Les évaluations CP, ce sera sans elles ! 

Valérie Zika Dussol est enseignante à l’école Saint-Pierre de Martigues (13). Elle enseigne depuis bientôt vingt ans, dont dix-sept en CP. Patricia Lartot est, quant à elle, enseignante en éducation prioritaire depuis 1983 et directrice de l’école Jules Verne de Mantes-La-Jolie (78) depuis vingt ans. Autant dire que les évaluations, elles en ont vu passer, ce ne seront ni les premières ni les dernières. Mais celles-ci les interpellent particulièrement, voilà pourquoi elles ont fait le choix du boycott.

 

« Ces évaluations plongent sciemment les élèves dans la difficulté  » 

 

Valérie tout comme Patricia ne font pas partie de la première vague de désobéisseurs, les premières évaluations elles les ont fait passer à leurs élèves même si elles doutaient de leur pertinence. « Mes élèves ont dû subir la première passation que je n’ai pas boycottée. J’ai adapté le protocole afin d’éviter de les mettre trop en difficulté. C’est terrible de dire cela …  Être contraint à une telle attitude est contraire à mon éthique professionnelle, à ce qui fait le sel de notre métier. En mettant mes élèves en difficulté, j’ai eu l’impression de les malmener. Parfois, il m’arrive de leur donner un travail trop difficile. Il s’agit là d’une erreur de ma part que je me dois d’analyser, de rectifier, en tant que professionnelle. Selon moi, l’institution a une toute autre attitude : elle plonge les élèves sciemment dans la difficulté et ce n’est pas admissible » explique Valérie.

 

Du côté de l’école de Mantes-la-Jolie, même son de cloche. Patricia reproche aux évaluations d’être « inadaptées » au niveau des élèves, « on demandait aux élèves une habilité phonologique complexe » ; ce qui, toujours selon elle, « envoie un message catastrophique sur l’école maternelle ». Valérie a du mal à ne pas croire à une volonté politique de « casse du service public » qu’est l’école. « Les exercices inadaptés dans les évaluations sont bien trop récurrents ». Mais ce n’est pas seulement sur le contenu qu’elle les attaque. Elle reproche aussi au ministère le rôle de l’enseignant lors de cet exercice. « La remontée des résultats consistait seulement à recopier les réponses des élèves, sans correction ni analyse de ces erreurs de la part de l’enseignant. Nous avons donc été traités en simples exécutants. L’institution est en train de nous déposséder de notre capacité de réflexion ». 

 

Des évaluations éloignées de la réalité de la classe

 

Comme beaucoup d’autres enseignants que nous avons interrogés, et qui reflètent la réalité du terrain, Valérie et Patricia ne sont pas contre les évaluations standardisées. « Les évaluations standardisées peuvent se justifier si elles permettent d’analyser le système éducatif dans son entier. Mais, dans ce cas- là, un échantillonnage de classes est suffisant. Inutile de faire passer les évaluations à tout le monde. Les évaluations standardisées proposées par le ministère pourraient aussi être un outil, une aide pour les enseignants dans leur classe sans obligation de passation ni de remontée. Les maîtres pourraient alors avoir toute latitude pour les intégrer, tout ou partie, dans leurs propres protocoles d’évaluation. Mais on voit bien que les évaluations imposées aujourd’hui ne poursuivent pas cet objectif- là » explique Valérie.

 

Patricia rappelle que les enseignants construisent des évaluations régulières et bien plus précises au quotidien qui leur permettent d’aider au mieux les élèves qu’ils accueillent et qui s’appuient sur les programmes. Et puis, l’approche même de l’apprentissage de la lecture induite par ces évaluations l’inquiète. « Dans notre circonscription, il y a bien longtemps que l’équipe a impulsé une dynamique s’appuyant sur les travaux de Goigoux et donc du lire pour apprendre et lire pour comprendre. Loin de ces évaluations essentiellement centrées sur ma maîtrise du décodage, laissant peu de place à la compréhension, à l’encodage et à la production d’écrits ».

