Novembre 2006 - La formation des enseignants : La formation continue 

Au collège : former des profs dans leur établissement ? A quel prix ?

 

Parmi les multiples demandes faites à la formation des enseignants, celle de rendre possible le travail d'équipe ou les projets d'établissements grandit. Les chefs d'établissement, sommés de rédiger un " projet d'établissement ", d'organiser la " différentiation pédagogique " ou les " programmes personnalisés de réussite éducative ", cherchent à trouver des ressources extérieures pour les y aider. En effet, si certains enseignants sont convaincus de l'utilité de ces projets collectifs, d'autres n'y trouvent que nouvelles contraintes, réduction de leur " liberté pédagogique " ou mode pédagocratique inefficace pour régler leurs difficultés quotidiennes dans la motivation des élèves, la gestion de l'hétérogénéité ou avec les élèves " en rupture ".
Lorsqu'il fait sa demande au service académique de formation, le chef d'établissement a donc à la fois une idée assez nette de ce qu'il voudrait obtenir et de ce qu'il craint. Parmi ses buts, comprendre l'origine des résultats insuffisants des élèves de son établissement, relativement à l'échelon départemental, et engager les enseignants à harmoniser leurs manières d'évaluer, à programmer leur enseignement à partir des erreurs des élèves, dans le but d'une plus grande pertinence des démarches d'apprentissages… Le tout en deux journées réparties dans l'année, avec une vingtaine de profs dont certains ne sont pas totalement volontaires pour être là… Une paille !


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Profs en formation… Photo CP

Dans le même temps, le principal expose clairement ses craintes, exposées par les profs à qui il a parlé du projet : le dernier stage sur le même thème, deux ans auparavant, n'a pas été jusqu'à son terme, les participants ayant jugé, à l'issue de la première journée, qu'ils seraient plus utiles face à leurs élèves… Inutile de savoir ce que le formateur avait cherché à faire, l'expérience est dans toutes les têtes, solidement accrochée…

Face à une telle situation, la formatrice sait tout ce qu'il ne faut pas faire, et qui serait pourtant intéressant : passer deux heures à exposer la différence entre évaluation diagnostique et évaluation sommative, exposer ce qu'elle sait sur les acquis de la docimologie, faire un cours sur les théories sur l'apprentissage socio-cognitif, vanter les mérites de la différentiation pédagogique. Elle sait d'avance qu'elle sera au mieux écouté poliment, et que les profs repartiront en classe en pensant "Qu'elle vienne, elle, travailler avec Kevin et Anissa… Elle fera moins la maline…"

Elle prend donc la peine de venir rencontrer les enseignants, entre deux portes un midi. La rencontre n'a qu'un objectif : connaître les préoccupations des profs, entre 13h et 13h30… Evidemment, les réponses sont extrêmement variées : hétérogénéité, outils, devoirs, participation, discipline, décrocheurs, évaluation, découragement, place de l'oral, socle commun et programmes trop lourds, différences entre enseignants, difficultés à harmoniser, temps de travail, réunions… Mais le contrat est clair : c'est à partir de ces questions que la formatrice s'engage à travailler.

Au cours de sa préparation, elle recueille des livrets d'évaluation des élèves de 6e et des copies de brevet. Ce sera le matériau à partir duquel elle va tenter de s'approcher de la réalité de la classe pour entrer dans un monde connu des stagiaires. Un de ses objectifs va être de s'appuyer sur l'hétérogénéité du groupe (disciplines différentes, âge, différents rapports au métier décelés dans l'entretien préalable) pour montrer la variabilité de la perception de la tâche scolaire par les différents enseignants, sans en tirer a priori aucune conclusion sur celles qui seraient les "bonnes manières de faire".



Dans l'arène

La première tâche proposée est de regarder de près les réponses des élèves à un questionnaire de compréhension (ex. 30 des évaluations 6e 2006). Pour chacune, les enseignants sont amenés en petit groupe à imaginer si la réponse fournie par l'élève permet, ou non, à l'enseignant de savoir si l'élève a compris le texte. Au grand étonnement des stagiaires, le débat collectif qui suit est animé, les enseignants s'apercevant qu'ils n'ont pas du tout les mêmes critères d'évaluation de la réponse. Certains s'attachent à contrôler la conformité de la réponse de l'élève à la question, quand d'autres notent positivement dès lors qu'ils ressentent que l'élève a compris le texte. A ce moment, la formatrice prend garde de ne pas valoriser une des deux postures professionnelles, mais prend le temps de faire partager au groupe qu'il s'agit là de deux injonctions paradoxales faites aux enseignants (normer, classer, orienter versus aider, guider, accompagner, valoriser) que chacun décline à sa manière, avec son style dans le genre professionnel pour reprendre la typologie des ergonomes. A ce moment, elle peut alors faire un apport plus théorique sur les recherches en matière d'enseignement de la compréhension en lecture (qui concerne tous les profs) en montrant comme la psychologie cognitive demande d'organiser explicitement l'enseignement des différentes procédures qui permettent de comprendre un texte (inférences, mises en relation…), les questionnaires étant alors un moyen d'apprendre à comprendre plutôt que de vérifier si l'élève a compris…

