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Ressources numériques, et si nous imaginions accompagner les usages pédagogiques que les nouveaux services nous promettent ?
 

Problématique : En dix ans nous sommes passés du CD-ROM et du DVD aux ressources multimédias en ligne, des manuels papier aux manuels numériques enrichis,  … Les ressources pédagogiques numériques éditoriales et les informations qui permettent de les sélectionner de manière pertinente sont désormais diverses et disponibles par de multiples entrées. Mobilisables sur de multiples supports, en local ou à distance, l’existence d’une offre cohérente et facilement compréhensible reste encore peu lisible pour les enseignants.

Les enseignants sont des bricoleurs de ressources et se sentent limités par l’institution qui demande d’avoir la main sur des ressources vérifiées et dans le respect des droits. Les éditeurs tentent de s’adapter à la demande croissante d’interactivité et d’appropriation des produits proposés. L’institution axe l’avenir sur une meilleure lisibilité et sur l’élargissement de l’offre légale, tout en accédant à la demande des enseignants de fabriquer plutôt que d’utiliser, en proposant des grains pédagogiques.

Sandrine Geuquet est enseignante en premier degré en Wallonie. Comme ses collègues français, elle est à la recherche de ressources, et notamment pour tablettes, puisqu’elle participe à une expérimentation lancée par la Communauté Française (notre EN) en classe de CP (1ère année en Belgique). Sa première remarque est que les applications proposées par les éditeurs (en l’occurrence Apple et Ibooks Author) sont vite épuisées pour son niveau. Elle préfère donc  « bricoler » elle-même ses ressources à partir de la banque illimitée d’Internet, faisant fi des droits d’auteur, estimant l’enrichissement de son enseignement comme la seule priorité. Oh, comme nous nous reconnaissons dans ces pratiques ! Elle souligne ensuite la difficulté de sélectionner les applications proposées par exemple sur Edumobile http://www.edumobile.be/fr/APPLICATIONS/iapps.html , car il faut les tester au préalable.

Pour répondre à la difficulté qu’éprouvent les enseignants à repérer les ressources utilisables en toute légalité, Roger Masson, chef de projets TICE pour la Région Rhône-Alpes, nous parle de Correlyce, un catalogue régional ouvert de ressources éditoriales en ligne pour les lycées de la région PACA, et de son intégration dans l’ENT. Ce service propose un Bouquet de ressources validées et transversales (4 titres d’encyclopédies), un catalogue de ressources éditeurs payantes ou non, choisies par l’établissement, validées par un comité territorial, et un moteur de recherches en cours de perfectionnement.

Anne Lechene, de  BIC éducation présente la solution Bic Connect, pensée pour le primaire. Le logiciel permet la préparation de séances en étant créateur ou utilisateur de ressources, l’importation de ses propres documents, un accès Internet encadré et intégré dans des séances. La plateforme intègre des bibliothèques organisées comme base de ressources,et sera ouverte à tous en novembre, à l’issue de l’expérimentation actuellement menée dans les écoles pilotes inscrites. Une réponse, donc, à la problématique soulevée par notre collègue wallonne.

http://www.bic-education.com/page/logiciel

Alain Thillay, chef du bureau des ressources pédagogiques à la DGESCO, recense les actions menées au niveau du ministère ces 10 dernières années, à travers les sites de recensement de ressources (citons la clé pour démarrer, le Catalogue Chèque Ressources, ressources pour l’Ecole Numérique Rurale du CNDP…). Les travaux en cours s’axent vers un point d’accès unique pour exposer les ressources : l’ENT. En effet, il y une abondance de ressources spécifiquement conçues pour l’Education sur les sites institutionnels tels  Edubase,  PrimTice, et une multiplication des outils et des supports de consultation à distance. Il faut en outre proposer des ressources adaptables et modulables, donc plutôt sous forme de grains ou granules pédagogiques (la plus petite unité pédagogique d'un parcours). Le projet Edutech vise à partir d’octobre à regrouper les ressources des établissements publics à caractère scientifique et culturel. Il suffira de s’inscrire avec son adresse professionnelle pour avoir accès à des ressources qui resteront hébergées sur ces établissements (y compris sous droits), avec une possibilité de télécharger, utiliser en ligne et dans la classe (exception pédagogique). Le ministère travaille également à une amélioration des informations sur les sites académiques et disciplinaires et à une meilleure mutualisation des productions des enseignants.

