Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Pour suivre un million d’employés, le Ministère de l’éducation nationale ne compte que 68 médecins (ETP), soit un pour 15.360 adultes. Pour apporter un éclairage sur le phénomène du «burnout» qui s’accroît chez les enseignants, en particulier dans le 1er degré, d’après les informations qui nous parviennent au quotidien sur Aide aux Profs, nous avons interviewé Jean-Claude Delgenes, spécialiste du « burnout », pour nous expliquer comment percevoir les symptômes de ce syndrome d’épuisement professionnel, et quelle ampleur il atteint actuellement chez les salariés, les enseignants faisant partie des professionnels les plus touchés.
Ce mois-ci, ces deux enseignantes qui ont démissionné témoignent de leur reconversion :
– Audrey Rapicault, professeur des écoles pendant 25 ans, pour devenir Psychologue du Travail à son compte
– Nadine Esquerre-Boucher, professeur certifiée pendant 25 ans, pour créer son activité d’écrivain public et biographe.
Toutes deux ne regrettent pas ce tournant dans leur parcours professionnel, conscientes d’avoir choisi la reconversion qui répondait le mieux à leur besoin d’épanouissement personnel.
Jeudi 9 octobre 2014 à l’ESPE de Marseille, vous aviez organisé une conférence sur le thème « Le burnout: ampleur et moyens de prévention ». Quels enseignements tirez-vous de cette matinée ?
Cet événement a réuni plus de 250 participants autour de Michel DEBOUT (professeur émérite de médecine légale au CHU de Saint-Etienne), de Jean-Claude DELGÈNES (fondateur et directeur général de Technologia), de Mario Correia (directeur de l’IRT d’Aix-en-Provence, AMU), de Marie-France HIRIGOYEN (psychiatre et psychanalyste, spécialiste du harcèlement moral) et des organisations syndicales (FO, la CFDT et la CGT). Le syndrome d’épuisement professionnel rassemble, préoccupe et touche beaucoup de monde, c’est ce que nous constatons lors de toutes les réunions publiques sur le sujet. Les acteurs de la prévention doivent, quant à eux, apprendre à lutter contre ce processus de toute urgence.
Vous avez lancé en janvier 2014 un appel à signer une pétition pour la reconnaissance du syndrome d’épuisement en tant que maladie professionnel. Cette pathologie affecte de plus en plus d’enseignants, notamment en école primaire d’après les données qui parviennent à Aide aux Profs. En quoi cette pathologie est-elle différente de la dépression nerveuse, et pourquoi n’est-elle pas encore prise en charge par la sécurité sociale ?
En France, on estime que 3 millions de personnes, soit 12.6% des actifs, seraient en situation de travail excessif et compulsif, qui sont les signaux d’alerte de développer un syndrome d’épuisement professionnel. Il affecte prioritairement les personnels de santé et les enseignants qui donnent beaucoup d’eux-mêmes aux autres, mais il se répand aussi depuis quelques années à d’autres catégories socio-professionnelles : 25% des agriculteurs, 20% des artisans, 20% des commerçants, 20% des cadres et entrepreneurs. Nous vivons à l’époque du stress, sous fond de compétitivité et de développement du numérique qui accélère nos vie et diminue le temps que chacun peut réellement consacrer à sa famille et à se ressourcer. Le stress que génère la crise économique aggrave ce tableau. Les compressions d’effectifs et la pression des actionnaires y contribuent aussi, en conduisant des entreprises à prendre des décisions sans être à l’écoute de leurs salariés.
Comment l’un de nos lecteurs pourrait-il savoir s’il est ou pas en situation de «burnout» ? Quelles sont les personnes qui y sont les plus sensibles, et quels sont les symptômes les plus caractéristiques ?
Contrairement à la dépression, l’individu est apte le plus souvent à poursuivre son métier mais de manière compulsive. Il perd confiance en lui. Il tend petit à petit vers la résignation, la honte et l’isolement. Le contexte de crise économique, de maximisation de la rentabilité et de réduction des coûts salariaux sont des éléments, qui, lorsqu’ils font face à des individus motivés, investis, généreux et talentueux peuvent créer des mal-être profonds. Dépassement de soi et performance économique ne font parfois pas bon ménage.
