intro
Ouvrant la table-ronde,
Richard
Wittorski pose la longue liste des questions vives et
récurrentes du lien entre la recherche, la formation et les
milieux professionnels. Quelles attentes, quelle commandes
? Quels usages de la recherche par les milieux professionnels ?
![amade-escot](../Photos/amadeEscot.jpg)
Chantal Amade-Escot, didacticienne de l'EPS, professeur
à Toulouse le Mirail, cite la longue histoire de
l'étude des rapports entre les recherches en didactique et
les pratiques enseignantes. Mais le développement de
"recherches contextualisées" produisant des alliances entre
les deux reste problématique. La didactique est parfois vue
comme très prescriptive, théorisante sans prise
avec les pratiques. Se pose, pour elle, la question de la
"reproblématisation" des savoirs de la recherche par les
professionnels. Elle interroge donc la "normativité" (les
bonnes raisons de faire ce qu'on fait) des milieux de la formation, de
l'inspection, chacun avec ses attentes et ses modes
d'évaluation de "ce qui vaut". Mais les normes
professionnelles sont souvent floues, peu explicitées ni
controversées. Ainsi, les conflits sont nombreux entre les
différents milieux, avec la "surprescription" de ce qu'il
faut faire, et la"sous-prescription" de comment le faire, pour
reprendre les mots de l'équipe de recherche ERGAPE. Par
exemple, la prescription d'individualisation de l'enseignement,
actuellement forte dans les programmes, est critiquée par
les savoirs de plusieurs courant de recherche. "Certaines normes
didactiques recommandent de "faire produire le savoir par les
élèves" au nom d'une norme socio-constructiviste,
mais dans la pratique, le retrait du professeur inquiet d'intervenir
n'aide pas les élèves à
progresser.
Alors, est-il possible de rapprocher les milieux ? Sans doute
en inventant des "cadres coopératifs" entre recherche et
enseignement. Elle cite les premiers chantiers en didactique
de l'EPS à l'INRP il y a 30 ans, construisant les
"ingenieries coopératives" utiles à
l'avancée des pratiques, permettant de comprendre pourquoi
enseignants et élèves font ce qu'ils font. "C'est
une source de développement et pour le chercheur et pour le
praticien".
Jean Pierre Jurmand,
formateur des éducateurs PJJ (protection judiciaire de la
jeunesse) pour le ministère de la Justice,
constate des évolutions législatives
fortes sur les politiques de prévention, qui sont autant de
défis pour les éducateurs sur le terrain, remis
en cause dans leurs pratiques professionnelles. Il doute que la
recherche soit en capacité de répondre aux
questions auxquelles la formation "presse de répondre",
surtout dans des organisations aussi centralisées. On
commande une recherche pour avoir des réponses qui
permettent de formater la formation. "Il faut nous écarter
de cette vision idéale d'une recherche qui
éclairerait les savoirs professionnels, car les
recommandations de bonnes pratiques sont peu efficaces". Il appelle,
comme l'oratrice précédente, à des
"collaborations" respectueuses.
Jean-Marie Barbier, professeur au CNAM se
définit comme "chercheur en formation des adultes". Pour
lui, la formation se réfère à des
activités, et non à des savoirs. Inutile de
demander à la recherche, dit-il, si son travail est utile.
C'est à la "maîtrise d'ouvrage" de le
décider. Dans une situation de formation, les
formés ne formulent pas des questions de recherche, mais des
questions professionnelles : comment réussir ce qu'on
n'arrive pas à faire ? comment répondre
à la demande de l'encadrement et de la prescription ? Les
outils d'analyse produits par son équipe "peuvent servir"
à analyser l'activité professionnelle, dans ses
transformations. L'émergence des différents
courants d'analyse du travail dans la recherche en témoigne.
"Mais ce n'est pas directement le travail traditionnel des sciences de
l'éducation", qui doivent selon Barbier s'ouvrir
à ces nouveaux courants pour enrichir leur palette
explicative. Parce que travailler à partir de
l'expérience des acteurs fait prendre un autre point de vue
pour la recherche et la formation. A condition qu'on soit capable de
"ne pas en rester aux mots explicatifs des chercheurs", afin
que les "construits de la recherche" ne deviennent pas
naturalisés, qu'on garde centrale la compréhension
du point de vue des acteurs, la signification qu'ils donnent
à leurs actes, sans vouloir parler et expliquer à
leur place. "Bref, parler modestement du point de vue du chercheur sur
le point de vue de l'acteur" : ce n'est pas le rôle du
chercheur de définir ce que sont les compétences
professionnelles, même s'il peut donner une
définition scientifique de la notion de
compétence. Savoir n'est pas connaissance : un savoir porte
des attributions sociales de valeur, mais pas de valeur en soi. Au
contraire, les connaissances sont des catégories mentales
qui changent sans arrêt, qui sont à la fois en
amont et en aval des savoirs. La formation doit en tenir compte".
Dominique Vandroz,
de l'ANAT (Agence Nationale pour l'Amélioration des
conditions de travail, en France), a formé des inspecteurs
du travail, des cadres de la fonction publique... "Souvent, nous
butions sur les différentes fonctions qu'on pouvait demander
à ces métiers, et aussi sur l'écart
entre les contenus de formation et ce que vivaient les stagiaires sur
les lieux d'alternance, en situation. Fréquemment, il a
constaté que les formateurs étaient d'abord de
bons professionnels, répérés pour
celà, qui n'avaient pas forcément de
compétences de formateurs. "C'est à ce moment
là qu'on fait appel à la recherche, pour
comprendre pourquoi les modèles de formation ne fonctionnent
pas bien. Les connaissances des institutions, y compris de formation,
sur la professionnalisation, sont faibles." Ces situations sont souvent
conflictuelles, y compris avec les organisations syndicales et les
logiques qui cherchent à impliquer l'ensemble des acteurs :
la formation est parfois suspectée d'être au
service de la direction... "Mais quand l'expérience est
positive, quand on travaille dans le sens précisé
par Jean-Marie Barbier dans l'intervention
précédente, on ne parle plus jamais de la
même façon de la formation dans les commissions
paritaires". Même si le rapport de recherche livré
pour répondre au cahier des charges risque de ne servir
qu'à caler une armoire, si on ne prend pas garde que les
professionnels eux-mêmes aient été
capables de mettre des mots sur les expériences...