Évaluations de CP : Et rebelote… 

La deuxième vague d’évaluation CP est prévue pour le 21 janvier. Tous les syndicats d’enseignants du premier degré appellent « à l’abandon du protocole d’évaluations », comme l’expliquait le café pédagogique dans son expresso du 15 janvier. Mais les enseignants, sur le terrain, qu’en pensent-ils ? Nous leur avions donné la parole lors de la passation des évaluations de septembre. Certains refusant tout bonnement de les faire passer à leurs élèves, d’autres l’ayant fait. Naouel Douma enseignante en CP à l’école Anatole France de Saint-Denis Pleyel (93), que nous avions déjà interviewé sur l’apprentissage de la lecture, et Nabil ben Yedder directeur de l’école Guillaume Apollinaire à Stains (93) ainsi que ses collègues expriment leurs réticences.

 

Stress et perte de confiance en soi des élèves

 

Naouel explique qu’elle avait déjà émis beaucoup de réserves quant à la passation du premier volet des évaluations, en septembre. « J’ai fait passer les évaluations nationales début octobre, donc assez tardivement, car notre équipe avait eu beaucoup de mal à prendre une décision. Hésitations confirmées à la lecture tous les items. Alors nous avons refusé d’infliger ça à nos petits élèves de CP, fraichement sortis de grande section ». L’inspectrice de la circonscription s’est donc déplacée dans l’école pour les convaincre de l’intérêt de l’exercice. Le débat a été riche, les enseignants présentant des arguments que l’IEN entendait parfaitement : longueurs et complexités des exercices – certains ressemblant plus à des pièges, notions évaluées que les élèves n’avaient même pas encore abordées et enfin, et surtout, le stress que cela engendrerait chez l’élève et ses parents. L’inspectrice a réussi à convaincre les enseignants, expliquant qu’il s’agissait juste d’une photographie à l’instant T. Alors, bon gré mal gré, et parce qu’ils semblaient être les seuls de la circonscription à refuser la passation, « nous les avons fait passer sans conviction, en expliquant aux élèves c’était comme un jeu, en les rassurant et en dédramatisant au mieux. D’ailleurs cela semblait même les amuser, surtout les exercices avec chrono ».

 

A l’école Apollinaire, même son de cloche. Évaluations trop longues et fastidieuses – avec cette même impression que certains exercices étaient surtout là pour piéger les élèves, selon les enseignantes qui notent aussi un vif sentiment d’échec et de frustration chez eux, loin du climat qu’elles souhaitaient instaurer dans la classe. « Nous avions réussi à instaurer une confiance, cela a donc été très difficile de ne pouvoir les aider lorsqu’ils ne comprenaient pas et qu’ils cherchaient notre approbation pour répondre aux questions ». Elles ont aussi été surprises que ces évaluations arrivent fin septembre, « les résultats sont, selon nous, biaisés car nous avions consacré tout le début du mois de septembre à faire des révisions. Nous avons aussi ressenti de l’incompréhension à leur lecture, elles étaient beaucoup trop longues et difficiles pour des élèves qui découvrent tout juste l’école élémentaire ». Malgré de fortes hésitations, l’équipe passe les évaluations. « On s’est demandé s’il était judicieux de faire passer ces évaluations, d’ailleurs en CE1 aussi. Je ne comprenais pas l’intérêt de leur forme mais aussi la pertinence de leur contenu » explique Nabil. 

