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Environnement Numérique de Travail, de l’appréhension technologique au plaisir d’une pédagogie renouvelée …

Le plaisir d’apprendre avec le numérique est aujourd’hui  associé aux tablettes et  aux jeux sérieux. Et associer plaisir et ENT semble pour le moins surprenant. Pourquoi cet a priori ? Sans doute parce que l’ENT est la représentation virtuelle de l’école (du collège, du lycée), et, pour le moment, de ses plus mauvais côtés : les notes et les devoirs.  Du côté des enseignants, on admet que les ENT et autres plateformes d’enseignement à distance offrent des fonctionnalités, des  possibilités complémentaires, mais aussi des contraintes. On leur reproche d’être un  outil imposé qui orienterait les choix  pédagogiques.

Que fait-on/que devrait-on faire sur un ENT ?

L’observatoire TICE académique mène des évaluations annuelles des utilisations de l’ENT dans l’académie de Toulouse, où, nous rappelle Anne-Marie Gros, il est aujourd’hui généralisé. Il y a eu cette année 11500 répondants en ligne.

 L’entrée se fait les services obligatoires de vie scolaire: les absences et les notes (chaque salle est équipée d’un poste informatique). Souvent ces services préexistaient et ont juste été intégrés à l’ENT. Depuis la dernière rentrée, il y a eu une Incitation forte à remplir le cahier de texte numérique (30% des utilisations en 2012). Il arrive en second avec la saisie des notes dans les fréquences d’utilisation, derrière la messagerie. Le cahier de texte est utilisé essentiellement de façon  réglementaire, en consignant le  travail réalisé et à envisager (les devoirs), il contient parfois des liens vers des contenus de cours et des  ressources. Les enseignants commencent à recueillir des devoirs en ligne, ce qui leur permet  une aide individuelle aux élèves par la connaissance de l’organisation de leur travail (devoirs rendus au dernier moment, non fait avec besoin de relance par exemple). Récemment, on a noté une utilisation du forum, par exemple pour avoir une représentation des connaissances  des élèves en amont sur un thème donné. Un des avantages reconnus de l’outil est le portail d’authentification unique pour accéder à plusieurs services. Les possibilités de travail collaboratif et l’exploitation des ressources proposées en sont à leurs débuts.

 

La FCPE, représentée ici par Patrick Palisson, déclare que la question du numérique à l’école occupe le centre des préoccupations des parents d’élèves, comme en témoigne le dernier numéro de leur lettre en ligne. Et en premier lieu, il s’agit bien de comprendre en quoi il va permettre la réussite de tous les élèves et leur bien-être à l’école. Les parents font confiance aux acteurs concernés pour le choix et le financement des équipements, à condition que l’école soit toujours  gratuite et égalitaire. Patrick Palisson insiste sur la nécessaire formation des enseignants qui doivent être en mesure d’utiliser ces technologies. Qu’attendent les parents de l’ENT ? Certainement pas la possibilité de regarder les notes de leurs enfants « par-dessus leur épaule », ni une communication à distance qui les éloignerait physiquement des établissements, ni la preuve que le prof a effectivement assuré son cours puisqu’il en a laissé une trace. Par contre, il est fort souhaitable que les enseignants s’en servent pour élargir leur palette pédagogique, pour instaurer le travail coopératif entre élèves, entre élèves et profs, et entre profs. Que les élèves aient accès à des  ressources audiovisuelles et modernes. Patrick Palisson regrette d’ailleurs qu’aucun élève ni étudiant n’ait été invité ici à exprimer son point de vue.

L’ENT s’avère un outil incontournable dans le cadre de l’enseignement à distance, pour Jean-Michel Leclerc, directeur du CNED. L’organisme a créé un ENT pour les enseignements dispensés de la  grande section de maternelle au master 2. Les services en place regroupés sur la plate-forme vont du recueil des copies en ligne aux forums et au tutorat, en passant par l’accès aux très nombreuses ressources numériques, notamment pour les formations en langues. Une sérieuse politique de transformation numérique est en cours, consistant à  revoir l’ensemble de la production des contenus et leur mise à disposition d’ici 2013.