Le « burnout » est un processus lent, qui s’aggrave progressivement, sur 12 à 18 mois, et comprend quatre phases :
– La 1ère phase est celle de l’engagement. Par son travail, l’individu se sent reconnu, prend du plaisir à travailler et atteint un état de bien-être.
– la 2ème est celle du surengagement. La personne commence à avoir de premiers symptômes : des troubles du sommeil, troubles digestifs ou encore troubles dermatologiques. Peu à peu la vie professionnelle envahie la sphère privée.
– La 3ème phase est celle de l’acharnement frénétique. La personne travaille de plus en plus, est soumise à une forte pression de la part de sa hiérarchie ou peut être confrontée au manque de soutien de celle-ci. La personne n’a pas assez de recul par rapport à son travail, et se met en danger involontairement, en développant une anxiété très forte. Sa productivité s’en ressent peu à peu, il n’est plus aussi performant qu’à ses débuts. La frustration et l’amertume s’installent accompagnées le plus souvent d’une baisse de reconnaissance et d’écoute de la hiérarchie. Les troubles du sommeil deviennent chroniques, la fatigue s’installe, on peut citer également plusieurs pathologies comme l’hypertension artérielle, des ulcères gastriques, des infections à répétitions… Les niveaux de travail excessifs et de travail compulsifs sont à ce moment-là au plus haut.
– La 4ème phase est celle de l’effondrement. Il est comme carbonisé, consumé, épuisé psychiquement et émotionnellement. Il entre alors dans une phase où tout est possible, comme le suicide. Dans cette phase on trouve le plus souvent le développement d’addictions : alcool, café, cannabis, drogues dures…
Que préconisez-vous pour prévenir le « burnout » dans une structure ou un service, qu’il s’agisse d’une entreprise, ou d’une administration ? Qui peut réellement agir pour empêcher des agents de se détruire au travail ?
C’est toute l’organisation qui est mise en cause dans son fonctionnement, et les CHSCT sont là pour réagir, en même temps que les services de Ressources Humaines qui doivent alerter la direction, pour qu’une prise de conscience s’effectue et débouche à la fois sur un changement dans l’organisation du travail, mais aussi sur une meilleure protection des salariés au travail, et une meilleure prévention de toutes les formes de souffrance.
Un plan de prévention est essentiel. Je dis souvent qu’un euro de prévention, c’est un gain de 13 euros en gisement de productivité. Les entreprises n’en prennent conscience que lorsqu’elles les ont perdus, qu’elles ont gâché des compétences, perdu des marchés. La formation à la prévention n’est pas faite chez les élites du système, et les dirigeants préfèrent souvent se voiler la face que de regarder les problèmes en face. Il faut changer cette culture, c’est un combat de long terme.
Les organisations gagneraient aussi beaucoup à faire plus confiance à leurs salariés en développant le travail d’équipe, en les associant plus aux décisions, en les rendant plus autonomes et décisionnels pour les motiver dans leurs fonctions. Rien de pire qu’une organisation où le décideur décide, et ne délègue pas, de peur de perdre un pouvoir qui, finalement, l’isole de sa base, et fait souffrir ceux qu’il croit piloter, alors qu’il est juste à la proue d’un navire en train de sombrer.
Pensez-vous que l’usage des outils numériques (smartphone, tablette, ordinateur), puisse être un facteur aggravant du « burnout » ?
Bien entendu ! Nous vivons une époque où de plus en plus de cadres ont du mal à se déconnecter et travaillent de plus en plus le soir, entre 20h et minuit. De nombreux cadres développent une véritable addiction aux écrans, ce qui entraîne des problèmes de santé du fait d’une mauvaise position de la tête ou de la colonne dorsale lors des consultations fréquentes en tous lieu des écrans. A la fin d’une journée, il faut savoir s’arrêter, dire stop ! Définir une heure à laquelle on remet le travail au lendemain, quoi que puisse en penser le supérieur hiérarchique. Juste pour préserver sa propre santé mentale.
Quel est le coût actuel du « burnout » en matière de santé ? Quelles prévisions peut-on faire pour les 10 ans qui viennent si la prévention n’est pas prise au sérieux ?
On découvre que le « burnout » coûte 2 à 3 milliards d’euros par an à la sécurité sociale, et que la France n’est pas dans une culture de la prévention. Quand on pose le diagnostic, c’est en général trop tard. Si le problème n’est pas pris au sérieux, cela pourrait coûter dix fois plus cher, et affecter durablement toute une génération.
