LUDOVIA 2012 > Messages > Et si les politiques publiques entraient enfin dans l’ère numérique ?
Et si les politiques publiques entraient enfin dans l’ère numérique ?

On attendait ce moment avec impatience : l’instant où les débats autour du rôle de l’Etat et des collectivités locales ne seraient plus une vitrine de ce qui se fait mais un dialogue prospectif pour imaginer une politique publique concertée du numérique. Et miracle, peut-être parce que nous avions quitté la solennité de l’amphithéâtre pour le chapiteau ouvert à tous vents et à la vie, ce moment est arrivé mercredi matin.

L’instant T avait été frôlé la veille au soir avec les interventions de Anne-Sophie Benoit, Présidente de l’Andev, et Brigitte Jauffret Ctice de l’Académie d’Aix Marseille, des paroles en bouffée d’oxygène qui nous ramenaient à l’essentiel : l’enjeu de la réussite éducative mobilise le numérique et nécessite une mise en musique des politiques et des acteurs. Au-delà de l’affichage des réalisations locales (comme il est beau mon Ent, comme ils sont ravis nos élèves avec leurs tablettes, quel bel accompagnement ils ont nos enseignants), ce qui importe c’est de savoir comment développer les usages et réduire les inégalités entre tous les territoires. Tous les élèves quelque soit l’endroit où ils habitent, quelque soit l’établissement scolaire qu’ils fréquentent, le milieu où ils vivent, doivent posséder les mêmes chances de réussir. Principe républicain de base que Vincent Peillon a rappelé lors de son intervention filmée : avec le numérique, la devise républicaine retrouve toute sa place au fronton des écoles.

Et dans cette devise, la notion d’égalité est sans doute aujourd’hui sur le plan de l’éducation la plus ardue à appliquer. Les élus locaux présents à Ludovia, les représentants des communes, des départements et des régions, ont souligné leurs différences. Qu’y a-t-il de commun entre la ville d’Elancourt dans les Yvelines et le Département de l’Ariège ? L’une est plutôt prospère et urbaine, l’autre est rural et beaucoup moins fortuné. Quel point commun : l’éducation bien sur mais aussi tous les axes politiques qu’elle croise, renforce ou percute et qui tendent à rendre un territoire attractif. La décentralisation a rebattu les cartes mais les règles du jeu ne semblent pas encore communément définies, intégrées. A Ludovia, les représentants des collectivités territoriales l’ont affirmé les uns après les autres : les investissements ont été au-delà de ce qui était fixé par la loi. Le numérique est venu embrouiller les lignes budgétaires. L’équipement et l’entretien des établissements s’est sensiblement alourdi avec les câblages, les réseaux, les ordinateurs, bref tout ce qui matérialise et permet les pratiques numériques. Et en temps de crise, l’addition peut sembler lourde. Eric Mazo de la Région Paca précisait lors d’une table ronde « les investissements réalisés au début du déploiement du numérique ne seraient sans doute pas possibles aujourd’hui ».

Alors est-il étonnant que les collectivités territoriales scrutent le retour sur investissement ? Leur temps est émaillé d’échéances électorales, celui de l’Education Nationale non et l’impatience de voir des effets tangibles se produire dans les pratiques rend le dialogue parfois nerveux, en toute civilité. Les attentes divergent. Celles des territoires sont particulièrement bien exprimées par l’ANDEV, l’association des directeurs de l’Education des viles. Avec le numérique, l’école peut se mettre à l’heure de l’éducation, en reliant les différents acteurs et lieux de l’apprentissage : école, associations périscolaires, associations culturelles, sportives et …. familles. Ce lien est une promesse pédagogique puisqu’il permettrait d’intégrer tous les savoirs engrangés dans les différents temps de la vie de l’élève, de donner du sens à tous ces savoirs buissonniers. Pour le faire vivre, il faudrait côté Education Nationale, repenser profondément les modes d’enseignement et d’apprentissage, ouvrir l’école de son carcan académique et ouvrir les esprits aussi pour reconnaitre des savoirs qui ne sont pas dispensés en son sein. Evolution ou révolution ? Nous avons beaucoup entendu parler de la nécessaire formation des enseignants. Au-delà de l’utilisation des outils et des usages nouveaux qu’ils pourraient favoriser, l’interrogation sur la nécessaire prise en compte de la continuité des apprentissages entre les différents compartiments de la vie de l’élève s’impose. Le dialogue entre les acteurs de l’éducation de l’enfant s’avère indispensable dans un univers où le cloisonnement perdure. Reconnaitre le rôle des uns et des autres : on entre dans des questions de citoyenneté. L’école est affaire de la cité, elle est affaire de politique. Le numérique peut fournir les outils pour replacer l’école au cœur du village, dans un village ouvert aux frontières définies par notre activité, les contours, les pleins et les déliés de notre vie quotidienne.

Du dialogue complexe entre collectivités territoriales et Etat est né un objet magique : l’ENT. Vilipendé par les uns, accusé d’enfermer des pratiques ouvertes par le web 2.0, prôné par l’Institution comme un cadre rassurant, il cristallise les débats et pourtant.. Imaginer un lieu virtuel de rencontres, de mutualisation entre les acteurs de l’éducation est une première pierre dans l’édifice d’une école reconstruite de façon concertée. Il reste à le penser dans une perspective de culture numérique telle que nous l’a présentée Serge Tisseron. Les témoignages venus de la Région PACA, exprimés à la tribune ou spontanés de la salle, ont été à ce sens éclairant. La concertation entre Etat et Région, la mise en commun des moyens, la coordination dans l’accompagnement des établissements et des équipes favorisent le développement des pratiques. En matière de politique comme de pédagogie, peu importe l’outil, pourvu qu’on ait l’intention et la stratégie qui sous-tendent les pratiques.

La crise frappe à la porte des territoires, frappe à la porte des politiques publiques. Elle contraint les acteurs politiques à un dialogue pour rendre efficients les investissements et favoriser une efficacité des mesures. Elle oblige aussi à se projeter dans l’avenir pour rendre un territoire attractif et performant, pour former les citoyens de demain. Les frontières du territoire se floute sous les faisceaux conjugués du numérique et des contraintes économiques. La complexité du partage des compétences en matière d’éducation brouille les pistes : à l’Etat le cadrage, la pédagogie, aux collectivités territoriales l’équipement, régions pour les lycées, départements pour les collèges, communes pour les écoles. Là-dessus vous rajoutez les communautés de communes, les bassins… Alors forcément, les compétences vont au-delà de leur périmètre, se juxtaposent, se brouillent et parfois se complètent. L’installation du haut débit, par exemple, mérite une réflexion entre différents échelons du territoire, échelons qui n’ont pas forcément la même teinte politique. Quel périmètre choisir pour définir une politique éducative locale efficace et économe ? La question percute le débat sur l’acte III de la décentralisation.

Débat sur la refondation de l’école, débat sur le partage des rôles dans le cadre de la décentralisation, débat sur la notion de territoires, incursion de la crise et des enjeux économiques, question de la gestion des compétences, le séminaire des collectivités territoriales a embrassé avec plaisir les thèmes qui investissent la rentrée politique. Ludovia a permis de bousculer les frontières, les prérogatives et de délier les langues. L’informel a pris le pas sur le conformisme. Comment rester sur son quant à soi quand les montagnes tout autour invitent à regarder plus haut et le décor champêtre ôte toute envie de conserver son costume citadin ? L’école numérique a investi Ludovia et à Ax les Thermes elle a pris la dimension qui lui sied : celle de l’Education avec un grand E dans une vision politique avec un grand P.

Monique Royer

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