Pour Jean Vanderspelen, consultant pour ITG, qui s’occupe essentiellement de formation pour adultes, les plateformes de téléformation induisent des changements dans les temps d’apprentissage : il n’y a plus un lieu unique pour apprendre, mais des moments, où que l’on se trouve physiquement, le temps l’emporte sur l’espace, et les modes d’apprentissage : on n’apprend plus seul, les espaces virtuels facilitent les interactions entre tous. De même, l’importance n’est plus donnée aux contenus,  mais aux activités collaboratives. On alterne les temps d’apprentissage, de production, d’interaction et on gagne en degré de liberté dans l’autorégulation des parcours. Les mots-clés des formations ouvertes et à distance (FOAD) sont aujourd’hui : Informer, encourager, rassurer, inciter à prendre des initiatives. Ces nouvelles approches favorisent le plaisir à s’engager et à interagir. Le challenge pour les formateurs consiste à  former les gens à se former tout au long de la vie, et non à leur délivrer des savoirs. Quand on parle maintenant d’enseignement à distance, il s’agit plutôt d’une distance pédagogique et culturelle que d’une distance kilométrique ! Il faut trouver un équilibre entre individualisation des apprentissages et collaboration, entre  approches individuelles et collectives. «  Apprendre à collaborer et collaborer pour apprendre », en conclusion.

Lever les appréhensions pour en arriver au plaisir

Nous entrons dans le concret avec l’intervention de Pascal Faure, conseiller TICE dans l’académie de Nancy-Metz. Depuis 10 ans, il observe l’attitude des enseignants face à l’entrée du numérique à l’école, et en particulier aujourd’hui face à l’ENT.

Les premières inquiétudes exprimées sont : « ça ne marche jamais ». Il y a un doute sur la fiabilité de l’outil, « ça prend du temps » et « je ne veux pas mettre mes cours sur Internet », ce qui dénote une mauvaise compréhension du fonctionnement du système.

Le deuxième pas consiste à s’identifier sur le système, et à éprouver des réticences face à la richesse des  possibilités : il y en a trop, je ne vais pas tout utiliser ! Donc, il faut identifier ses besoins. Ensuite, on a peur d’y passer tout son temps : je ne vais pas travailler tout le temps ! Et enfin, on ne sait pas trop à qui s’adressent les données, on a peur que tout soit vu par tous. Mais dès ce stade, l’outil fort critiqué est déjà devenu indispensable : si, si, je le garde, il y a beaucoup de documents, ça apporte quelque chose !

Vient ensuite l’étape de l’appropriation des usages courants, et  des besoins apparaissent : je veux plus de possibilités, je voudrais que ça marche différemment, et je le veux tout de suite. On se rend compte que c’est un outil collectif, ce qui entraîne une insatisfaction sur des besoins individuels et une contrainte venant de la non individualisation de l’ENT.

Enfin, vient  la « zénitude » : on ne parle plus de l’ENT, on l’utilise.

 

Mireille Bellais,  IEN à Marseille, s’est emparée du projet ENT pour le primaire en 2010, avec enthousiasme et succès, puisque 50 écoles ont rejoint le dispositif. Cet ENT et parti de la définition des besoins dans un comité de pilotage élargi aux utilisateurs. Le secret du succès a été d’une part la simplicité d’utilisation de l’interface choisie, d’autre part le libre choix d’utilisation, loin de toute contrainte hiérarchique. Un accompagnement sur le terrain par les formateurs TICE et une présence impliquée des cadres a permis de lever les appréhensions.