Votre action a-t-elle permis de déboucher sur des textes législatifs ? Êtes-vous optimiste sur une prise de conscience collective ?
Oui. Une prise de conscience s’effectue progressivement dans toutes les sphères sociales et notamment chez les salariés, et peu à peu au niveau des pouvoirs publics. Le 23 juillet 2014 un premier pas a été fait au Sénat avec une proposition de résolution par la sénatrice Patricia Bordas, visant à mieux protéger la santé des travailleurs et à lutter contre les risques psychosociaux d’origine professionnelle. 40 sénateurs l’ont signée :
http://www.senat.fr/leg/ppr13-778.html
Nous avons lancé un appel pour la reconnaissance du « burnout » comme maladie professionnelle qui atteindra au moins 10 000 personnes d’ici la fin 2014 :
Au-delà de la prévention du « burnout », avez-vous d’autres combats qui vous semblent mériter toute l’attention des pouvoirs publics ?
Oui, avec Technologia que je dirige, nous sommes un acteur engagé de la prévention de la souffrance au travail, pour une meilleure qualité de vie au travail. Nous avons créé en 2012 le premier observatoire des suicides en France, avec l’appel des 44. Nous essayons aussi de sensibiliser les entreprises et les pouvoirs publics aux effets des transports en commun sur la vie des salariés. Avec l’expansion de l’urbanisation et la cherté du foncier, les salariés n’ont plus les moyens de vivre à proximité de leur lieu de travail, et en région parisienne, s’éloignent de plus en plus, avec des temps de transport pouvant atteindre plusieurs heures aller ou retour. Les effets sur la vie privée sont très diversifiés mais convergent vers un même constat : les entreprises doivent mieux prendre en compte les contraintes qui pèsent sur leurs salariés, afin de leur faciliter la vie. Des salariés heureux sont des salariés productifs, dynamiques, qui font avancer l’entreprise. Quand la souffrance se déclenche dans une entreprise, il ne faut pas fermer les yeux, mais prendre le problème au sérieux, et changer le fonctionnement, en étant à l’écoute de chacun.
http://www.observatoiresuicides.fr/
Dans l’expresso du 15 octobre 2014, la santé des enseignants : zéro pointé au contrôle médical
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/10/15102014Article635489543812825292.aspx
Quel a été votre parcours de carrière depuis la fin de vos études jusqu’au seuil de votre reconversion ?
Eh bien j’ai préparé le CRPE par le CNED. Je l’ai obtenu la première fois, je suis entrée en formation à l’IUFM de Tours Fondettes. Ma formation s’est bien passée, les stages que j’ai réalisés m’ont conforté dans mon choix. J’ai obtenu mon premier poste dans le Loiret à La Chapelle Saint Mesmin, à 1h15 de chez moi puisque j’habitais dans l’Indre et Loire. Tout s’est bien passé, l’équipe était super, j’ai réalisé ma première classe de découverte : 15 jours au printemps à Combloux avec des CM, c’était vraiment bien. J’ai réussi à réintégrer l’Indre et Loire à la rentrée suivante : un quadruple niveau (CP/CE1/CE2/CM1) avec la direction ! Une nouvelle difficile à digérer mais j’étais heureuse de rentrer.
Finalement je me suis retrouvée dans un petit village et surprise ma collègue, nous n’étions que deux, c’était une ancienne camarade de l’IUFM. Tout s’est très bien passé, une école sympa, des parents sympas et une équipe municipale très axée sur l’école, donc très bien. Mais bien sûr je n’étais pas titulaire de mon poste (à cause de la direction), il a donc fallu que je participe au mouvement, les parents ont fait des courriers à l’IA pour que je reste mais…. La règle s’est la règle !
L’inspectrice de ma circonscription m’a donc contactée afin de m’indiquer des postes susceptibles de m’intéresser. J’ai suivi son conseil et je me suis retrouvée directrice d’une école de 3 classes, avec un triple niveau, le cycle 3 et 29 élèves ! Ce que j’ignorais c’est que le directeur que je remplaçais était là depuis 1973, une institution, et que toute l’équipe était partie après de gros soucis avec les parents et la mairie. Bref, je me suis retrouvée dans un nid de guêpes ! Une expérience horrible, avec des parents vraiment haineux pour certains. J’ai donc demandé une habilitation pour la direction d’école (puisque j’étais directrice faisant fonction depuis 2 ans), que j’ai obtenue et j’ai ainsi pu re-participer au mouvement pour obtenir la direction de l’école que j’avais quittée auparavant.
