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Dossier : Droits des femmes 

Par François Jarraud


Pour que les droits des femmes ne soient pas reconnus qu'une seule journée dans l'année, ce dossier apporte analyses et données.



Droits des Femmes : Balayons les idées reçues !

Mise à l'index d'albums jeunesse, contestation du rôle éducatif de l'école, promotion des stéréotypes de genre comme valeurs « structurantes », machisme, homophobie, racisme exprimés sans scrupules : les propos tenus sur la scène politique actuelle ont de quoi inquiéter. Mais ces crispations conservatrices ne sont-elles pas le simple contre-coup des avancées voulues par les acteurs publics ? C'est l'idée soutenue par les intervenants de la conférence-débat organisée par  l’association «l’Égalité c’est pas sorcier », la FSU, la Ligue de l’enseignement et Femmes solidaires, mercredi 5 mars au Conseil régional Île-de-France, sous la présidence d'Henriette Zoughebi, vice-présidente de la Région Île-de-France. En une dizaine d'interventions denses et éclairantes, les participants ont dressé un bilan sombre mais mobilisateur de la lutte pour l'égalité, qui reste un enjeu politique de tout premier plan.


Balayer les idées reçues soulève la poussière...


 « Balayons les idées reçues », proposait les organisateurs de la soirée. Mais la lutte contre les stéréotypes est loin de faire consensus. Les déclarations rétrogrades qui émaillent les récents discours politiques témoignent des progrès qui restent à faire, malgré les avancées déjà accomplies. Autour d'Henriette Zoughebi et d'Ernestine Ronai, coordonnatrice nationale de la Miprof (Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains), une dizaine d'intervenants sont venus croiser leurs points de vue sur les difficultés nouvelles surgies dans le sillage de la Manif pour tous et des JRE. Points saillants : la résurgence forte de l'homophobie et de l'idéologie religieuse, venue cliver lourdement les débats.  Clara Delahaie, rédactrice en chef de Clara Magazine et intervenante en milieu scolaire, témoigne de la défiance suscitée chez les élèves par la mise en cause des missions éducatives de l'école à l'occasion des JRE. Dans un environnement scolaire très violent en termes d'inégalités et de sexisme, où l'enfermement dans les réseaux sociaux, la menace du harcèlement et la tyrannie de la réputation sont prégnantes, « le travail qu'on fait est salutaire : il permet de susciter l'insurrection des élèves contre ce en quoi ils sont enfermés », dit-elle, avant d'évoquer les difficultés croissantes rencontrées sur les questions de sexualité ou d'IVG. En aiguisant les peurs et la méfiance, on renforce la chape des idéologies dominantes, remarque H. Zoughebi.


La peur des mots et des images


Dans un texte remarquable, « La grand peur des livres », Geneviève Brisac, écrivaine et éditrice, éclaire l'effroi qui s'empare des contempteurs de littérature enfantine : peur de l'intime, du secret, du spirituel qui s'ouvre entre un être et un livre. Ces livres qui sortent les enfants de la tristesse, de la solitude, qui sauvent et qui « apprennent à ne plus avoir peur des gens bien habillés, qui vous méprisent, qui portent un uniforme et qui ont de grosses voix. » Une peur des mots et des images contre laquelle s'élève Florence Schreiber, bibliothécaire, qui propose sur le site des Médiathèques de Plaine Commune la Malle Egalitée, 31 ouvrages contre les stéréotypes, assortis de conseils de présentation. Quant à Thierry Magné, éditeur de littérature jeunesse, il s'étonne encore de la polémique qui a entouré l'album Tous à poil, très peu vendu avant sa soudaine mise en lumière par Jean-François Copé : « C'est une manière de pervertir notre travail d'éditeur et celui des auteurs qui mettent tant de leur vie dans leurs livres, estime-t-il. Je ne me suis jamais posé la question du genre, du sexe... Je ne vois pas où est le problème. » Il se propose d'ailleurs de rééditer bientôt l'ouvrage de Christian Bruel, Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, paru en 1976 aux éditions du Sourire qui mord, et qui interroge la question de l'identité de genre.


