Que faire des résultats des évaluations Blanquer ? 

Dans 20 Minutes, le ministre de l'éducation nationale dévoile les résultats des évaluation de Cp et Ce1.  Selon le ministre les résultats sont mauvais avec 30% d'élèves qui lisent mal en Ce1 et 49% qui ont des difficultés en calcul. "Avec ces tests nationaux, l’évaluation est scientifique et complète", affirme JM Blanquer. Or rien n'est moins sur quand on sait comment les tests ont été passés.  Pour autant les évaluations réellement scientifiques ont déjà montré que les résultats des élèves français ne sont pas bons. Elles pointent d'autres difficultés que celles qu'indique le ministre. Alors à quoi servent les tests Blanquer ?

 

Les conclusions de JM Blanquer

 

"23 % des élèves en début de CP ont des difficultés à reconnaître les lettres et le son qu’elles produisent. Ils ont besoin d’un renforcement de compétences pour bien entrer dans l’écriture et lecture... Concernant les élèves en début de CE1, 30 % des élèves lisent moins de 30 mots par minute, alors que l’objectif national est de 50 mots. Un élève sur deux (49 %) a des difficultés en calcul mental et 47 % ont des soucis pour résoudre des problèmes", indique JM Blanquer dans 20 Minutes.

 

Il en tire des conclusions. Les enseignants " disposeront d’un kit pédagogique sur Eduscol.fr pour faire avancer les élèves sur les différents sujets... Les mesures que j’ai prises vont venir en appui des enseignants : le dédoublement des classes de CP et CE1 dans l’éducation prioritaire va nous permettre d’agir à la racine de la difficulté. Et l’instruction obligatoire dès 3 ans va mettre l’accent sur l’école maternelle et sur sur la richesse du langage. La réforme de la formation initiale et continue des enseignants va nous permettre aussi de renforcer leurs compétences".

 

Enfin le ministre explique de façon très précise qu'il met fin aux cycles, pourtant inscrits dans la loi. " Il ne faut pas que le cycle produise l’effet pervers de reporter l’acquisition des compétences à l’année d’après. La fausse bienveillance c’est de procrastiner. Car ce qui n’a pas été consolidé en CP par exemple, devient plus difficile à acquérir ensuite. Certaines compétences doivent donc être acquises année après année et être évaluées ensuite". Des propos qu'aucun enseignant ne tiendrait mais qui flatteront les traditionalistes de l'Ecole.

 

Des évaluations qui n'ont aucun caractère scientifique

 

JM Blanquer clôt de toutes façons le débat en assurant que "avec ces tests nationaux, l’évaluation est scientifique et complète" puisqu'ils sont faits par les "meilleurs scientifiques", c'est à dire une partie de ceux qu'il a choisi lui même pour son conseil scientifique.

 

Or si un fait est établi à propos de ces tests c'est qu'ils n'ont aucun caractère scientifique. On pourrait critiquer le choix des tests eux-mêmes et la façon dont ils ont été conçus. Mais le caractère fantaisiste des tests est établi dans leur mode de passation. Les tests ont été passés sur livrets papier directement par les enseignants dans leur classe qui ont ensuite saisi les résultats. Ces deux modes ne sont pas scientifiques. On sait qu'il y a des écarts énormes dans les conditions de passation des tests. Si le livret indique des séquences de 20 minutes, en fait certains enseignants ont respecté la consigne , d'autres ont dépassé un peu, d'autres ont triplé le temps, en fonction des réactions des élèves. Les résultats sont aussi faussés par le mode de saisie qui là encore varie d'un enseignant à un autre. JM Blanquer est d'ailleurs  un habitué des tests farfelus. Il en avait fait réaliser régulièrement de 2009 à 2012 quand il dirigeait l'enseignement scolaire au ministère  malgré les critiques portées par la Depp à l'époque et le HCE. Est-il utile d'ajouter que le raisonnement ministériel selon lequel une évaluation permettrait ensuite d'indiquer par ordinateur des ressources aux enseignants et de régler les difficultés repérées des élèves est du même niveau scientifique ?