Je suis donc revenue dans « mon école » avec ma collègue et j’y suis restée pendant 9 ans. L’école a grandi, 4 classes quand je suis partie. Les collègues ont changé. La situation est devenue plus difficile : la construction d’un lotissement (en zone rurale) nous a fait accueillir des élèves plus difficiles, nous avions également beaucoup de gens du voyage, et un élève d’ITEP, bref des conditions qui se sont durcies…. J’ai donc décidé, après avoir fait deux enfants, que les journées de 11 heures à l’école ne me convenaient plus, donc j’ai participé au mouvement, j’ai laissé tomber la direction et j’ai choisi une petite école à 10 minutes de chez moi.
Ce choix n’a pas été bénéfique, la motivation était partie et du coup j’ai laissé tomber la direction pour n’être « plus que » enseignante, cela a participé à cette démotivation, mais du coup m’a confortée dans l’idée que j’avais envie de faire autre chose.
Pourquoi aviez-vous eu envie de devenir enseignante ? Qu’avez vous aimé/détesté dans ce métier ?
J’ai eu envie de devenir enseignante par hasard ! En fait après ma licence de psychologie, j’ai travaillé à droite, à gauche et c’était l’époque des emplois jeunes. J’avais entendu parler des emplois jeunes dans l’Education Nationale, je me suis donc inscrite pour un entretien. J’ai passé un entretien et on m’a recontactée, peut-être 6 mois après pour me demander si cela m’intéressait toujours, j’ai dit que oui, et voilà à la rentrée suivante, je me suis retrouvée avec un autre emploi jeune, chargée de créer, d’informatiser, puis de faire vivre une BCD dans une école primaire. Et là, j’ai rencontré des enseignantes formidables qui m’ont intégré à leur projets pédagogiques (classe PAC, création d’un livre documentaire), toute l’équipe a même pris sur son budget perso pour que l’on puisse avoir le nôtre pour mener à bien nos projets. J’ai donc, pendant cette période, découvert le métier, je n’y avais pas du tout pensé avant. Je ne fais pas partie de ceux qui avaient la vocation depuis toujours. Je me suis donc inscrite au CNED, via le dispositif emploi jeune et voilà !
Ce que j’ai aimé, gérer la classe, préparer, chercher de nouvelles idées, les nouveautés, comme l’arrivée des TNI. Les projets avec les élèves. Parfois je ressentais un sentiment étrange, quand tout le monde est dans la classe, en train de travailler, que tout est calme, on ressent un sentiment de « bonheur », de quiétude, qui était très agréable.
Ce que je détestais : les conflits avec les parents, les conflits avec les élèves, quand il faut se réunir avec des tas de personnes à propos d’un élève mais que la langue de bois, le fait de ne devoir blesser personne, fait que rien ne sortira si ce n’est le fait que l’enseignant doit adapter sa méthode pour accueillir au mieux cet enfant. Adapter, sans moyen, sans personnels, sans aide mais « comme c’est quelqu’un d’intelligent elle y arrivera et sinon c’est peut-être qu’elle n’est pas faite pour ce métier ! » Bref durant tous ces moments où on est seul, et que l’on se rend compte qu’on ne fait rien finalement pour aider tous ces élèves, tous ces gens qui ont besoin d’aide et que finalement l’école est très bien pour tout ceux qui s’en sortent et qui finalement n’en n’ont pas vraiment besoin.
Donc finalement les enseignants ont le sentiment, de travailler, d’œuvrer pour leurs élèves et pour leurs collègues (en tant que directrice) sans que personne ne s’en rende compte. La hiérarchie est inexistante au quotidien. J’ai détesté le sentiment de ne pas travailler pour ceux qui en avait vraiment besoin, j’ai détesté le manque de cohérence dans ce que l’on nous imposait, j’ai détesté le manque de reconnaissance : que l’on travaille tout juste le nombre d’heures en présence ou que l’on travaille 11 heures par jour, pas de différence.
Quelles compétences, qui vous sont utiles aujourd’hui, avez-vous développées dans votre pratique quotidienne ?