Jean-Pierre Rouby  IEN dans l’académie de Nice nous parle aussi de l’expérimentation du pilotage de l’ENT premier degré dans sa circonscription. Une solution ITOP adaptée au 1er degré a permis aux ENT des écoles de se regrouper sur l’ENT de circonscription. Cette harmonisation a eu un effet de stimulation sur les utilisations et les participations à des espaces collaboratifs.

André Tricot, professeur d'université en psychologie à l'IUFM Midi-Pyrénées, souligne que les tâches essentielles des enseignants et des élèves sont d’enseigner pour les premiers, d’apprendre pour les seconds, et que la question de l’utilisation de l’outil ENT est périphérique. Ceci posé, les conséquences de l’utilisation d’un outil a toujours eu des répercussions importantes sur ces actes fondamentaux (qu’il s’agisse du stylo, de la photocopieuse, ou du numérique). Il nous met aussi en garde contre de trop grandes espérances : l’arrivée de la télévision à l’école n’a pas non plus tenu ses promesses en son temps. L’observation des pratiques des étudiants montre qu’ils vont plutôt sur l’ENT « au cas où » ils y trouveraient quelque chose, plutôt qu’avec un but précis. Quant aux enseignants, ils ne comprennent pas pourquoi il faut aller faire précisément sur l’ENT ce qu’ils peuvent faire (et font souvent depuis longtemps) ailleurs, en utilisant d’autres logiciels adaptés à chaque tâche. L’ENT rassemble en une interface de multiples fonctions, ce qui est le propre des outils les moins utilisables, l’idéal étant d’associer un seul outil à une seule fonction. Si l’outil propose 1000 fonctions, chaque usager n’en utilisera de toute façon que 5.

3. Les usagers et le plaisir d’apprendre

Anne-Marie Gros nous dit que les enquêtes auprès des élèves révèlent qu’ils sont satisfaits de trouver sur l’ENT les documents du cours, de pouvoir rattraper les cours et les exercices s’ils ont été absents, disent que ça les rend plus autonomes et favorise le travail de groupes. La satisfaction des enseignants s’articule par ordre de préférence autour de l’accès aux ressources documentaires sans s’authentifier chaque fois, au travail entre collègues facilité, à la  valorisation et la lisibilité du travail au sein de l’établissement et à l’extérieur. Le lien avec les parents est également favorisé. L’ENT,  malgré ses défauts, est plébiscité par les utilisateurs.

Les parents de la FCPE s’interrogent : en quoi et comment les effets dans l’école de la troisième révolution industrielle apportent-ils  une dimension démocratique et républicaine ? Les priorités attendues de l’école qu’elle apprenne aux élèves à se servir de l’ordinateur et d’Internet, à en maîtriser les usages, qu’il y ait une véritable éducation à l’image et à la communication ; que l’école permette à tous d’accéder à des ressources documentaires  pour grandir, s’émanciper, s’autonomiser. Quant aux parents, ceux qui sont connectés apprécient de recevoir des infos (enfin !) sur l’école et sur leur enfant.

Pour les usagers du CNED, la satisfaction est évidemment à son comble, puisque l’ENT leur permet de se sentir appartenir à une communauté d’acteurs. Ici, ce n’est pas la continuité de l’établissement, c’est l’établissement lui-même qui devient accessible. Parmi les usages plébiscités, ce sont les forums entre étudiants, particulièrement et paradoxalement pour les prépas concours, suivent les échanges avec les parents pour le suivi de la scolarité, les échanges dans la  communauté enseignante, puis l’utilisation des  outils au service des communautés.

 

Comme on s’en doutait, il est difficile de parler de plaisir à propos de l’utilisation de cet outil, alors que le colloque scientifique nous confirme qu’il peut y avoir une vraie sensation de plaisir à manipuler les outils nomades comme le téléphone (vrai doudou), les tablettes tactiles (plaisir sensori-moteur), et un vrai abandon dans un plaisir intense à jouer en ligne (flow). Ici, dans un cadre contraint, constater une certaine satisfaction des utilisateurs est déjà très positif.

Béatrice Crabère

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