Le « vieil arrangement machiste » de la grammaire française


Dans une intervention filmée, l'écrivaine Marie Desplechin souligne le piège des conventions linguistiques, qui apprennent très tôt la domination du masculin sur le féminin. Ce faux neutre qui n'est d'ailleurs « pas euphonique » pourrait s'effacer devant la règle de proximité qui permet l'accord avec le genre du mot le plus proche. « Que les hommes et les femmes soient belles », dit en exemple l'affiche de la soirée. Un détail ? Pour l'auteure, la langue reflète le système d'organisation d'une culture. Si le « vieil arrangement machiste » reflété par la langue française évolue, la grammaire peut en rendre compte, sans forcer et sans dommages. C'est en tout cas une proposition que soutient Henriette Zoughebi : ce que disent les mots est essentiel et le langage ouvre tous les possibles. C'est bien pourquoi la littérature fait peur : « elle ouvre un autre espace mental et nous donne la possibilité de réécrire le monde, dans un autre temps que l'immédiateté. Elle nous apprend qu'il y a d'autres possibles. » Laisser la langue refléter la domination du masculin forme les esprits à admettre une situation dont on oublie qu'elle est contingente. Déconstruire le sexisme y compris dans le langage, c'est ouvrir une nouvelle liberté à la pensée.


L'incapacité, caractéristique récurrente de la féminité


Xavière Gauthier, historienne, rappelle en un court et brillant exposé l'historique de l'obtention du droit de vote par les françaises. L'occasion de montrer l'intrication subtile entre éducation et sexisme dans le processus de dévalorisation des femmes, récurrent tout au long de l'histoire. Quand l'enjeu est l'admission des femmes aux droits humains universels, l'approche différentialiste se faufile dans les interstices du discours, sous prétexte d'hommage - à la fragilité, à la maternité ou à la délicatesse féminine. C'est par égard pour la « nature » domestique de la femme qu'on l'écarte de l'instruction et par le constat de son incompétence qu'on l'exempte de responsabilité politique. L'imprégnation sexiste de l'éducation associe la civilité à la dépréciation implicite des femmes : il serait grossier de ne pas leur reconnaître l'incapacité spécifique qui qualifie leur féminité. La femme, complément de l'homme, reste ainsi aux marges inférieures de l'humanité. Une infériorité de statut auquel l'évolution des lois sur la famille s'efforce de remédier, comme le rappelle Édouard Durand, juge pour enfants. La transformation de la « puissance paternelle » en « autorité » paternelle puis « parentale », relègue le rôle de la domination masculine et d'un droit à la violence domestique au profit de l'égalité des parents pour la protection (« l’intérêt ») de l’enfant. Mais cela n'empêche pas  les tribunaux de juger plus sévèrement les comportements parentaux des femmes ; et la nostalgie d'une « l'autorité paternelle » fortement coercitive plane sur les débats sur la lutte contre la délinquance juvénile.


Travailler sur les concepts pour lutter contre les idéologies inégalitaires


Le piège du différentialisme joue aussi son rôle réducteur par le biais du respect des différences de culture, remarque avec force Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue. A force de rabattre le culturel sur le cultuel, on concède toutes les prérogatives au communautarisme identitaire, au détriment des valeurs universelles. Ce sont elles pourtant qui, transcendant le particularisme, fondent l'échange et le dialogue entre les cultures. La bataille pour l'égalité des sexes se joue d'abord dans la défense de la laïcité contre les idéologies religieuses, affirme Chahla Chafiq, contre la réduction des cultures à des dogmes religieux envahissants. Les discours idéologiques identitaires jouent à plein contre l'égalité ; pour les déconstruire, on a besoin d'un vrai travail sur les concepts, de définition, de distinction, pour restaurer des repères de raison dans un contexte où toutes les idées se mélangent sans ordre. 


