Novembre 2006 - La formation des enseignants : La formation continue 

Comment ça s'organise ?

 

 

"Ah, tu travailles pour la formation ? Bah… tout ça… Ce n'est pas là-dessus que je compte pour m'aider à faire classe… " Cette brève et triviale apostrophe d'un collègue " de terrain " traduit bien la vision qu'ont nombre d'enseignants de la formation continue… Au mieux, un moment où on va prendre l'air en espérant tomber sur " quelqu'un de bien ", au pire une injonction supplémentaire qui va vous culpabiliser de ne pas être un "enseignant-comme-il-faut"…



Plan de formation : des contraintes multiples

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Formation continue dans le premier degré
Photo CP

Une fois passé le moment de rancœur, le formateur doit bien se rendre compte que ce sentiment ne se fonde pas sur rien : la plupart du temps, la proposition de formation qui lui est faite est le fruit de tant d'arbitrages successifs que personne n'est vraiment responsable de son contenu. Qu'on en juge : la plan de formation continue s'organise, presque un an avant, par le croisement de plusieurs contraintes :

- les moyens disponibles, évidemment, de plus en plus réduits à variable d'ajustement. Dans un système éducatif dont les dépenses sont à 99% constituées par les salaires des personnels, une des seules ficelles sur laquelle un décideur peut tirer est la somme qu'il va octroyer à la formation, que ce soit pour le nombre d'emplois utilisés pour remplacer les enseignants en stage (1er degré) ou pour les crédits disponibles pour payer la formation (intervenants, remboursements de frais, organisation matérielle. Ces dernières années, on a vu nombre d'inspecteurs d'académie supprimer tout ou partie du plan de formation, simplement parce que le déficit budgétaire se creusait, ou réduire le nombre de titulaires-mobiles affectés à la formation, au motif qu'il devait rendre des emplois ou mieux remplacer les enseignants malades.
- Les priorités nationales et académiques, souvent nombreuses en regard des moyens disponibles (maîtrise de la langue, évaluation, PPRE, langues vivantes, TICE…). Le cahier des charges académiques doit en tenir compte.
- Les corps d'inspection ont leurs priorités, qu'elles entendent faire respecter. A partir de ce qu'ils ont identifié, de leurs commandes rectorales ou académiques, des ressources de formateurs dont ils disposent, ils vont avoir un certain nombre de demandes de formations
- Les demandes locales, d'établissements, de bassin, autour des projets d'établissements, parfois partagés par les équipes, parfois portés par le seul chef d'établissement
- Les contraintes institutionnelles : dans le premier degré, le fait qu'il faille mettre en stage les professeurs stagiaires pendant trois semaines impose en retour d'envoyer à l'IUFM le même nombre d'enseignants pendant trois semaines, consommant ainsi une grande part des ressources de formation continue sans qu'on puisse s'interroger sur le fait que d'autres formes de formations puissent être au moins aussi efficaces… Dans le second degré au contraire, l'absence de moyens de remplacement pour les enseignants en stage impose aux chefs d'établissements une gymnastique dangereuse pour organiser les cours et les remplacements des absents. Elle peut aussi conduire les enseignants à renoncer à leur formation pour ne pas aggraver le climat de travail dans l'équipe de son établissement…
- Les ressources de formateurs, à l'IUFM ou ailleurs, sont ce qu'elles sont. Il ne leur est pas forcément possible de répondre à une commande, elles doivent tenir compte des moyens et des services dont elles disposent, du sur- ou du sous-service de tel ou tel enseignant qui sera, selon le cas, indisponible ou obligatoire…

Devant la multiplicité des priorités, et la faiblesse des ressources, le plan de formation construit est donc souvent une cote mal taillée qui doit répondre à de multiples sujétions. Dans le second degré, les stages se résument souvent à des actions très courtes (une journée, voir deux jours filés). Les difficultés structurelles de communication entre les étages (IA, établissements, IEN, IPR, rectorat) rendent précaires les formations inter-degrés, souvent jugées prioritaires pour parvenir aux questionnements communs nécessaires.

Dans le premier degré, ou les temps de stages atteignent souvent plusieurs jours, l'articulation entre les différents formateurs (profs IUFM, conseillers pédagogiques, IEN…) ne va pas de soi : imaginer un fil rouge, vérifier la cohérence des intervenants, passe souvent en retrait devant les difficultés à préparer ensemble, les contraintes de service ou les multiples sollicitations.