 

Des évaluations qui ont mis à mal la confiance élève-enseignant

 

Nabil, qui est loin d’être opposé aux évaluations standardisées, souligne que les élèves ont besoin d’être tranquillisés. « Il faut éviter les ruptures dans la scolarité de l’élève. En arrivant en CP, il a encore besoin d’être rassuré, « materné ». Mettre les élèves face à leurs difficultés, et parfois face à des situations qu’ils n’ont jamais connues, a l’effet inverse. Cela empêche l’instauration d’un climat de confiance nécessaire à une bonne entrée dans les apprentissages ». Naouel rappelle, quant à elle, sa conception de l’enseignement, « À l’entrée du CP il faut rassurer l’enfant, reprendre ce qui a été vu en maternelle les deux premières semaines, faire en sorte que les élèves s’adaptent au rythme et qu’ils soient heureux de venir à la grande école. En maternelle, les élèves manipulent en permanence, les plonger dans une évaluation sur papier dès la rentrée me paraît inadapté pour favoriser la confiance.  A titre d’exemple, les situations problèmes proposées étaient pour moi catastrophiques. C’est tout le contraire que ce que l’on doit favoriser. Dans ma classe, les élèves manipulent, ils ont plein d’objets à toucher pour dénombrer, retrancher…. On fait mêmes des mathématiques avec des bonbons et après on en mange un ! Le but étant évidemment qu’ils arrivent à l’abstraction, mais ce n’est pas simple »

 

Des résultats loin de la photographie du niveau des élèves

 

Les résultats sont parvenus aux enseignants un mois après la passation. « Nous avons été stupéfaits de leur présentation. Nous espérions avoir plus de détails et de réelles pistes de travail pour surmonter les difficultés de nos élèves.  Les résultats n’étaient pas réalistes et n’étaient pas représentatifs du niveau des élèves, certains ayant un très bon niveau mais étant très stressés ont été mis dans le groupe des « élèves à besoin » alors qu’ils ne le sont pas du tout » explique l’équipe enseignante de l’école Apollinaire. Finalement, des évaluations qui n’auront pas servi, « cela ne nous a été d’aucune utilité car nous nous étions fait notre propre avis sur nos élèves en les observant et en les évaluant par le biais de révisions, d’exercices et de jeux. » Comme Naouel, qui avoue, y avoir jeté un coup d’œil distrait, ne leur accordant aucun crédit. Quant aux parents, certains ont eu besoin d’être rassurés lors des passations, stressés par ce qu’elles signifiaient mais aussi par les angoisses que cela gênerait chez leurs enfants. Les enseignants les ont accueillis et rassuré. Ils ne leur ont d’ailleurs pas fait de retour suite aux résultats, « nous avons décidé, avec les collègues, de ne pas recevoir les parents et de ne pas leur transmettre les résultats que nous ne jugions pas représentatifs du niveau scolaire de leurs enfants » explique Nabil.

           

Dans une semaine, rebelote

 

Malgré toutes les critiques énoncées, à l’école Apollinaire, les élèves seront de nouveaux évalués. Elles viennent, en plus, s’ajouter aux évaluations semestrielles habituelles. L’équipe note aussi un biais, de taille, dans cette nouvelle vague d’exercices. « Les élèves ne sont pas sur un même pied d’égalité puisque nous travaillons tous à un rythme différent, certains n’auront pas abordé les sons présents dans les textes par exemple. Ainsi, les résultats en lecture ne pourront refléter le niveau des élèves ».

Naouel n’a pas encore regardé le contenu des évaluations. Elle avoue être moins inquiète puisqu’elle a su instaurer un climat de confiance avec ses élèves. « Il aurait pour moi été intéressant pédagogiquement, que cela soit les même finalement, j’aurai pu constater les progrès de mes élèves et le chemin parcouru depuis ! »

 

Des évaluations qui ne font toujours pas l’unanimité, décriées par les chercheurs, les syndicats et les pédagogues. Pourtant le ministre semble sourd aux appels de ces derniers…

 

Lilia Ben Hamouda

 

Les syndicats demandent l'abandon des évaluations de mi CP

Evaluations CP : premiers bilans

Que faire des résultats des évaluations ?

R. Brissiaud : Evaluations et dérives

R. Goigoux démonte les évaluations

F. Ramus : Des évaluations pour aider

Le dossier

 

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 16 janvier 2019.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces