Colloque "Les politiques locales d'éducation" Poitiers 7 et 8 juin 2005 

Antoine Prost : Point de vue historique

 

Le premier problème historique est celui du rapport entre l'Etat et des collectivités, chacun cherchant toujours à faire payer l'autre. Le second est celui de l'organisation interne de l'Education Nationale : le système changeant de nature en changeant d'échelle après la seconde guerre mondiale, l'organisation devait changer. Troisième problème, les problèmes pédagogiques : le lien entre ce qui doit être enseigné et le système, dans un système dominé par la concurrence scolaire.



La mise en place au XIXe siècle : l'Etat tisse les mailles de son filet.

L'Etat est totalement incapable, faute de relais départemental, d'imposer son autorité administrative. L'Etat abandonne l'enseignement primaire à l'Eglise, déjà largement occupé à trouver 36000 maires. Le primaire est l'objet de contrat entre la mairie et l'école, pour une durée déterminée, y compris en définissant les autres métiers qui lui permettront de vivre. La rétribution scolaire mensuelle des parents permet à l'enseignant de vivre, souvent en allant jusqu'à tendre la main dans les foyers.

Lorsque Guizot prétend en 1833 obliger les communes à un minimum d'obligations, il encadre les écoles sur l'exigence du brevet élémentaire pour l'enseignant, instaure le contrôle, l'inspection, les dates de vacances… Les IA apparaissent en 1836, qui sont de simples bacheliers qui inspectent les écoles. Les Inspecteurs Primaires apparaissent dans les années 1880, avec la gratuité, puis la fonctionnarisation des instituteurs en 1889. L'Etat récupère pour se faire un impôt spécial levé à cet effet par les communes, sauf dans les grosses villes à qui on impose en outre l'indemnité de résidence. C'est donc un prélèvement sur les contribuables citadins en direction des ruraux, dans le fil de la conquête par les républicains des campagnes.

Le secondaire fonctionne tout à fait différemment : les lycées sont moins nombreux que les collèges communaux, identiques sur l'objectif d'enseignement, mais seuls établissements dont l'Etat est le financeur des déficits de fonctionnement. Les internats payants contribuent à subventionner l'externat (le fonctionnement pédagogique), essentiellement pour les garçons. C'est à l'époque le seul moyen pour la bourgeoisie rurale de faire éduquer ses enfants. Mais 50% des enfants vont vers le privé, jusqu'à la guerre de 1945.

Concernant les bâtiments, des négociations de marchands de tapis associent l'Etat et les collectivités, chacun payant environ la moitié des constructions.
Les collèges communaux, rassemblant quelques centaines d'élèves dans des classes peu chargées, et une quinzaine de professeurs au maximum, fonctionnent différemment : l'internat est au compte du principal, l'externat financé par la rétribution collégiale (externat) payante, même pour les petites classes. Le déficit est couvert par la subvention de la ville, négociée dans un contrat de 5 ou 10 ans qui précise ce que va verser la ville, pour qui c'est une charge considérable (15 à 20% des dépenses de son budget). Mais le payeur négocie aussi le contenu : on développe des enseignements attractifs, courts, qui vont concerner les élèves du canton.

Antoine ProstMais les initiatives des villes, peu connues par les recherches sur l'enseignement d'état, sont nombreuses. Elles cherchent à mettre en œuvre des enseignements concrets, orientés sur les filières professionnelles. Nantes conserve son Ecole Primaire Supérieure très longtemps. Les villes ont les moyens de leurs ambitions en matière d'enseignement professionnel. En général, l'administration de l'Education Nationale freine pour ne pas menacer l'existence du collège local. Parfois, elle peut aussi être pragmatique et favoriser la création d'école primaires supérieures, quand l'offre publique est trop maigre, ou que les besoins locaux en matière de main d'œuvre spécifique sont importants (classes d'apprentissages directement branchées sur les entreprises locales). Les communes investissent lorsqu'elles gardent le contrôle sur le contenu pédagogique, le recrutement des maîtres… en s'affranchissant des règles de l'éducation nationale.



Comment le système est ébranlé et tente de se réformer

La construction de l'appareil de l'Etat est peu contestée par les collectivités locales.
Mais une critique se fait jour sur les lycées, d'être des maisons sans âmes, sans lien entre les disciplines. Lavisse lui-même, défenseur des programmes s'il en fût, demande à " détruire l'université des collèges. L'uniformité crée et perpétue cet individualisme du maître dont les conséquences sont si graves " (1895). Une commission demande (déjà) que l'Université gagne" un peu de cette liberté dont jouissent ses concurrents ", qu'on la délivre d'une centralisation excessive qui réduit les proviseurs à la solitude et à l'absence de contact avec les régions dans lesquelles ils vivent. On demande la fin de la " juxtaposition des chaires " qui permettent de réduire la mobilité des professeurs. En 1821, une circulaire demande que tous les mois, on se réunisse pour parler de la vie interne du collège. Elle reste lettre morte. En 1874, Jules Simon demande la même chose en demandant l'élection d'un conseil pour rassembler les professeurs et donner une " vie propre " aux établissements. C'est un arrêté de 1890 qui crée les conseils de classe et les conseils de discipline.
Mais en même temps, en 1892, une réglementation sur le service des enseignants bride les conditions de fonctionnement, ce qui réduit la marge du chef d'établissement.