La première qui me vient à l’esprit, est celle que j’utilisais tous les jours : la faculté de parler en public, de me faire comprendre ! Les élèves constituent un public et au départ c’est impressionnant ! Réussir à capter l’attention, ne pas avoir peur de prendre la parole en public, cela est utile, très utile !
Ensuite la rigueur, dans la gestion des dossiers, la somme d’administratif que l’on est capable de traiter, le fait de monter des dossiers, d’aller chercher l’information là ou elle est, lire les textes officiels, les comprendre, tout ceci fait partie du quotidien de l’enseignant et du directeur, il faut beaucoup d’organisation que j’ai développée pendant mes années, de directrice et d’enseignante. Mais également la gestion du temps et une organisation sans faille : quand on a un quadruple niveau plus une direction d’école, on n’a pas de temps à perdre !
Du coup cette faculté de travailler, beaucoup, seule, me permet aujourd’hui de reprendre des études à distance et très longues sans que j’aie besoin que l’on me remotive toutes les semaines !
Et une qualité indispensable dans beaucoup de métier, c’est le dialogue, la rencontre, le débat, indispensable lorsque l’on est enseignant, la faculté de réussir à expliquer des choses, aux parents, aux intervenants.
D’après votre expérience des établissements scolaires, pour avoir côtoyé de nombreux enseignants, comment perçoivent-ils la reconversion professionnelle ? Et pour l’administration ?
Eh bien je ne sais pas trop. En fait, on n’en parle pas ! Jamais, comme si cela n’était pas possible comme si cela n’existait pas. En fait on a tendance à « dénigrer » ceux qui ne peuvent plus tenir une classe, l’enseignant dépressif… On a tendance à se moquer de lui.
En fait je pense que les enseignants n’ont pas le sentiment qu’ils peuvent faire autre chose, tout simplement, ils ont appris ce métier, point. Moi, j’ai commencé à en parler quand j’ai su que j’allais partir et en fait, là les langues se délient…. « Tu as de la chance, moi j’aimerai bien… » « Dans telle école y’a untel qui aimerait bien aussi… » Et on se rend compte que finalement un tas d’enseignants n’a plus envie d’enseigner, pour qui c’est devenu trop dur. Les gens que je revois maintenant m’interrogent : « et alors c’était le bon choix ? Tu ne regrettes pas ? » Et on se confie, moi aussi je ne me vois pas faire ça toute ma vie, jusqu’à la retraite c’est trop dur….
Du point de vue de l’administration, eh bien mon inspecteur, m’a étonné… Quand je lui ai demandé un entretien pour l’avertir de mon souhait de quitter l’EN et de demander une IDV, il m’a dit : « ah bon, ca existe ? Il y a vraiment des gens qui démissionnent ? Vous êtes sûr ? J’en ai jamais entendu parler ! »
Voila tout était dit, et je me suis dit : Quel abruti ! Il m’a donc proposé de venir m’inspecter, peut-être que j’avais des difficultés en classe (en fait je lui avais demandé de venir l’année d’avant car cela faisait 5 ans que je n’avais vu personne). Je lui ai dit qu’il pouvait venir, que je n’avais pas de difficultés mais que je n’avais juste plus envie de faire ce métier. Il m’a donc dit que je pouvais devenir chef d’établissement ou IEN. On s’est donc quittés là et il n’est pas venu dans ma classe.
Du côté de l’IA, que j’ai contacté pour savoir à qui et comment demander mon IDV, un tout autre accueil, une femme charmante qui m’a tout bien expliqué, qui m’a donné des conseils, bref en 4 mois tout était réglé et j’obtenais une IDV qui me semble convenable pour 12 ans d’ancienneté : 36.000 €.
Quelles démarches avez-vous entreprises pour réussir ce changement ? Notamment, avez-vous démissionné avec une IDV ?
En novembre 2012, j’ai envoyé un mail à l’IA, service scolarité, pour indiquer mon souhait de démissionner et la procédure pour obtenir une IDV.
Le 12 novembre j’ai reçu un mail (sur ma boite perso pour tout ceci) de la personne qui gère tout ceci, qui m’indiquait qu’il était mieux de se contacter par téléphone pour qu’elle m’explique la procédure. Elle m’a laissé son téléphone direct.
Le 16 novembre, nous nous sommes donc contactées, elle m’a très gentiment et très professionnellement expliqué la procédure, les dates, ce qui doit figurer sur les documents, et à qui et quand les envoyer.