 

Ce que nous apprennent les vraies évaluations scientifiques en lecture

 

Quand on veut connaitre le niveau réel des écoliers français on se reporte aux évaluations internationales Pirls pour la lecture et Timms pour les maths, les deux en Cm1. C'est ce que font les experts nationaux et internationaux. On dispose aussi des enquêtes Cedre menées de façon très rigoureuses auprès d'un échantillon d'élèves par la Depp. Or ces enquêtes ne tirent pas les mêmes conclusions que le ministre.

 

En ce qui concerne la lecture, les résultats de Pirls 2016 montrent que les résultats des élèves français sont mauvais et en baisse par rapport à Pirls 2001 et 2011. Comme Cèdre, Pirls montre une hausse de la part des élèves faibles : 39% contre 25% en moyenne dans l'Ocde.

 

Mais ce que montre Pirls c'est que les jeunes français savent décoder. Il savent prélever des informations d'un texte. Ils ne savent pas en tirer des inférences pour comprendre les textes. Ils ont du mal à argumenter et à s'exprimer. Depuis 2001 nous avons perdu 8 points sur le prélèvement d'informations mais 21 sur l'interprétation. Des dimensions que les tests Blanquer évaluent très peu.

 

Pirls pointe aussi des explications, au premier rang desquelles la faiblesse de la formation continue des enseignants français. Là on a un problème de postes tout simplement et rien n'est fait pour améliorer la situation. Former ce n'est pas indiquer qu'à telle page d'Eduscol il y a plein de ressources... Cette faiblesse de la formation continue se retrouve dans les pratiques pédagogiques. Les enseignants français demandent autant que leurs collègues de l'OCDE de retrouver des informations dans un texte ou de dégager les idées principales d'un texte. Par contre ils sont nettement moins nombreux à demander de comprendre les textes. Ainsi ils sont deux fois moins nombreux à demander aux élèves de comparer le texte à des faits vécus ou à déterminer les intentions de l'auteur. Pour le premier point la France est tout en bas de l'échelle dans les 50 pays

 

Pirls fait aussi apparaitre les classes surchargées des écoles françaises par rapport aux autres pays. Le faible niveau de satisfaction des enseignants : il est le plus bas de toute l'OCDE : 26 de très satisfaits contre 57% en moyenne. Et aussi, à coté des critères sociaux, le fait que la France est un des pays où les parents aiment le moins lire : 22% aiment la lecture contre 32% dans l'OCDE.

 

Interrogé sur les résultats de Pirls, un des spécialistes les plus reconnus sur la lecture, Roland Goigoux, nous disait en 2017 : "On a commis deux erreurs. D'abord focaliser la question de la lecture sur le CP. Puis focaliser le travail du maître sur la maitrise de la langue, l'orthographe la grammaire, la conjugaison. On considère toujours qu'une fois que l'on sait déchiffrer la pratique de la lecture suffit pour avoir des compétences en lecture. Mais si l'on veut que notre école progresse il faut un plan d'enseignement explicite de la compréhension en lecture en mettant l'accent sur le cours élémentaire et le cours moyen. On ne peut pas analyser Pirls et conclure en disant qu'on doit renforcer l'orthographe, la grammaire en CP. Cette réponse n'est pas à la mesure du problème. Dans Pirls ce qui caractérise la France c'est le décrochage entre la compréhension explicite du texte et la compréhension implicite, fine. Ce n'est pas un problème de déchiffrage. Mais par exemple de comprendre ce que le texte ne dit pas et qui doit être déduit".

 

Et en maths...

 

Pour les maths, Timms montre là aussi des résultats faibles. Seulement 23% des élèves de Cm1 français ont un bon niveau en maths contre 48% des européens et 42% de tous les participants. Il est vrai que ces élèves, comme ceux de Pirls , ont traversé les années de suppressions de postes alors que JM BLanquer était aux commandes. Ils ont aussi subi les programmes traditionalistes de 2008 que le ministre tente de remettre en place. Là aussi la taille des classes joue négativement sur les résultats et surtout la formation initiale et continue des enseignants. Car les professeurs des écoles français sont rarement de formation scientifique.