La réforme des lycées

A la fin du XIXe siècle, les lycées sont en grande difficulté budgétaire. L'Internat, qui nourrissait l'ensemble, cesse de devenir rentable du fait de la baisse d'effectif d'élèves et du sureffectif des maîtres-répétiteurs dont le statut à été garanti par une circulaire précédente.
En 1901, on sépare le budget de l'internat et de l'externat, à qui on attribue une subvention pour 5 ans, avec un conseil d'administration garant de l'organisation budgétaire, mais sans représentant des enseignants. On recrée un pouvoir local, sous la houlette du proviseur responsable du recrutement des surveillants.

Après la guerre de 1914, le bouleversement social de l'inflation financière, puis la gratuité du second degré fait perdre toute perspective d'équilibrer les budgets, même si les établissements professionnels résistent mieux avec l'instauration de la taxe professionnelle en 1924 (qui va contribuer à développer ce type de formation). L'intégration sous Vichy des écoles supérieures en collèges modernes ou techniques fait exploser les budgets.
Dans le même temps, le nombre d'élèves accueillis par la prolongation de la scolarité. Les collectivités ne peuvent plus suivre et c'est l'Etat qui prend le relais, tant les villes sont prises par l'urbanisation. L'investissement éducatif des villes se réduit. Les élus font pression pour que leurs lycées soient nationalisés.



Les 45 dernières années : changement de point de vue.

On retrouve les trois problèmes énoncés dans l'introduction :

  • - on ne gère pas un système qui passe de 300 à 8000 établissements publics secondaires. En 1962, on attribue aux recteurs la gestion des lycées, ce qui renforce considérablement la charge de travail et la professionnalisation des recteurs. On passe de 16 à 23 rectorats, on donne des moyens : on passe de 400 à 3000 fonctionnaires en quelques années. L'Education Nationale se met à former des administrateurs, invente de nouveaux statuts avec la création des CASU et des SASU. On renforce l'inspection en inventant les IPR, on invente des structures de régulation des tensions (parents dans les conseils de classe en 1969 et les conseils d'école en 1975). Mais pendant cette période, les collectivités locale ne sont pas dans le jeu. Pour aller vite dans les constructions nécessaires, l'administration centrale avance à marche forcée, sans aucune discussion possible par les élus.
  • - Il faut attendre 1985 pour voir la création des EPLE, dans une époque d'épuisement financier de l'Etat, malgré des besoins de construction et d'entretien de lycées. Les collectivités locales y mettent des moyens que l'Etat n'aurait pas mis.
  • - Au point de vue pédagogique, dans la situation exacerbée de la loi Savary, les sondages montrent que les établissements privés du second degré sont meilleurs que le public, même sur la compétence des maîtres ou la neutralité politique. La volonté de Savary de regrouper public et privé dans des bassins communs rend nécessaire de réformer les établissements privés, pour mettre en place les projets d'établissement, afin de définir le " caractère propre éducatif " d'un établissement d'enseignement public. Mais la crainte de manifestations de rue fait reculer Matignon, avant de réapparaître dans la loi de 1989, afin que chaque établissement identifie ses spécificités, ses difficultés, ses ressources propres. Il n'échappera pas à ses dérives bureaucratiques, malgré des souplesses indéniables : Dotation Horaire Globalisée ou marge de manœuvres informelles.

Depuis le XIXe siècle, les municipalités acceptent de payer sans qu'elles ne contrôlent le fonctionnement pédagogique. La compétence des collectivités va se faire sentir, selon moi, sur les types d'établissement : on préfère insister sur les formations qui ont de l'intérêt sur le développement local plutôt que sur les humanités. Les problèmes d'aujourd'hui sont les mêmes que ceux d'hier… Si on veut que le système marche mieux, il faut accepter de penser que le lieu le plus important du système éducatif, c'est l'école ou l'établissement. Et pour que l'établissement fonctionne, il ne faut pas qu'il ait 12 interlocuteurs dans chaque division. Il faut qu'il n'en n'ait qu'un, doté du pouvoir de parler de l'ensemble des sujets importants pour le fonctionnement de l'établissement. S'il existe des divisions spécialisées dans les rectorats, c'est évidemment pour de bonnes raisons. Quand un inspecteur d'académie ne peut disposer d'aucune marge de manœuvre pour le pilotage, il ne peut pas faire grand chose.

 

Notes : P. Picard

 

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