Déborah Elalouf, des éditions Tralalere, assure qu’aucun des anciens supports de contenus n’a disparu en 10 ans, contrairement aux idées reçues, et que le CDrom n’a pas disparu de la demande. Elle replace l’importance du professionnel de l’édition : bricoler ses propres ressources, c’est bien, mais les supports rich media sont difficiles à créer seul. Les éditeurs sont à l’écoute des besoins des enseignants et observent la façon dont ils détournent les produits du marché pour les faire évoluer en permanence (exemple de leur produit  Vinz et Lou qui a intégré au fil des années des vidéos, des jeux interactifs, est devenu un serious game, s’est adapté aux nouveaux formats, à un changement de diffusion - avant diffusé majoritairement dans les écoles, il a été mis sur Youtube avec un énorme succès). La prochaine évolution sur demande des enseignants sera celle du passage en web2.0, avec la possibilité pour l’enseignant de s’approprier la ressource et de la modifier.

Anne Broquet nous présente la richesse des ressources proposées sur le portail de la BNF- http://classes.bnf.fr/index.php , accompagnant les expositions virtuelles de dossiers pédagogiques enrichis. Le partenariat avec certains musées élargit l’offre. Il y a actuellement des modules de différents types utilisables de façon autonome, dont 40000 images commentées.

Mathieu Le Masson présente les travaux de l’Institut National Géographique et des portails mis à la disposition des enseignants  http://www.edugeo.fr/ qui propose des  cartes pour l’étude de l’évolution d’un territoire, des outils pour rendre les informations exploitables - tracer des zones, des légendes, des scenarios par zone géographique, le tout pensé par des enseignants et  téléchargeable pour travailler hors ligne. L’évolution ira vers une intégration de l’EDD et de l’économie avec un partenariat avec l’INSEE, par exemple.
Une bonne nouvelle : Edugeo intègre la plateforme Edutech à la rentrée et sera désormais gratuit.

La discussion finale touche aux droits d’auteur et à la propriété intellectuelle : que faire des contenus apportés par les élèves ? Pourquoi n’adapte-t-on pas plus vite le juridique aux véritables besoins ? Le problème de l’évaluation des ressources est également soulevé : les faire évaluer par les pairs serait très intéressant.

Expression 2.0 des élèves et culture numérique à l’École

Problématique Comment accompagner les élèves dans un choix critique et raisonné des outils, des ressources et des usages du numérique ? Expression 2.0 des élèves et culture numérique (collaborer, s’exprimer, créer) : quelle place à l’École ?

L’institution met en avant les actions qu’elle mène en faveur du soutien du numérique à l’école, au niveau de tous ses acteurs. Mais elle ne souffle mot de l’utilisation des réseaux sociaux, et affirme sa volonté de poursuivre dans la voie engagée, dans un souci d’éducation citoyenne, sans réelles innovations. Le CNDP, lui, doit garder son public, et montre moins de frilosité, déclarant les pratiques courantes des apprenants prescriptrices, et il est donc prêt à franchir le pas des réseaux sociaux comme supports de production. Dans l’enseignement catholique, on valorise et développe les compétences acquises hors de l’école en les confrontant à des professionnels du cinéma. Au lycée, on réfléchit et expérimente la participation à des réseaux sociaux « sérieux », les bibliothèques partagées.

Blandine Raoul Réa, de la DGESCO, inaugure cette table ronde par la diffusion de la vidéo de promotion de l’institution pour l’introduction du numérique à l’école. Je ne sais pas si c’est ce petit air léger et décontracté qui l’accompagne, mais, tiens, tout est soudain plus radieux, surtout l’avenir !

http://www.dailymotion.com/video/xvuzj6_faire-entrer-l-ecole-dans-l-ere-du-numerique_school

Vient ensuite un bref récapitulatif des actions d’accompagnement des  élèves et des enseignants dans ce « nouveau » mode d’expression multiforme, plébiscité par tous, apprenants, familles et enseignants : l’éducation aux médias à travers les programmes par le CLEMI, la rénovation du B2i, le maintien des dispositifs tels l’accompagnement personnalisé ou les TPE permettant le travail collaboratif et la production personnelle…

Le numérique induit de nouvelles compétences à développer : aller chercher l’information  et l’organiser ; il est indispensable d’aller vers plus de pluridisciplinarité et de collaboration de la communauté éducative entière : CPE, direction, car le numérique à l’école dépasse le cadre pédagogique, il nécessite un accompagnement de l’élève dans l’usage raisonné et responsable du Net.

Du côté des enseignants, des actions d’accompagnement sont également menées, comme les groupes de travail TRAM (Travaux académiques mutualisés) sont organisés, qui rassemblent autour d’une thématique des équipes disciplinaires pour produire des scénarios pédagogiques sur 1 année.

L’Education Nationale œuvre également la transformation des esprits, notamment au niveau des  personnels d’encadrement et d’inspection, qui sont également accompagnés ;  elle poursuit le développement des ENT et l’accompagnement à l’utilisation des ressources numériques, y compris en termes de droits d’auteur, et soutient la production, par exemple, de jeux sérieux).