Après qu’elle ait reçu mes documents, nous nous sommes donc rencontrées en janvier 2013 (c’est la procédure). Pendant cette rencontre, elle m’a ré-expliqué ce que cela veut dire de quitter l’EN, et elle m’a indiqué le montant qui m’était accordé.
Elle m’a renvoyé tout cela par écrit en février.
En mars j’ai envoyé ma demande de démission et un courrier dans le lequel je stipulais que j’acceptais le montant de l’IDV.
En juin tout était ok. Ma démission serait effective au 1er septembre et j’ai reçu l’argent fin août 2014.
Tout s’est très bien déroulé, cette personne a été très efficace. Tout le long de la procédure nous avons communiqué par mail, chaque fois que j’avais une question et j’ai toujours obtenu une réponse rapidement. Bref de ce côté l’aide a été très efficace.
Quelle est actuellement votre activité professionnelle et quels services y proposez-vous ?
Actuellement, je travaille avec mon conjoint à mi-temps (je suis chargée de l’administratif et de la comptabilité) de sa société. Ce travail « pour vivre » me permet d’une part de faire ma formation professionnelle : un Master en Psychologie du Travail à l’IED Paris 8, et d’autre part, grâce à l’IDV , je finance les travaux d’un gîte qui doit ouvrir au printemps prochain.
En quoi l’accompagnement d’une association comme Aide aux Profs vous a-t-il été bénéfique pour entreprendre votre projet ?
A plusieurs degré, d’une part j’ai pu découvrir les ouvrages de Rémi Boyer, et ceci m’a réconforté, en effet, je n’étais pas la seule, la méchante dame qui veut quitter ce formidable métier, que personne n’a envie de faire mais qui est formidable.
Déjà c’est pas mal de ne pas se sentir seule, et de savoir que des gens ont réfléchi à ce problème. J’ai donc pu faire le pré bilan de carrière, mon projet était déjà clair, mais ce pré bilan de carrière m’a permis de me poser des questions que je ne m’étais pas posées, de m’interroger sur des problèmes que je n’avais pas soulevé, et finalement de me conforter dans mon choix.
Grâce à l’association je me suis lancée sereine, motivée dans mon projet.
Devenir adhérent d’Aide aux Profs, ça signifie quoi selon vous ? Que pensez-vous apporter à votre tour à ce dispositif ?
Je veux aider les gens qui se sentent mal dans ce travail. Mon Master m’a appris que les choses peuvent être encore pire que ce que je pensais. Ce travail, (les autres aussi bien sûr) peut être destructeur, mais le souci c’est qu’ici, si l’enseignant est détruit, il détruit des enfants.
Il est donc indispensable d’aider les élèves. Je me suis rapidement rendue compte que lorsque ma motivation baissait, ma relation avec les élèves se dégradait, donc mon travail et donc le leur… Ceci n’est pas tolérable pour des professionnels de l’enfance. Je veux donc grâce à mon stage, répondre aux questions que se posent certains enseignants, publier des témoignages de profs qui sont partis, qui ont envie de partir, les aider à construire un projet. Et réaliser des pré bilans de carrière afin de permettre aux enseignants qui ont envie de partir, de leur permettre de mettre toutes les chances de leur côté afin qu’ils puissent mener à bien leur projet.
Quel a été votre parcours de carrière depuis la fin de vos études jusqu’au seuil de votre reconversion ?
Après des études d’assistante de service social que j’avais entreprises pour pouvoir être autonome rapidement, j’ai travaillé durant quatre ans dans ce secteur. Parallèlement, j’ai repris des études de lettres modernes par correspondance, plus par intérêt pour la matière que pour envisager une reconversion. J’ai entamé une maîtrise, mais mener les études et le travail de front devenait de plus en plus difficile. Je ne me sentais pas à ma place dans le social et j’ai décidé de prendre une année de réflexion en demandant une disponibilité pour partir une année à l’étranger en tant qu’assistante de langue française en Écosse.
De retour en France, j’ai demandé un poste de maîtresse auxiliaire et j’ai préparé le CAPES. C’est ainsi que je suis devenue professeure de français, en lycée puis en collège pendant vingt-cinq ans. J’ai notamment animé un atelier cinéma, des ateliers théâtre, et je me suis occupée d’enfants dyslexiques. J’ai toujours suivi des formations, car j’aime apprendre, un diplôme universitaire d’études cinématographiques, une licence de sciences de l’éducation et une formation à la relation d’aide entre autres. Enfin, j’ai pensé à une reconversion et j’ai préparé la formation d’écrivain public avec le CNED.