Formateur d'enseignant : quelles compétences ?

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Du point de vue des contenus, il est encore rare qu'une négociation préalable puisse avoir lieu entre formateurs et stagiaires : que vient-on chercher ? Quelles sont les difficultés que rencontrent réellement les enseignants dans les classes ? Vont-ils oser faire état publiquement de leurs soucis, oser se " mettre en danger " devant le groupe de pairs si prompt à juger, ou se réfugier dans le " pédagogiquement correct " de ce qu'ils pensent avoir le doit de dire à des formateurs ?

A ce sujet, prend-on toujours le temps de mesurer (cf. le point de vue de Frédéric Saujat sur l'analyse du travail) combien les enseignants, profession historiquement solitaire, sont sommés de "s'expliquer" par leurs inspecteurs, les parents… et les formateurs ! Conséquence légitime et paradoxale, on voit souvent des enseignants ne pas oser s'inscrire en formation, ou ne s'inscrire que dans des domaines où ils sont déjà très avancés, sans doute parce qu'ils ont le sentiment que la formation va davantage les mettre en danger que les aider. Incidemment, on comprend alors pourquoi les statistiques montrent que ce sont souvent les mêmes qu'on retrouve en formation, mais on est toujours démuni lorsqu'il faut imaginer une modalité qui permettrait de favoriser le départ de tous en formation, autour de questions partagées… Evidemment, la "désignation " par l'inspecteur ne règle dans ce cas rien, et risque même de renforcer la culpabilité de celui qui se retrouve envoyé en formation pour remédier à ses présumées carences personnelles.

Cette réalité demande donc de s'interroger sur les compétences à acquérir le système de formation continue, sommé à la fois de faire acquérir de nouveaux savoirs aux enseignants pour les rendre plus " efficaces ", mais qui sait qu'il ne peut y parvenir par une attitude surplombante, au risque de renforcer la prescription au lieu d'accompagner les enseignants pour les aider à décoder leur activité professionnelle, généralement à plusieurs…

Les formateurs, souvent les mêmes que ceux qui interviennent dans la formation initiale, sont-ils dans la même posture professionnelle quand ils travaillent avec des stagiaires PE2 ou PLC2 et quand ils travaillent avec des enseignants confirmés ? Viennent-ils avec des connaissances théoriques, didactiques, pédagogiques qu'ils vont plaquer sur les enseignants, ou vont-ils avoir la capacité d'ancrer leur travail sur les difficultés professionnelles ressenties comme prioritaires par les formés ? Vont-ils avoir la possibilité d'accompagner les enseignants dans leur perfectionnement professionnel, faire des aller-et-retour entre la classe réelle et l'IUFM, ou seront-ils contraints d'ignorer le " métier réel " au profit d'une didactique savante ? A quelles occasions les formateurs eux-mêmes auront-ils la possibilité d'approfondir leur connaissance de la classe, d'échanger sur ce qui leur fait difficulté lorsqu'ils forment des enseignants, de s'approprier les nouveaux savoirs disponibles dans leur discipline, mais aussi dans le champ beaucoup plus large de la recherche (psychologie sociale, cognitive, sociologie, ergonomie…) dont la maîtrise ne peut que contribuer à éclairer l'acte professionnel du formateur.


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Michel Fayol, ex-instit devenu référence en matière de recherche scientifique, exprime un point de vue rare dans le domaine de la formation, dans le dernier "spécial Ecole" du magazine Sciences Humaines. Il manque dans l'Education nationale, dit-il en substance, un maillon essentiel entre les savoirs de la recherche et les savoirs du terrain, capable de faire le lien entre deux mondes étanches : une recherche qui explore finement une tout petit morceau de l'acte d'apprentissage, et les enseignants soumis à chaque instant à l'urgence et à la complexité de la classe. Ceux qu'il définit comme " ingénieurs de formation ", susceptibles de connaître suffisamment les deux extrémités du système, devraient être ceux à qui reviendrait la responsabilité de "mettre en musique" les différentes contraintes dans le but de formations efficaces.

Assurément à inventer, pour réduire les défenses légitimes de ceux qui, chaque jour dans la soute de la classe, désespèrent de trouver l'appui nécessaire pour pouvoir reprendre leur respiration…


Patrick Picard

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