Jean-Marc Merriaux, du CNDP, constate la présence d’une culture numérique chez les enfants et les adolescents, connectés de différentes façons à plus de 90%, mais s’interroge sur la nature des pratiques. Plus de 70% n’utilisent pas les réseaux sociaux dans un contexte scolaire. L’école doit-elle s’en emparer ? Les enfants produisent des contenus dès le plus jeune âge et jouent au moins 1 fois par semaine.

Comment prendre en compte ces usages dans la production et l’édition des contenus numériques ? Il est temps que les pratiques des élèves deviennent prescriptrices.

Si la production de films d’animation en classe n’est pas nouvelle, maintenant l’élève est en capacité de maîtriser les outils de production. Il est également en capacité de gérer plusieurs médias en même temps. La classe de demain devra le lui proposer. Il est donc temps non seulement de renforcer et déployer l’éducation  aux médias et à l’information, mais surtout de la repenser.

Françoise Maine représentante de l’Enseignement Catholique,  nous parle du Festival National du Film de Poche - http://www.infilmementpetit.fr/, qui s’empare des pratiques observées (ils aiment se filmer et diffuser en instantané sur les réseaux sociaux), ont des  pratiques d’exploration et de découverte permanente. Ils sont ici amenés à imaginer un scénario thématique et rencontrent des professionnels. Ils peuvent participer avec leur classe ou seuls, à partir de la 3ème. Leurs productions sont ainsi valorisées par les prix remis par un jury de cinéastes et d’enseignants (dans lequel on peut déplorer cependant l’absence de pairs). Les principes sont la création d’un film de 3 mn sur caméras embarquées tout support (y compris leur téléphone), la production d’image, en leur laissant du temps de réflexion entre le shoot et le share. De point de vue juridique, les autorisations de diffusion sont rigoureusement observées et le règlement signé par les parents des mineurs. Les évolutions notées en 3 éditions sont le fait qu’ils conçoivent de vrais scenarios, que leur participation les amène plus facilement à  choisir des filières artistiques en toute connaissance de cause, certains « raccrochent » au collège par le projet qui dure plusieurs mois. Le festival est aussi un lieu de rencontre avec des professionnels, avec une  confrontation des manières d’écrire.

Florence Canet enseignante documentaliste dans l’académie de Toulouse, nous montre une expérience de terrain menée dans le cadre d’une TRAM, en lycée. Il s’agit d’une activité de partage de signets collaboratifs sur la Social book marking  Diigo, dans le cadre des TPE en BTS. Il s’agit en d’autres mots d’une écriture collective dans une bibliothèque virtuelle. L’objectif était de faciliter la production des mémoires en groupe en stimulant (et vérifiant) la participation de tous, de remédier au copier/coller massif, de permettre la diffusion du travail, et d’apprendre à sélectionner les ressources utilisées (par l’annotation et le commentaire). Il s’agit donc bien d’une éducation aux réseaux sociaux, la protection des données étant assurée par l’utilisation seule du prénom. La  validation des productions était aussi bien faite par les pairs (fonction « j’aime »), que par l’enseignant. L’expérience s’est révélée très satisfaisante. Diigo a été choisi pour son côté sécuritaire : c’est  la console enseignant qui est utilisée pour créer le compte.

http://www.ludovia.com/2013/08/le-partage-de-signets-collaboratif-au-service-des-apprentissages/

Sébastien Reinders, Conseiller pédagogique TIC de la région de Wallonie francophone, nous explique le fonctionnement des institutions wallonnes, qui est sensiblement similaire au nôtre : le matériel est géré par la région, la pédagogie par la Communauté française.

En Wallonie, l’éducation aux médias se fait transversalement, les compétences sont travaillées librement par les enseignements. Les productions et pratiques de classe mettant en œuvre les TICE sont valorisées par la chaîne éducative Educatube, qui  promeut les travaux des élèves de façon sécurisée et validée. Educatube est un environnement fermé car il est institutionnel et pose le problème de la validation des sources sur un outil qui est la vitrine de l’institution. Donc ce n’est pas vraiment du web2.

http://www.educatube.be/homepage.php

Il existe un équivalent au B2i et C2i français : le Passeport TIC. Sa validation n’est pas obligatoire, de la même façon que l’utilisation de l’ENT, et ne dépend que de la motivation des enseignants. Les réseaux sociaux sont progressivement intégrés.

