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Ludovia 2010 > Messages > Tribus, totems et tabous
Tribus, totems et tabous

A laisser traîner ses oreilles dans les conférences, le colloque scientifique, les travées et sur les tweets, on discerne de ci de là des gammes d’us et de coutumes, de mots et de gestuelles, des rituels mêmes, des traces de tribus dans le monde de Ludovia.

La tribu des bloggeurs est sans nul doute la plus bruyante. Amis sur facebook, compagnons sur twitter, il existe entre eux une réelle connivence, celle des messages nocturnes de cogitation pédagogique. Mario Asselin venu du Québec en est la figure emblématique. A la fois innovateur dans l’usage des blogs en éducation et fin observateur des systèmes éducatifs, il fédère autour de ses publications, nombre de promoteurs d’une éducation active et inventive.

 Les blogueurs ont ici une place reconnue, des places réservées au premier rang de l’amphi pour pouvoir tweeter à leur aise. Une tente leur est dédiée, tout près de la fontaine. Reconnaissance suprême, leurs tweets s’affichent sur l’écran derrière les conférenciers et s’immiscent dans les débats. Ils établissent également le pont avec des participants externes qui suivent Ludovia à travers le mur de tweets du compte #ludovia2010. La tribu des blogueurs manie parfois un langage qui lui est propre et propre à les ranger dans le clan plus large des geeks. Elle manie aussi le sens de l’humour et égaye les conférences de ses commentaires.

Le totem de la tribu des blogueurs c’est . S’exprimer en 140 caractères maximum demande un style et une habileté particuliers. L’exercice se transforme rapidement en jeu, une partie de ping pong collective où le bon mot sera repris et diffusé de Rt (retweet), en Rt. Le tweet oscille entre nombrilisme et médiation, égocentrisme et médiatisation. Raconter ce qui se passe en toute subjectivité, penser à la fois à ceux qui sont sur place et ceux qui sont ailleurs, ceux que l’on connait en vrai et les connaissances virtuelles. Plus on tweete, plus on est lu et plus on devient une personnalité numérique, reconnaissance virtuelle de ce que l’on laisse paraître dans une succession de brefs messages.

Ce voyage entre le nombril et le réseeau se lisait sur le mur de tweets de Ludovia. Les participants étaient parfois spectateurs d’un entre soi intimidant, parfois complices de réflexions ou de vérités exprimées sur le vif. Empêcheurs de conférer en rond ? Les conférenciers eux, mur de tweets dans le dos, ne pouvaient prendre en compte les remarques des bloggeurs. La formule reste à perfectionner mais cette entrée des réseaux sociaux dans les tables rondes est une première à explorer. Elle favorise l’intrusion de paroles impertinentes dans des débats souvent trop policés, dans l’entre soi aussi. L’entre soi s’immisce dans un autre entre soi, une interaction à la limite de la superposition.

Le silence est sans nul doute le tabou des bloggeurs. Coupez la connexion wifi et vous les verrez rechercher une clé 3G. Le silence réduit le bloggeur à son existence réelle, le prive de son identité virtuelle, du moins le croit il. Car ce n’est pas bien grave après tout. Les bloggeurs de Ludovia, à l’heure des pauses et du repas, heures de la vie réelle avaient plein de choses à dire, preuve que la virtualité, on peut s’en passer, tout geek que l’on soit.

 

La tribu des chercheurs se rassemble autour de sa tente, lieu du colloque scientifique. Les participants sont reconnaissables à leur langage, abscons de temps à autre pour le commun des mortels qui ne fréquente pas assidument les couloirs des universités. Pourtant, les chercheurs ont beaucoup à apporter au débat autour des Tice. L’école du XXIe siècle, forcément numérique, ne se construira pas sans fondations solides, qu’elles soient cognitives, sémiologiques ou linguistiques. Et puis, ne forçons pas la caricature. Les chercheurs puisent aussi du côté de la pratique. Michel Lavigne a travaillé avec un enseignant de Clis pour observer les effets de l’interaction sur les difficultés d’apprentissage. Patrick Mpondo Dicka utilise activement les Tice dans ses cours à la fac. Ce n’est sans doute pas un hasard si tous les deux dirigent culture numérique, association organisatrice du colloque scientifique. Christophe Batier, classé dans la tribu des bloggeurs, développe Spiral à l’Université Lyon 1. Virginie Paillas et Pascal Nodenot, formateurs Tice, et animateurs d’un Explor Camp, ont fructifié les connaissances acquises sur les bancs de la fac pour développer les usages du web 2.0 dans la formation des enseignants. Alors d’où nous vient cette impression d’une cloison de verre entre les chercheurs et nous ?

De leur totem peut-être, la présentation powerpoint qui égrène sur des lignes touffues vocabulaire et références  obligatoires dans l’entre soi mais si peu vulgarisateurs. La vulgarisation ne constituait pas l’objectif premier de ce colloque scientifique. On ressent toutefois une certaine frustration tant les apports auraient pu être encore plus éclairants sur l’interactivité et le lien entre goût d’apprendre et numérique, motivation et multimédia. Et si l’an prochain on contraignait les chercheurs à utiliser twitter ? Formuler une idée en 140 caractères les contraindrait à une certaine simplicité.