Pourquoi aviez-vous eu envie de devenir enseignant(e) ? Qu’avez-vous aimé/détesté dans ce métier ?
Je pense que j’ai eu envie de devenir enseignante par intérêt pour le français plus que par désir de transmettre. Et puis, je vais oser le dire, parce que je voulais changer le monde ! Enfin, je viens d’une famille d’enseignants et je ne me croyais pas capable d’autre chose… J’ai aimé une certaine liberté du métier, le fait de se retrouver seule dans sa classe, de pouvoir varier les livres à étudier, de pouvoir mettre en place des projets. J’ai apprécié aussi le fait de pouvoir organiser mon temps assez librement. J’aimais beaucoup le contact avec les parents, surtout en début de carrière, j’y passais beaucoup de temps. J’appréciais les activités que je menais en plus de mon enseignement de français, l’aspect culturel que je pouvais apporter.
Mais, dès le début, j’ai été gênée par la difficulté de travailler en équipe, ce que j’avais beaucoup apprécié en consultation médico-psychologique quand j’étais assistante sociale. Je me suis vite heurtée à des collègues que je trouvais peu ouverts, j’ai mal vécu une mesure de carte scolaire qui m’éloignait d’un établissement au sein duquel je m’étais beaucoup investie, j’ai été très déçue de constater qu’un projet et une formation que j’avais mis en place pour les élèves dyslexiques n’étaient pas du tout acceptés par certains collègues et étaient mis à mal par ma hiérarchie qui ne connaissait rien au problème et qui refusait de nous donner les moyens nécessaires et de composer les classes en fonction de ce problème. Je me sentais instrumentalisée, l’établissement mettait en avant un accueil pour ces enfants alors qu’en réalité, rien n’était vraiment mis en place pour les recevoir.
J’ai enfin détesté la langue de bois qui est de mise en réunion et la différence entre les discours et la réalité. Je ne pouvais pas accepter par exemple qu’on nous demande de valider des compétences alors qu’en fin d’année, tout le monde était validé par l’administration. Je n’ai pas aimé me rendre compte que je ne réussissais pas à vraiment aider les élèves, que je devenais de moins en moins patiente et qu’il était de bon ton de ne jamais évoquer les problèmes.
Enfin, mes propres enfants, précoces, n’ont pas été acceptés par l’EN et découvrir que nous ne réussissions ni avec les meilleurs ni avec les élèves en difficulté a été plus que déstabilisant.
Quelles compétences, qui vous sont utiles aujourd’hui, avez-vous développées dans votre pratique quotidienne ?
C’est une question difficile, les enseignants ont du mal à se rendre compte de leurs compétences. Je rédigeais souvent des projets, ce qui m’aide aujourd’hui à en présenter à d’éventuels clients, lorsque je prospecte pour un atelier d’écriture, par exemple. J’ai développé mes capacités d’écoute avec les parents d’élèves, ce qui me sert beaucoup dans mon métier de biographe. En ce qui concerne le français, j’ai un niveau en orthographe qui me permet de trouver du travail de correctrice, le fait d’avoir toujours enseigné cette matière m’a donné cette compétence. Je suis en mesure de travailler avec des professeurs des écoles pour bâtir des projets d’écriture longue avec leurs élèves, car j’aimais beaucoup enseigner cette partie du français. Je peux animer des groupes, ce que l’enseignement m’a évidemment appris.
D’après votre expérience des établissements scolaires, pour avoir cotoyé de nombreux enseignants, comment perçoivent-ils la reconversion professionnelle ? Et pour l’administration ?
Dans les établissements, la reconversion professionnelle est souvent considérée comme une « chance » ou comme une folie, même si je caricature un peu, je ne crois pas être loin de la vérité. Une chance, parce que beaucoup vont toujours se trouver toutes les excuses pour ne même pas envisager cette perspective.
S’ils sont seuls, ils ne le font pas parce qu’ils n’ont qu’un salaire, s’ils ont des enfants, il y a les études, s’ils vivent à deux, le conjoint ne gagne pas assez, etc. Enfin, ils ne voient pas du tout ce qu’ils pourraient faire d’autre.
