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Parité : Quelle place pour les femmes dans nos cours de français ? 

Par François Jarraud, Jeanne-Claire Fumet


 

La journée internationale contre la violence faite aux femmes, le 25 novembre, et le premier jour du Rendez-vous des lettres, nous invite à observer la place des femmes dans les manuels scolaires de français. Une étude réalisée par le Centre Hubertine Auclert apporte un éclairage net de la situation : les manuels scolaires renforcent l’exclusion des femmes du monde littéraire et artistique.


"Que les hommes et les femmes sont belles". Accord improbable ? Dans Athalie, Racine n'hésite pas à utiliser l'accord de proximité :  "Surtout j'ai cru devoir aux larmes et aux prières consacrer ces trois jours et trois nuits entières". Une règle que l'Académie française a supprimée en même temps qu'elle excluait pour 3 siècles les femmes de son assemblée. Pour Racine, le masculin ne dominait pas obligatoirement le féminin dans la grammaire française. De nombreuses féministes, notamment celles de l'association "L'égalité c'est pas sorcier",  souhaitent voir revivre l'accord de proximité qui traite également les deux sexes.


Le Centre Hubertine Auclert a déjà analysé les manuels de maths et de sciences, comme le Café l'a signalé en son temps. Le 22 novembre elle publiait un rapport sur la place des femmes dans les manuels de français de seconde.


Première révélation : " Sur les 13 192 occurrences de noms de femmes et d’hommes réels recensés dans l’ensemble des manuels, il y a 6,1% de femmes contre 93,9% de noms masculins". Sur les 254 biographies de personnalités recensées à la fin des manuels scolaires, seules 11 sont des biographies de personnalités féminines. " Le rôle des femmes dans la production littéraire est quasiment imperceptible dans les manuels étudiés. Sur l’ensemble des textes littéraires et théoriques étudiés, seuls 5% ont été produits par des auteures", continue le rapport. "La majorité des textes principaux étudiés en classe sont écrits par des hommes. L’exclusion des femmes du champ littéraire au cours des siècles n’est pas mentionnée dans les manuels. Le rôle des femmes qui tenaient des salons littéraires dans la production de connaissance est largement minimisé."


La place des femmes dans la littérature est minimisée. " L’objet d’étude Genres et formes de l’argumentation aux XVIIe et XVIIIe siècles présent dans les manuels de seconde générale et technologique pourrait être davantage investi. Olympe de Gouges n’est pas étudiée. Condorcet ou encore Poulain de la Barre, connus pour s’être engagés pour l’égalité entre les femmes et les hommes ne sont pas mentionnés. En outre, de nombreuses écrivaines et dramaturges, célèbres et prolifiques à leur époque peuvent être davantage mentionnées, parmi elles : Marie de Gournay, Aphra Behn, Antoinette Des Houlières, Marie-Catherine de Villedieu, Delarivier Manley, Susanna Centlive, Louise d’Epinay, Anne-Marie du Boccage, Marie- Jeanne Riccoboni". Pour le centre Auclert , " les manuels scolaires renforcent l’exclusion des femmes du monde littéraire et artistique. Il semble qu’elles n’aient pas droit de cité dans l’histoire littéraire et artistique française car elles sont extrêmement sous représentées dans les manuels scolaires".


Au final, le Centre ne remettra aucun prix. Un manuel semble meilleur que els autres, il s'agit du Belin, mais sans atteindre le niveau minimum exigé par le Centre.


F. Jarraud



H. Zoughebi : "Il faut aller au bout de la démarche. Inscrire l'égalité au coeur des programmes "

Vendredi 22 novembre, Henriette Zoughebi, vice présidente de la région Ile-de-France en charge des lycées, sortait d'une rencontre avec 6 lycéens du dispositif "Jeunes pour l'égalité". Elle fait le point sur l'action du conseil régional pour défendre l'égalité garçons filles. Une idée qu'elle veut défendre concrètement, jusque dans les enseignements.


Le Centre Hubertine Auclert a étudié les manuels de français. Vous-même vous animez une association féministe. Quelle conclusion de cette étude ?

