurs d’école qui évaluent les professeurs
Comme JM Blanquer, le Grenelle est très intéressé par l’idée d’un statut du directeur d’Ecole. JM Blanquer a déjà tenté de faire passer cela à deux reprises à l’Assemblée mais à chaque fois il a échoué. On a donc une troisième tentative dans le Grenelle. Le groupe Gouvernance veut donner aux directeurs « un véritable statut leur conférant autorité décisionnelle et fonctionnelle ». Si on prend le mot dans son sens plein un nouveau statut veut dire un nouveau corps et donc un concours d’accès. Mais le texte du groupe est flou là dessus il parle d’autorité fonctionnelle et de lettre de mission. On peut imaginer un directeur nommé par le Dasen et éjectable à tout moment. Le groupe propose de le prévoir dans les grandes écoles àpartir de 5, 7 ou 10 classes. C’était la proposition Rilhac qui revient.
Comme le sujet est hyper brulant la rédaction masque les idées. « L’évaluation des adjoints doit rester à l’inspecteur de circonscription » dit la synthèse du groupe. Mais quelques lignes plus bas on apprend que le groupe « propose que le directeur ait la possibilité de valoriser par une évaluation positive » les professeurs des écoles sous forme d’un « double regard de l’inspecteur et du directeur » pour l’évaluation dans le PPCR : c’est le mode d’évaluation des professeurs du 2d degré. Le directeur se comporterait comme un chef d’établissement.
Des chefs d’établissement managers
Pour ceux-ci, le groupe propose qu’ils puissent recruter les enseignants, idée émise dès 2017 par JM Blanquer. Le groupe souhaite aussi la suppression des CHSCT ce qui montre une rare précision dans la réflexion ou dans l’alignement aux idées de la majorité.
Surtout il faut réviser le PPCR parce que « les avis des chefs d’établissement et des inspecteurs ne sont pas toujours suivis et l’ancienneté continue à peser sur les promotions ». On est bien là aussi dans l’optique ministérielle.
Le groupe « encadrement » estime qu’il faut « assurer la légitimité des cadres quelle que soit leur origine » parce que « la maitrise pédagogique et didactique a pu conduire à la sous-estimation de maintes autres capacités transversales ». Le Grenelle c’est aussi la promotion des recteurs, dasen, inspecteurs et chefs d’établissement purs managers.
Des établissements autonomes sous contrat avec l’Etat
On retrouve dans le groupe « autonomie » les conceptions émises par JM Blanquer dans ses ouvrages. L’établissement scolaire doit être autonome et son lien avec l’Etat doit se réduire à un Plan d’autonomie et de réussite d’établissement (PARE) et un Document d’objectifs (DOCOB) signés pour 5 ans. Retenez ces sigles vous les retrouverez probablement. Actuellement les « contrats » passés entre établissements et rectorats ne sont pas supérieurs aux règles nationales d’attribution des moyens. La réforme lancée par le ministre avec les Contrats locaux d’accompagnement vise à faire sauter les cadres nationaux pour les établissements REP qui en ont le plus besoin. Cette vague contractuelle est aussi une privatisation de l’école : c’est le régime des écoles privées sous contrat généralisé. Dans cette mise en concurrence des établissements ils ne sont pas égaux et cette contractualisation ne pourra qu’aggraver la situation des établissements peu prestigieux, peu soutenus par les autorités politiques locales.
Ces propositions arrivent sur la table du ministre. Il ne sera certainement pas surpris par leur contenu : c’est celui de ses ouvrages. Le 25 janvier sur LCI il a parlé des « perspectives extrêmement intéressantes » apportées par le Grenelle pour l’avenir de la profession enseignante. Nous y voilà.
François Jarraud