Colloque "Les politiques locales d'éducation" Poitiers 7 et 8 juin 2005 

Yves Dutercq : Craindre davantage les pouvoirs locaux que l'Etat ?

 

Le pilotage de notre système, centralisé, est une référence mondiale. Il est aujourd'hui soumis à des pressions soit supra-nationales, soit infra-nationales. C'est commun à toutes les politiques publiques.

Les transformations récentes font émerger de nouvelles formes de territoires : des agglomérations, des territoires réduits, des espaces supra-nationaux. Beaucoup de ce qui se fait de nouveau en éducation est à l'origine des villes ou de l'Europe. On assiste à un changement de mission de l'Etat, garant du principe de Liberté plus que du principe d'Egalité, délégué aux instances locales, comme le contrôle d'accès aux ressources.

Beaucoup d'analyses récentes pointent de nouvelles formes d'éducation, le danger de marchandisation, de concurrence libérale. Cette menace pèse sur nos systèmes nationaux, issues de l'importance des lobbys libéraux (OMC, OCDE, Banque Mondiale, Europe), développant la concurrence entre établissements de manière pernicieuse, comme un quasi-marché. La régulation politique cherche à placer la sphère économique sous son contrôle, pour construire un équilibre entre contraintes économiques et respect des principes citoyens.

Pour autant, l'Etat est-il le meilleur garant ? Le seul contrôle de l'Etat est lointain et insuffisant. Les instances de régulations intermédiaires locales ont une puissance bien plus grande : on associe le contrôle de l'Etat-régulateur à d'autres producteurs de normes de gouvernance, qui est à l'œuvre en Europe dans les villes et les régions, en donnant du sens à l'action publique, en croisant les ressources des différents réseaux. C'est ainsi que je comprends l'idée de territoire de la décentralisation.



Liberté des acteurs, gouvernance

La gouvernance, c'est l'ensemble des régulations qui sont à l'œuvre sur un territoire défini, avec leur jeu de conflits de pouvoir, de diversité, qui va assurer à la fois la compétences technique et le poids démocratique. On n'est plus sur des absolus idéologiques, mais sur des compromis multi-régulés entre acteurs n'ayant pas les mêmes intérêts directs. Les dispositifs régulateurs s'additionnent, se sédimentent. Imaginer que le système d'Etat lui-même ne serait pas issu de multiples compromis serait nier l'Histoire.

Yves DutercqLa participation des usagers, mais aussi des partenaires sociaux est le premier temps de la décentralisation. Depuis les années 80, l'Etat se désengage davantage, au profit des pouvoirs locaux, sous le contrôle des représentants de l'Etat. Cela va dans le sens de la gouvernance démocratique, même si ça n'est pas toujours le cas dans le concret. Mais ce qui nous intéresse ici, c'est l'idée qui fait son chemin. Plusieurs instances sociales sont à même de faire des demandes à l'école, souvent contradictoires et peu coordonnées, et à les faire pression : groupes de parents, enseignants, directeurs, IEN, maire… L'ouverture de négociations dégage en même temps un espace de revendications conflictuelles. On parle de " fragmentation " de l'environnement institutionnel, avec le risque que certains établissements passent sous la dépendance de tel lobby si la puissance centrale renonce à son influence.



Régulation, dérégulation

Les lieux d'arbitrage se multiplient : local, départemental, régional, national, européen, global. Les routines les plus solides de l'administration sont remises en cause par l'émergence de processus divers, au niveau local comme au niveau européen. Des pays de tradition centralisée renforcent les pouvoirs locaux, alors que dans le même temps l'Angleterre juxtapose un renforcement du contrôle de l'Etat (programmes) en même temps qu'il renforce l'autonomie des établissements.

On ne voit pas réellement de cohérence globale, tant les tensions ne sont pas uniformes, au delà des mots d'ordre de renforcement de l'efficacité et des pouvoirs locaux. Il faut donc analyser simultanément les forces à l'œuvre aux différents échelons du système (local, régional, national…) aux différents niveaux (primaire, secondaire, supérieur).



Qui doit réguler ?

Jusqu'à une date récente, pour l'Education, la régulation était le fruit d'une entente entre administration et professionnels. Mais aujourd'hui, la confiance de l'administration dans les enseignants baisse, et renforce le risque qu'elle autorise la régulation par le marché. V. Lang défend l'idée que les enseignants risquent de passer à un corporatisme étroit (par exemple sur l'attachement au redoublement) qui prendrait le risque de le mettre en opposition avec les intérêts même des élèves.

La difficulté du système d'éducation à intégrer les nouvelles données de l'ordre social, impose de demander :

  • aux professionnels et aux responsables une bien plus grande " redevabilité " : qu'a-t-on fait, et pourquoi on l'a fait ?
  • à l'Etat d'assumer sa mission de régulation des régulations afin de garantir aux citoyens la protection contre les risques auxquels le soumettent les conflits d'intérêts des différents acteurs locaux, sans quoi le risque de dé-nationalisation existe.

Mais si je voulais tenir le rôle de l'avocat du diable, je dirais : ne mythifions pas. Pourquoi craindrait-on davantage (ou moins) le pouvoir territorial que le pouvoir national ? Si on veut imaginer trouver des solutions, il faut trouver des manières " soft " de discuter sans se jeter des épithètes à la figure. Qu'on le veuille ou non, on vit dans une société multiculturelle qui nous impose de discuter, même entre gens qui n'ont pas le même système de valeur. Peut-être n'est-ce pas plus mal que lorsque les gens imaginaient prendre le pouvoir sur l'esprit des autres…

 

Notes : P. Picard

 

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Par ppicard3 , le .

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