On n'a pas pu décerner de prix car aucun manuel ne remplissait vraiment les critères parmi les manuels de français. Les manuels comptent trop peu de femmes auteures. Dans les oeuvres étudiées on les femmes apparaissent comme des muses, des personnages de roman stéréotypés. Elles ne sortent pas des schémas traditionnels. On se demande pourquoi on n'étudie pas en classe L'école des femmes  ou Les caprices de Marianne, des oeuvres qui dénoncent à leur façon la situation des femmes.  Il y a donc encore beaucoup de travail à faire.


Comment ces préoccupations sont-elles accueillies par les élèves ?

On constate une réelle prise de conscience chez les lycéens. Il y a un vrai appétit d''égalité. Les élèves regrettent d'ailleurs souvent que les enseignants ne régissent pas davantage aux insultes sexistes.


Quand on parle de parité à l'école on pense tout de suite à l'orientation. Que peut-on faire pour éviter que le genre oriente l'avenir des jeunes ?

Il faut faire prendre conscience des évolutions dans le monde de l'entreprise. Par exemple beaucoup de métiers de la production, grâce aux machines et au numérique ne nécessitent plus de force physique et peuvent se féminiser. Notre engagement au conseil régional c'est soutenir la recherche de dignité des jeunes. Par exemple quand il y a des jeunes qui sont minoritaires par leur sexe dans une filière on doit les accompagner. La région peut leur offrir un lieu de parole pour faire face aux difficultés, par exemple un accompagnement psychologique. Il faut se rendre compte ce que c'est à cet âge d'être isolé dans une filière. Il faudrait que les enseignants appuient aussi ces jeunes.

Mais l'orientation ça doit aussi se travailler en amont, au collège si l'on veut que les choses bougent dès la troisième. C'est pourquoi j'ai demandé au Conseil supérieur des programmes qu'il intègre dans chaque groupe de travail disciplinaire une féministe. Il faut qu'on arrête de faire la séance féministe de 2 heures mais que la préoccupation féministe soit inscrite au coeur des programmes. La domination des hommes sur les femmes est quelque chose de socialement construit. Les jeunes répercutent des siècles d'histoire. Il faut donc que l'Education nationale ait le courage de porter cela. Et ce sera plus facile si les manuels scolaires et les programmes intègrent ces questions. C'est un fil qui doit être développé tout au long de la formation.


Il y a d'autres sujets ?

Les jeunes évoquent aussi un autre aspect de la parité à propos de la liberté sexuelle. C'est une préoccupation première chez les jeunes. Ils nous le disent. Or pour beaucoup d'entre eux la question du consentement dans la relation entre homme et femme  n'est pas claire. Le respect ce n'est pas clair. Et ça doit aussi être travaillé. J'ai eu beaucoup de réunions avec les jeunes. Ils parlent de la rumeur, du mariage forcé, de choses de la vie quotidienne. Le lycée doit faire ce travail citoyen avec eux. Il doit alerter les jeunes  sur ces problèmes pour les aider à réagir. Sur la rumeur il y a tout un travail à faire pour nommer les choses, par exemple.

Surtout, on ne peut pas entendre un jeune se déclarer victime ou auteur d'un viol et ne rien faire. J'ai proposé qu'une victimologue puisse intervenir dans les lycées et venir en aide aux victimes et aux agresseurs quand ils  prennent conscience de ce qu'ils ont fait. Ca passera par les infirmières scolaires qui pourront dans les 48 heures faire intervenir une victimologue pour un travail sérieux avec les jeunes. Je prends cela très au sérieux.

Il y a une prise de conscience grâce au travail du Ministère des droits de sfemmes, grâce aussi au fait que la parité est inscrite dans la loi d'orientation de l'Ecole. Il faut aller au bout de la démarche. On n'a jamais eu d'aussi bonnes conditions pour avancer.


Propos recueillis par François Jarraud


Le Centre  Auclert

http://www.centre-hubertine-auclert.fr/associations?page=1

Manuels de français

http://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/images/[...]



Sur le site du Café


Par fjarraud , le lundi 16 décembre 2013.

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