A ce moment de la matinée, la formatrice commence à percevoir l'étonnement des stagiaires : on ne leur a pas encore dit ce qu'ils devaient changer

Poursuivant sa démarche, c'est désormais grâce aux épreuves de maths du Brevet qu'elle met les enseignants à contribution. Quelles compétences et savoirs nécessaires pour réaliser
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Le comportement des enseignants est alors tout à fait significatif : entre l'enseignant de maths pour qui ne pas maîtriser ce type de compétence dénote une incapacité à penser et à abstraire, et la prof de biologie qui s'est mise à croiser les bras dès qu'elle a vu les signes mathématiques, la vision de l'élève est radicalement différente. Là où le spécialiste de la discipline a du mal à se représenter la difficulté de l'élève, celle qui l'a vécu douloureusement dans son cursus scolaire personnel va faire vivre au groupe comment les sauts conceptuels successifs lui ont fait perdre pied, à l'entrée au collège. Et la formatrice, ayant alors pour mission d'organiser le débat respectueux entre les enseignants, aura alors plus de facilité à faire mesurer combien peuvent être difficiles à comprendre les difficultés des élèves, souvent largement invisibles aux spécialistes, qui maîtrisent pourtant les contenus et les étapes qu'il serait nécessaire d'enseigner pour que les élèves se noient moins souvent.



Socle commun et programmes, pas si loin que ça de la classe réelle…

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L'après-midi est consacré à deux questions posées par les stagiaires : les programmes, le socle commun, la notation… La formatrice a pris le temps de photocopier trois documents : les programmes de français de collège, le référentiel de compétence de fin de SEGPA, et le fameux socle commun. La consigne : quelles compétences peut-on attendre, non pas des meilleurs ou des moyens, mais de chaque élève sortant du collège, en matière de production d'écrit ?

A la grande surprise des stagiaires, qui n'ont pas forcément pris le temps d'éplucher la prescription, le socle commun (présumé outil au service de la " baisse des exigences ") n'est pas si loin du référentiel CFG des SEGPA, fabriqué par des militants de la réussite des élèves en difficulté dans les années 80… La discussion est passionnée, que la formatrice doit faire redescendre sur Terre avec sa consigne : "en fonction de nos échanges, notez les rédactions de brevet dont j'ai masqué les annotations. Evidemment, nous ne sommes pas dans la même situation que le correcteur du Brevet (barème précis imposé), mais nous allons voir…"

La suite est édifiante. Chaque "correcteur" note 8 copies avant de découvrir la "vraie" note : telle copie notée 4 au brevet obtient entre 6 et 11, telle autre entre 6 et 17… Là encore, sans moraliser, la formatrice rend possible l'échange sur ce qui peut justifier de tels écarts. Là encore, le groupe prend conscience que c'est le propre positionnement de chacun dans la norme scolaire, sa manière de prioriser la forme ou le contenu qui explique la relativité de sa note. Dernière traîtrise, elle informe le groupe qu'elle avait pris soin de ne faire corriger que des copies qui avaient eu une note inférieure à la moyenne, et que leur correction a refabriqué une courbe de Gauss entre 7 et 14, vérifiant là les savoirs de la docimologie…

Sans y toucher, la formatrice a fait sentir au groupe la force de sa propre hétérogénéité, pour peu qu'elle ne s'instaure pas comme juge de l'orthodoxie présumée de tel ou tel. Elle a montré que le savoir disciplinaire était indispensable pour comprendre les processus d'apprentissage, mais que le regard porté sur l'élève, la posture professionnelle de l'enseignant était très prégnante.

Rien ne dit si la prochaine session sera efficace, si les enseignants accepteront de venir, comme ils s'y sont engagés, avec des traces de productions d'élèves ou des situations concrètes de réussite qu'ils ont pu mettre en œuvre. Mais une chose est sûre : deux collègues sont venues la voir à la fin de la séance pour lui préciser qu'elles acceptaient d'être filmées en classe pour faire un éventuel matériau d'échange professionnel pour la prochaine fois, et plusieurs lui ont fait un petit sourire complice en lui disant "à la prochaine fois"…

Patrick Picard

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