La mission éducative de l'école, projet de société


Des repères qui concernent aussi et d'abord l'école, affirme Bernadette Groison, présidente de la FSU. La question de savoir ce que doit transmettre l'école relève d'un projet de société : on lui demande de faire passer des savoirs, des valeurs, une mémoire collective que la société, elle,  n'assume pas. Comment voudrait-on que cela puisse aller de soi ? Ce projet doit être pensé et assumé collectivement : on ne peut pas, dans le même temps,  dénier à l'école sa mission d'éducation, semer la défiance à l'égard de ses contenus, et lui demander de se montrer garante d'une continuité des valeurs de la société. On doit accepter que l'école puisse déconstruire des représentations pour acquérir des connaissances et des savoirs, insiste B. Groison, et pour permettre aux élèves de réfléchir et d'agir librement. Dans le contexte de crise actuel, les attaques frontales contre l'école, qui ciblent la promotion de l'égalité filles-garçons, révèle un projet politique de société inégalitaire et contre-émancipateur. La mise en cause des ABCD de l'égalité ou la suspicion jetée sur la Ligne Azur (dispositif d'écoute pour les jeunes homosexuels) en sont des signes explicites.


Les manuels scolaires, toujours résolument sexistes...


L'institution scolaire n'est pourtant pas exempte de sexisme, dans sa structure interne comme dans ses supports d'apprentissage. Amandine Berton-Schmitt, du Centre Hubertine Auclert, qualifie de désastreux les résultats d'une enquête sur l'égalité femmes/hommes dans les manuels scolaires : la représentation des femmes par rapport aux hommes y avoisine les proportions de 5 à 95%, en mathématiques, en littérature, en Histoire... Les femmes dans la Résistance, remarque-t-elle, font l'objet d'une double-page en annexe, comme les châteaux forts au Moyen-Âge. Une place d'anecdote pittoresque, participant d'un processus d'invisibilisation qu'il importe d'étudier et de décrypter pour en comprendre la portée politique.


Un constat plutôt sombre, dans l'ensemble, mais qui reflète aussi le sursaut de crispation des tenants d'un ordre qui tend à s'estomper devant les évolutions vivantes de la société et les progrès effectifs du droit. « Il faut comprendre, souligne en conclusion Amandine  Berton-Schmitt, que la persistance des stéréotypes dans les mentalités n'est pas un fait neutre, c'est un parti-pris politique. Mais la lutte contre ces stéréotypes, elle aussi, est politique. Par conséquent, elle n'est pas hors de portée ! »


Jeanne-Claire Fumet


Balayons les idées reçues !

http://ledefifeministe.blogspot.fr/2014/02/balayons-les-idees-recu[...]

Centre de ressources pour l'égalité femmes-hommes Hubertine Auclert :

http://www.centre-hubertine-auclert.fr/le-centre-hubertine-auclert

Site des médiathèques de Plaine -Commune :

http://www.mediatheques-plainecommune.fr/opacwebaloes/index.aspx



Femmes - Hommes : L'égalité reste un combat à l'Ecole et ailleurs...

Faites le point sur la parité, découvrez des pratiques pédagogiques pour éduquer à l'égalité. Une sélection de ressources pour changer l'Ecole et la société.


A l'Ecole...



Lutter contre les stéréotypes des élèves , par exemple "les filles vont-elles toutes en série L" : un site ouvert par  l'Onisep qui s'adresse directement aux élèves

http://objectifegalite.onisep.fr/#/1


Qu'en est-il de la parité dans l'Ecole : les statistiques de l'Education nationale montrent que le genre est encore très présent dans l'orientation des élèves : 92% de filles en St2S, 6% en STI2D, 42% en CPGE

http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/08/3/FetG_2014_305083.pdf


Dossier : Comment lutter contre les stéréotypes de genre à l'école : avec une interview de Najat Vallaud-Belkacem

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2013/147_4.aspx


Les femmes qui enseignent et les autres : un dossier du Café : Rencontres avec des enseignantes et des chercheures

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2013-Journeedesfe[...]


Les hommes, les femmes, la parité en cours de français... Une étude réalisée par le Centre Hubertine Auclert apporte un éclairage net de la situation : les manuels scolaires renforcent l’exclusion des femmes du monde littéraire et artistique.

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/ed[...]