Et puis, si je voulais être caustique, j’attribuerai le trophée du tabou au mot pédagogie. La  pédagogie n’est pas une valeur dominante dans le système universitaire d’où peut être cette difficulté à extérioriser simplement. La question de l’usage des Tice à la fac a été débattue à plusieurs reprises à la fin des présentations. La comparaison avec le Québec, où la mise en ligne des cours est quasiment obligatoire, est largement défavorable à la France. Et l’on parvenait à la conclusion que la non prise en compte de l’innovation pédagogique, ne serait ce qu’avec des décharges horaires, était fortement pénalisante.

 

La tribu des institutionnels pourrait améliorer les choses. Composée de politiques et de représentants de l’Education Nationale, elle se distingue elle aussi par un langage qui lui est propre. Isolée, elle entame rarement un dialogue ouvert avec les autres tribus. La tribu des institutionnels arrive peu avant le débat et part rapidement, pressée par le temps, happée par d’autres occupations. Il faut toutefois nuancer le propos en fonction des sous-catégories. Lors des tables rondes, les politiques nous ont paru plus au fait de ce que pourrait être l’école numérique, plus impliqués dans son implantation. Le numérique, dans les Landes et ailleurs, a fait ses preuves en matière de développement des territoires. Le contraste entre le discours clair de la vice-Présidente de Région Nicole Belloubet et celui beaucoup plus compassé du recteur Olivier Dugrip est assez significatif sur la maîtrise de ce que sont le numérique et le web 2.0. Lors de la table ronde sur l’école numérique rurale, on a vu d’un côté un inspecteur ravi et de l’autre un élu local beaucoup plus circonspect sur la réalité de la réussite.

Le totem de la tribu des institutionnels, clan du Ministère de l’Education Nationale est le référentiel. Véritable panacée universelle, il a pour vertu de figer dans le marbre les débordements créatifs liés aux usages du numérique et comme inconvénient d’être toujours en retard d’une longueur innovatrice au moins.

Le tabou c’est l’interactivité. On rêve de voir un jour le Ministère de l’Education Nationale se convertir au web 2.0. La manie de vouloir absolument contraindre les usages du XXIe siècle à des normes et des fonctionnements issus du siècle dernier confine à l’obsession paralysante. Clamer la nécessité de l’école numérique et dans un même temps, proclamer le cours de 55 minutes comme un cadre intangible a quelque chose d’à la fois pathétique et de totalement schizophrène. Dommage que ce soient les apprenants qui risquent d’en pâtir. Dommage aussi que cette immobilisme, en se répercutant à toutes les strates de l’administration éducative, épuise les acteurs de terrain.

Du tabou de l’interactivité découle celui du travail collaboratif. Il pose aussi question sur la gouvernance de l’innovation pédagogique. Le dialogue plutôt haché entre institutionnels, entre collectivités territoriales et éducation nationale est plutôt préoccupant. Il est affaire de sous, en temps de crise c’est logique. Mais il est aussi question de partage de compétences, de délégations et d’égalité entre les territoires. Vu de Paris, l’école numérique est peut-être un dossier à caser coûte que coûte dans une politique générale. Vu d’Ax les Thermes, comme de tous les territoires ruraux, elle revêt un caractère obligatoire, elle constitue un facteur chance pour assurer un avenir aux jeunes concitoyens mais aussi au territoire même.

La dernière tribu composant le peuple de Ludovia 2010 est celle des commerciaux. L’évènement ne pourrait avoir lieu sans le soutien financier des industriels venant en complément des subventions institutionnelles. A Ludovia pour convaincre les décideurs d’acheter leurs produits, ils étaient là aussi pour rencontrer des enseignants et faire des démos. Fournisseurs d’ENT, de tableaux interactifs, de boitiers de votes et autres, ils présentaient leurs outils dans des stands et tentaient, de façon souvent maladroite, d’intervenir dans les débats. Le commercial se reconnait à sa tenue soignée, estampillée de temps à autre du logo de sa société, à son langage parfois décalé pour un univers pédagogique frileux face aux tentatives d’incursion de l’industrie dans l’école.

Le totem du commercial est le goodie. Stylo, clé USB, porte clés, ou même bonbon, les goodies deviennent des outils transactionnels, des objets de séduction.

Son tabou c’est la réclame. Comment ne pas faire passer une information pour une réclame, une véritable gageure que l’on a vécue à l’heure des barcamps. A l’inverse, la présence de l’industrie dans l’école est un véritable tabou qu’il nous faudra bien un jour soulever. Les armes sont souvent inégales face au peu de réactivité de l’institution éducation nationale en matière de numérique. D’autant que de plus en plus de commerciaux sont issus de l’enseignement.

Le peuple de Ludovia se compose aussi de personnes inclassables et si au premier abord, les cloisons semblent étanches entre les différents univers, une fréquentation approfondie montre qu’elles pourraient s’estomper voire disparaître pour peu que le dialogue soit facilité.

C’est sans doute là le principal mérite de Ludovia, favoriser la rencontre entre des univers différents qui se retrouvent autour de l’école numérique, faire évoluer nos représentations, nos totems et nos tabous. L’évènement demande à être renouvelé et à se prolonger sous d’autres formes, par les réseaux sociaux notamment.

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