 

Que faire ?

 

Alors que faire des résultats des évaluations Blanquer ? Si l'on est ministre, les utiliser pour son image, pour jouer les parents contre les enseignants, pour justifier la suppression des cycles ou la prochaine réforme à mener en maternelle. Elles est annoncée pour 2019.

 

Si on n'est pas ministre, il n'y a rien à faire de ces évaluations. Il faudrait s'en tenir à ce que Pirls et Timms ont mis en évidence et permis de comprendre. Faire les efforts de formation et d'investissements en ce sens et pour cela se battre pour un budget suffisant, ce qui n'est pas le cas. Ne pas tout déconstruire pour marquer son autorité. Faire preuve de continuité et d'humilité devant les évaluations sérieuses. Les enfants méritent que l'on prenne leurs difficultés au sérieux.

 

François Jarraud

 

Article 20 minutes

Evaluations au primaire : Leçons d'histoire

Pirls

Cèdre Lecture

R Goigoux

Timms

R Brissiaud

Maths conférence du Cnesco

 

 

 

  
Par fjarraud , le lundi 15 octobre 2018.

Commentaires

  • Jean Maurice, le 15/10/2018 à 18:02
    Les auteurs de ces évaluations juraient la main sur le coeur, que c'était un outil pour les enseignants afin de pouvoir faire un diagnostic précis et utile. 
    Au final l'annonce de résultats globaux quantitatifs et normatifs est faite avant même que les enseignants aient eu le temps de regarder les fichiers bilans à télécharger... ce matin. Pas très classe. 
    La présentation est médiatique : les résultats ne sont pas bons!   Que votre classe ait ou non de bons résultats ne change rien, tous dans la nasse, tous coupables aux yeux des auditeurs... Car faut pas se leurrer, quand ça ne fonctionne pas, c'est toujours de la faute des enseignants, même ceux de CM pour des problèmes de CP...
    Qu'est-ce qu'un diagnostic peut avoir de bon ou de mauvais? C'est une base de travail, pas un jugement.
    Ces résultats ne sont pas scientifiques, en effet, pour des questions de protocole. Mais il doivent quand même être assez significatifs car reflétant une certaine réalité.
    Or ce qui m'inquiète le plus aujourd'hui, sans tomber dans la paranoïa, c'est que les calculs des ordinateurs sont faux. Effectivement, deux de mes élèves sont classés en groupe fragile (résultats faibles) dans la compétence : " reconnaître des lettres parmi des signes ". Surpris, (il sont plutôt en avance sur les délais!!!) je vais voir leurs cahiers et ne trouve aucune erreur.  Je me dis que j'ai du faire une erreur de saisie et retourne voir sur la plateforme. Ben non, rien, aucune erreur non plus. 
    Le matos informatique du ministère serait-il aussi obsolète que celui des écoles...?

    Une autre pour la route. Un élève est en difficulté pour comparer des suites de lettres. En réalité, toutes ses réponses effectives son justes car il a entouré les correspondances exactes. Mais il n'a pas barré les présentations différentes. Or ici la consigne est double, et ne pas barrer est une faute (belle preuve de rigueur scientifique). A mon niveau, pas de problème, je sais analyser la cause de cette distorsion avec le résultat attendu. Mais au niveau national, il entre seulement dans les statistiques d'échec!!!

    • PierreL, le 15/10/2018 à 16:05
      ... mêmes types de dysfonctionnement constatés dans nos classes. Résultats non exploitables en l'état!!!
      Nous allons faire un CM pour faire remonter toutes les anomalies.
  • delacour, le 15/10/2018 à 10:40

    Il serait intéressant de savoir si les élèves des classes dédoublées ont réalisé des scores plus importants que ceux des autres classes.

    Et si 30% des élèves lisent à moins de 30 mots minute, on ne peut pas affirmer que le problème du déchiffrage est réglé et qu'il n'y a plus qu'un problème de lecture.