Promouvoir la parité à l'école : un dossier du Café francilien : des politiques volontaristes mais aussi des pratiques pédagogiques de terrain à découvrir.

http://www.cafepedagogique.net/regionales/Pages/idf28_Sommaire.aspx


Enseignant(e) : faire du métier un levier féministe ? La question est posée par Sophie Devineau.

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/10/24102013Ar[...]



Une vision internationale sur la parité en éducation et ailleurs...


Où vaut-il mieux être une femme ? La parité dans le monde vue par l'OCDE : en France plus qu'ailleurs, les femmes s'occupent de la famille quand les hommes regardent la télé. Mais où la situation des femmes est-elle meilleure ?

http://www.oecd.org/fr/parite/accueil/

Par exemple

http://www.oecd.org/gender/data/balancingpaidworkunpaidworkand[...]


En Europe, selon Eurostat, les femmes sont plus diplômées mais elles accèdent peu aux filières scientifiques et d'ingénierie

http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/3-07032014-BP[...]


L'OCDE s'interroge sur ces inégalités d'accès sur son blog Education Today

http://oecdeducationtoday.blogspot.fr/2014/03/whats-at-root-of-[...]


The Economist nous dit où est le meilleur endroit pour travailler quand on est une femme

http://www.economist.com/blogs/graphicdetail/2014/03/daily-chart-[...]


En tous cas ce n'est pas dans les Zones Urbaines Sensibles (ZUS) nous dit l'ONzus qui publie ce 8 mars des statistiques accablantes : les femmes des quartiers populaires ont moins accès à l'emploi et sont plus précaires qu'ailleurs

http://www.onzus.fr/actualites#ONZUSINFOS0314


L'égalité ne passe toujours pas par le revenu nous dit l'Insee : "Trois femmes en couple sur quatre gagnent moins que leur conjoint, en tenant compte des revenus d’activité (salaires, revenus des indépendants) et de remplacement (chômage et retraites)", souligne l'Insee.

http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1492/ip1492.pdf


Le gouvernement ouvre ce 8 mars une plateforme sur la mixité des métiers

http://www.gouvernement.fr/gouvernement/une-nouvelle-etape-en-f[...]


Enfin le CNRS nous rappelle la véritable histoire du 8 mars

https://lejournal.cnrs.fr/articles/journee-des-femmes-la-veritable[...]



C. Lelièvre : La difficile ''fusion'' des corps féminin et masculin du secondaire

L'enseignement secondaire féminin a été institué en 1880 avec des cursus spécifiques pour les jeunes filles et un encadrement spécifique féminin. Une école normale supérieure de filles ( celle de Sèvres) a été chargée de former l'élite des professeurs femmes, à l'instar de celle d'Ulm pour les professeurs hommes. Et deux agrégations féminines ont été mises en place en 1884, puis quatre en 1994 (lettres, histoire, mathématiques, sciences physiques et naturelles), moins nombreuses et moins spécialisées que celles qui existaient alors pour les hommes ( lettres, grammaire, mathématiques, sciences physiques, sciences naturelles, histoire, philosophie, allemand, anglais).


Après la première guerre mondiale, la société des agrégées créée en 1920 réclame l'assimilation des enseignements secondaires masculin et féminin et l'égalité des carrières des professeurs après des débats internes difficiles (certaines agrégées, par exemple la directrice de l'ENS de Sèvres – Anna Amieux – tenant à la différenciation de l'enseignement féminin secondaire masculin et féminin au nom de la nature et du destin spécifique de la femme).


Un référendum a lieu sur ce sujet en 1922 . Les professeurs de l'enseignement secondaire féminin votent in fine massivement pour l'assimilation sans condition. Mais, sur 1914 votants masculins, 485 seulement se prononcent en ce sens ; 160 s'abstiennent ; 310 mettent des conditions ( égalité de titre  préalable à l'égalité des droits et des traitements) ; 950 ( soit la moitié) votent contre et voient dans l'égalité assimilatrice « danger social, injustice et inutilité » (ne pas rire : ce sont les ancêtres de Finkielkraut).


Claude Lelièvre



Sur le site du Café


Par fjarraud , le mardi 25 mars 2014.

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