 

Une évaluation qui s’inscrit dans une logique de casse du service public d’éducation

 

Valérie estime que ces évaluations s’inscrivent dans la tendance actuelle « d’un pilotage par les résultats issu du new public management. Nous sommes soumis à une obligation de moyens ; c’est- à-dire que nous devons tout mettre en œuvre pour faire réussir nos élèves mais en aucun cas nous ne pouvons être soumis à une obligation de résultats : c’est comme si un médecin était évalué au nombre de patients qu’il parvenait à guérir : absurde, non ? Et donc, la meilleure façon de se débarrasser de son chien est de l’accuser d’avoir la rage. C’est aussi un moyen pour le ministère d’imposer ses propres méthodes puisque celles utilisées, soi-disant, ne marchent pas … Mais ce qui ne va pas, c’est bel et bien le protocole initial qui conduit à un taux d’échec anormalement élevé ». Pour Patricia, ces évaluations envoient un message fort aux enseignants, « le maximum de temps doit être consacré au déchiffrage, au détriment de tout le reste, de tout ce qui constitue l’apprentissage de la lecture ».

 

Refuser d’obéir, un choix pas toujours évident

 

Alors, refusant de continuer à « malmener » ses élèves et désirant rester maitre de son expertise, Valérie refuse de faire passer ces nouvelles évaluations, « ce sont toutes ces raisons qui font qu’aujourd’hui je refuse d’obéir ». Et, puis, comme elle le souligne si justement, faire passer ces évaluations, c’est arrêter tout le reste, « ce protocole est une entrave à la dynamique des apprentissages instaurée dans ma classe.  Je devrais donc tout arrêter pour faire passer les évaluations ministérielles, déconnectées de la réalité de ma classe ! ». Mais pour Valérie, ce choix n’est pas simple. Elle enseigne dans une petite école primaire de six classes dont quatre en élémentaire, elle est donc la seule enseignante de CP. De fait, prendre la décision de boycotter relève plus d’une volonté individuelle que collective. « Ma décision de boycott a été tardive puisqu’elle a été prise jeudi pour une passation qui débute ce lundi. Mais quand j’ai su que plusieurs écoles de ma circonscription se sont elles aussi décidées à désobéir, j’ai décidé de suivre la consigne syndicale de boycott ». Elle a décidé de profiter d’une réunion d’informations publique auprès des parents organisée très prochainement à la mairie de Martigues pour aborder la question de ces évaluations.

 

Dans l’école de Patricia, c’est le conseil des maîtres qui a décidé le boycott. Elle explique que « la pression est très forte sur les enseignants de CP dédoublés. Il faut leur faire confiance. Ils sont respectueux des programmes et doivent rester maître de leur pédagogie ».

 

Valérie conclut notre entretien, « désobéir est une décision difficile, inconfortable, une prise de risques, bien évidemment. Mais j’estime que le risque est encore plus grand de voir notre chère école publique remise en question et cela m’est insupportable ».

 

Des enseignantes engagées et respectueuses de leurs élèves même en ces temps mouvementés, où le ministre aimerait inscrire dans la loi la possibilité de bâillonner les enseignants…

 

Lilia Ben Hamouda

 

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Par fjarraud , le mercredi 23 janvier 2019.

Commentaires

  • Philippe55, le 23/01/2019 à 09:56

    Un discours hallucinant.

    Les enseignants sont des fonctionnaires qui ont un devoir d’obéissance hiérarchique et j’aimerais savoir comment ces enseignantes traitent les élèves qui refusent de leur obéir !

    J’ai une obligation   de moyens mais pas de résultats, c'est-à-dire que  je suis convaincue que les moyens que j’utilise sont meilleurs que ce que préconise le ministre et je n’ai pas de comptes à lui rendre sur le niveau de mes élèves à la fin de l’année. 
    On a déjà entendu cela : « responsable mais pas coupable ».
    Les résultats du classement PISA2016 plaçaient la France au 26ème rang sur 70 pays de l’OCDE  et  dernière du classement pour la question de l’inégalité des chances. Mesdames les enseignantes désobéissantes, continuez ainsi,  la France peut encore gagner quelques places jusqu’au  70ème rang.
    D
    ans toutes les professions, même en médecine et sur tous les postes de travail, ce sont uniquement  les résultats qui permettent d’évaluer l’efficience des procédures. Le meilleur médecin ou le meilleur hôpital c’est celui qui, à situations égales, obtient  le plus gros pourcentage de guérison. Il n’y a, à ma connaissance, aucun autre critère objectif et mesurable. 
    Et c’est bien là que le bât blesse.  Mesurer objectivement les résultats des élèves fait peur car c’est  implicitement permettre d’évaluer la "performance" des enseignants.
    Comme le ministre, je crois au pilotage par les résultats et au  "new public management". Je sais bien que cela ne fait pas partie de la culture enseignante, mais la recherche de la performance doit être permanente, à l’école comme dans tous les autres services publics.