    Quitte à crier dans le désert, je réaffirme qu'on fait une erreur pédagogique à vouloir commencer par le décodage. Seul le codage de l'oral en écrit répond au système alphabétique. Il faudrait donc, si on veut rester scientifique, enseigner le codage, seul capable d'assurer le décodage dans 100% des cas. On code le son /a/ avec "a" dans 95% des cas. Mais il y a au moins douze manières de décoder "a". On ne peut pas lire le groupe "ier" avec certitude (3 décodages possibles) alors qu'on peut commencer par coder hier, portier, et méfierai où ier sera lu correctement à la suite. On peut coder /lo/ avec lo dans politesse, mais "lo" se décode de 9façons différentes lorsqu'on commence par décoder ! Des centaines d'exemples semblables sont possibles si on veut bien ne pas confondre codage et décodage.

    écrilu (voir le site éponyme) propose une pédagogie nouvelle, permettant d'accéder facilement au codage, donc au décodage, et à la lecture puisqu'on commence par coder du sens. Le comble étant de lire des non-mots, un non-sens pédagogique pour satisfaire la machine à décoder !

    On peut se procurer gratuitement pour le moment tout le nécessaire pédagogique et même les logiciels. Voir le site ecrilu.


    • Jean Maurice, le 15/10/2018 à 18:20
      Tout à fait Delacour.
      Et quand on lit : "23 % des élèves en début de CP ont des difficultés à reconnaître les lettres et le son qu’elles produisent. Ils ont besoin d’un renforcement de compétences pour bien entrer dans l’écriture et lecture...

      On se demande à quoi peuvent bien servir les méthodes de lectures (prônées par l'auteur de cette même phrase), et quelle confiance peut-on placer en elles, si l'on a besoin que les élèves connaissent les lettres et leurs correspondances phonémiques, très variables, avant même d'avoir fait le CP? C'est sûr que vu comme ça, il n'y a plus qu'à apprendre à lire en GS et le problème des méthodes de CP sera réglé!!!

      L'année prochaine ils vont tester les équations du second degré au CE1 pour nous expliquer que 100% des élèves ont des difficultés en math.
      • ouaips, le 18/10/2018 à 17:42
        Vraiment d'accord… 
        Pour moi la maternelle est le temps où il faut être souple et laisser le temps aux élèves petit à petit de devenir curieux des apprentissages. Le point d'arrivée en fin de GS ne prédit pas systématiquement la réussite de fin de CP ! Enseignant en classe multi-niveaux maternelle-CP, combien ai-je observé d'élèves  qui n'étaient pas particulièrement en avance, pas ou peu intéressés par les apprentissages scolaires en GS, qui ont finalement rattrapé tous les autres au cours du CP, et qui ont eu un niveau en fin de CP au top! Je trouve qu'il est parfaitement inutile d'évaluer les CP en début d'année sur des compétences qui doivent être acquises au cours du CP. C'est une incitation déguisée aux enseignants de GS à faire du CP au lieu du programme de cycle 1, ce qui est une bonne façon de donner d'obtenir des échecs dès le début de la scolarité.
  • IdentRemo, le 15/10/2018 à 08:06
    Une question : ces évaluations ont fait l'objet d'une phase de test dans des classes ciblées, l'année scolaire passée. Les résultats obtenus ont sans doute été sensiblement identiques à ceux exposés dans la communication du Ministère. Pour autant il n'y a pas eu par les équipes en charge du projet de communication sur le développement d'outils de remédiation, de formation mis à disposition des équipes des écoles.
     Il est dit qu'un kit sera diffusé sur Eduscol. Mais quand il arrivera des semaines supplémentaires se seront passées, il y a de plus un temps d'appropriation par les équipes d'écoles qui n'est pas négligeable. 
    On attend toujours les repères de progressivité qui avaient été annoncés et qui près de deux mois après la rentrée ne sont toujours pas mis à disposition des équipes pour que celles - ci puissent faire leur programmations de l'année scolaire 2018-2019. 
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