Certains admettent aussi qu’ils ne sont pas prêts à renoncer à leurs vacances et au salaire. Je pense que toutes ces raisons ne sont que des leurres et je crois que beaucoup ont peur d’aller vers d’autres mondes dont ils n’ont souvent aucune expérience. En ce qui concerne l’administration, je ne peux pas vraiment répondre, je n’ai eu aucun retour de ma hiérarchie qui affiche une indifférence polie et distante. J’ai rencontré des personnes, une conseillère en mobilité notamment qui semblait très effrayée par la perspective d’une démission et n’avait pas du tout compris que je n’avais strictement rien à faire de « ma carrière ». Je ne sais pas si cela est juste, mais je ressens toujours une certaine méfiance de l’administration lorsqu’on parle de reconversion.
Quelles démarches avez-vous entreprises pour réussir ce changement ? Notamment, avez-vous démissionné avec une IDV ?
Je pensais prendre un mi-temps pour consacrer une partie de mon activité professionnelle à ma création d’entreprise, mais les choses se sont précipitées, j’ai fait un «burnout» (= syndrome d’épuisement professionnel) et il est très vite apparu que si je voulais aller mieux, il n’était plus question que je remette les pieds à l’Éducation nationale.
Après un arrêt maladie, j’ai obtenu une disponibilité pour création d’entreprise et j’ai démissionné six mois après pour percevoir l’IDV et ne plus être en relation avec l’EN. Pendant mon arrêt, j’ai rencontré une conseillère en mobilité et le RAPE, réseau d’aide au personnel enseignant de Lille. J’y ai obtenu beaucoup d’informations concernant des possibilités de reconversion, mais j’avais déjà mon projet en tête et je ne voulais plus de hiérarchie. Une profession libérale me convenait tout à fait.
Je précise que l’Éducation nationale m’a réclamé plusieurs fois et même encore en 2014 des preuves de l’existence de l’entreprise. Je vais aussi devoir rembourser une partie de l’indemnité : 2.700 € sur 48.000 € à la suite d’une erreur de calcul du rectorat, erreur qui résulte d’un retard de paiement de leurs services et d’une somme que j’ai pourtant perçue, mais en retard. Elle n’a donc selon eux pas à figurer dans le calcul. J’ai mal vécu ces différentes demandes, ayant la désagréable impression d’être encore harcelée par l’EN. Pour la création d’entreprise, j’ai été accompagnée par une Boutique de Gestion : BGE Hauts de France.
Que faire en cas de «burnout» pour vous ou l’un de vos proches ? Cette plaquette d’information vous informe :
http://www.technologia.fr/blog/wp-content/uploads/2014/09/4page[…]
Quelle est actuellement votre activité professionnelle et quels services y proposez-vous ?
Je suis à la fois écrivain public, biographe, correctrice et formatrice en langue étrangère. J’aide les particuliers à rédiger des lettres, j’écris leur autobiographie, j’anime des ateliers d’écriture dans les médiathèques, les associations et en milieu scolaire, je fais de la correction et de la rédaction pour des sites web et des éditeurs, je présente des ouvrages de sciences humaines dans une revue, et enfin, j’assure de temps en temps des cours de français aux étrangers.
J’ai créé mon auto-entreprise en 2012 :
Par les Chemins de Plume :
http://parlescheminsdeplume.fr
J’ai aussi ma page facebook pour cette activité :
https://www.facebook.com/parlescheminsdeplume
Devenir adhérent d’Aide aux Profs, ça signifie quoi selon vous ? Que pensez-vous apporter à votre tour à ce dispositif ?
Devenir adhérente d’Aide aux Profs, c’est avant tout faire partager mon expérience à d’autres, montrer que oui, il est possible de se reconvertir, et que c’est même selon moi une décision sensée, lorsque l’on ne supporte plus le métier d’enseignant. Depuis trois ans, je reçois régulièrement des demandes de personnes qui se posent la question de la reconversion et j’aime être à leur écoute pour y répondre.
Au-delà de la problématique enseignante, je suis persuadée que le monde irait mieux si chacun réussissait à trouver la place qui lui convient et à oser. J’avais failli un temps me reconvertir dans la relation d’aide et je pense que cette activité me permet d’assouvir cette envie. Il s’agit de témoigner, sans juger ou imposer ses convictions et j’aime pratiquer cette forme d’aide.
Sur le site du Café
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