    • Ann14, le 23/01/2019 à 20:13
      Mesurer objectivement les résultats des élèves
      Vous supposez donc que ces évaluations sont un outil de référence.
      Pourtant, le contenu 
       de ces évaluations, et leur interprétation qui a échappé aux enseignants posent problème.
      Ces évaluations, dans leur forme, contiennent ce que nous appelons des erreurs de débutant (des pièges qui emmènent les élèves à l'erreur au lieu d'évaluer ce qu'ils sont capables de réussir). 
      Et puis leur interprétation est discutable même si le débat n'est pas à l'ordre du jour : des élèves en CP lecteurs aisés sont classés dans les élèves à besoin d'aide ! Notre inspecteur, en voie off, nous conseille de dire aux parents qu'il y a eu un bug informatique....

      Rien d'objectif donc dans ces évaluations. et certainement pas un outil pour aider les enseignants à mieux appréhender les difficultés de leurs élèves.

      Le temps scolaire est dense et les programmes sont lourds. Les enseignants n'ont pas de temps à perdre dans des évaluations mal conçues aux interprétations discutables.
      Mais l'espace médiatique est utilisé pour que vous réagissiez de cette manière , en vous insérant dans le débat professionnel en toute méconnaissance du fond du problème....
    • Jean Maurice, le 23/01/2019 à 11:32
      Mesurer objectivement les résultats des élèves fait peur car c’est  implicitement permettre d’évaluer la "performance" des enseignants.
      Tiens c'est étrange, le ministère soutient la position inverse:  il n'est nullement question d'évaluer les enseignants!!! Votre langue a dû fourcher. Trop d'enthousiasme sans doute. Où alors, on nous aurait menti...
      Il faut évaluer les élèves pour en tirer des informations pertinentes. En cela la démarche du ministère est cohérente. Mais ces évaluations sont très approximatives quoique vous en pensiez. Elles indiquent par exemple qu'un élève ne réussit pas à faire X opérations en 1 min. Mais, en cas de score disons moyen,  le résultat n'indique pas si l'élève est lent à l'exécution ou incapable de calculer dans certaines situations. Rien ne fait apparaître les facteurs d'"échec" au test. La même remarque vaut sur l'identification des lettres qui n'indique pas quelles lettres sont connues ou pas, et encore moins à quelle vitesse chacune des lettres reconnues l'est. Cela vous dit juste qu'il faut apprendre les lettres avec untel, mais ça on le savait déjà. Ce n'est pas la cause de la baisse de performance en France, n'exagérons pas. Ces indications précieuses peuvent figurer dans les évaluations personnelles de certains enseignants. Cela oblige à faire un doublon, car on a besoin d'informations beaucoup plus fines que celles fournies dans les livrets actuels. Je ne doute pas qu'ayant le souci de faire progresser l'outil, le CSEN soit à l'écoute. Il l'a été entre les deux étapes pour aménager un peu mieux l'affaire. Notons tout de même, qu'on y considérait la première mouture parfaite. Il y a parfois des inflexions qui se font sans avoir besoin de revêtir un gilet sans manches et cela commence par ne pas mépriser les gens (même subalternes) avec qui on travaille.
      Je précise que je suis assez favorable aux orientations pédagogiques engagées. Je crois seulement qu'il est préférable de convaincre plutôt que de contraindre ou, pire, de menacer. Enfin, si les enseignants ne vous plaisent pas, c'est qu'il fallait les recruter différemment. Adressez-vous donc aux services dont c'est la mission.

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