Puis sont soulevées dans la discussion finale animée par François Guité, enseignant et consultant en TICE au Québec, les problèmes de droits d’auteur, que l’on retrouvera tout au long de cette session de Ludovia. Il en émerge l’idée de la nécessité de créer de nouveaux droits : ceux par exemple permettant d’emprunter pour recréer. La question de la propriété intellectuelle est tout aussi importante : à qui appartiennent les productions des élèves ? L’accent est mis une fois de plus sur la protection et l’accumulation de nos données personnelles : quel usage détourné est-il fait de ces données sur le Net ?

Le compte-rendu sur le site de Ludovia par Lyonel Kaufmann et Laurence Juin

http://www.ludovia.org/2013/2013/08/27/table-ronde-expression-2-0-des-eleves-et-culture-numerique-a-lecole/

Collectivités, Etat : vous voulez évaluer demain, eh bien contractualisons aujourd’hui

 

Ludovia abrite comme l’an passé le séminaire « collectivités territoriales » qui permet, entre état des lieux et prospective, de réfléchir et de souligner le rôle des collectivités dans le développement du numérique éducatif. Pour elles, le numérique est un investissement dont le retour est peu ou mal évalué. Cette question de l’évaluation était au cœur des échanges en particulier mardi après-midi lors d’une table ronde sur le thème de « Gouvernance territoriale du numérique : s’adapter au changement et aux nouvelles compétences ». L’animateur, Laurent Brisset de l’ARF, résumait les données de l’équation: évaluer dans un contexte où les compétences sont partagées nécessite une gouvernance partagée. Il restait alors à définir les termes et les conditions de cette gouvernance.

 

 

 

Trois exemples étaient présentés pour éclairer les débats: ceux des Pyrénées Atlantiques, de l’Auvergne et de la Bourgogne. Dominique Provot de l’Agence Numérique 64 retraçait l’évolution de la politique numérique du conseil général des Pyrénées Atlantiques. L’équipement des établissements s’est d’abord basé sur un appui à des projets. Désormais le contrat numérique passé avec tous les collèges privilégie l’installation du même matériel partout avec un vidéoprojecteur par classe dont un sur deux sont interactifs. Le contrat peut inclure aussi en complément des équipements supplémentaires pour permettre la réalisation de projets ciblés et formalisés. La maintenance est assurée par cinq agents sur l’ensemble du département. La collaboration avec l’Education Nationale se déploie pour la mise en place de formations conjointes avec le CDDP. L’organisation de la journée e-education, journée d’apport et d’échanges associant le supérieur, constitue le point d’orgue de cette collaboration. Pour Dominique Provot, le partenariat collectivités-Etat est indispensable pour que l’investissement soit suivi de réalisations. Ce partenariat se construit petit à petit, dans des actions concrètes et co-construites comme la journée e-education. Il se concrétise depuis plusieurs années par une convention.

 

Charline Genet présente les axes du numérique éducatif en Région Auvergne. L’horizon 2017 verra l’arrivée du très haut débit pour les lycées et les collèges. D’ici là, une concertation Etat -collectivités territoriales est mise en place en associant tous les degrés de l’école, de l’enseignement primaire au lycée. Pour avancer ensemble et définir une stratégie globale, un comité de pilotage a été créé en 2012. Un schéma directeur, le Sconeta, est élaboré, gage d’harmonisation et de rationalisation des équipements. Il permet aussi de repérer l’existant et de cibler les investissements. En période de diète financière, l’argument est de poids. 

 

Philippe Molès consultant et conseiller aux usages du numérique, expose l’exemple bourguignon. Dans cette région, la formalisation des collaborations entre acteurs publics du numérique éducatif est allée encore plus loin avec la création d’un GIP (Groupement d’Intérêt Public) et d’être un interlocuteur unique pour l’éducation Nationale. Il a d’ailleurs été sollicité par la rectrice afin d’être un support pour la définition d’une stratégie numérique pour l’éducatif. L’existence d’une stratégie co-construite et concertée est importante pour donner un cadre et une direction dans lesquels les enseignants pourront développer leurs initiatives. Une direction claire donne plus de lisibilité et amoindrit les confusions, les risques de frottements entre incitations des collectivités territoriales et directives du ministère que peuvent ressentir les acteurs de terrain. Cette stratégie permet aussi de présenter un projet clair aux élus des collectivités favorisant une meilleure connaissance des enjeux du numérique éducatif et des moyens de l’équiper. Elle favorise l’inclusion d’indicateurs pour évaluer les avancées des projets et leur impact. La formation est également prévue à la fois pour les cadres et pour les enseignants avec comme objectif de favoriser une réflexion pédagogique. Pour Philippe Mollès, repenser la pédagogie est indispensable pour que le numérique tienne toutes ses promesses. La mise en réseau des acteurs est aussi un élément pour qu’au quotidien les initiatives se pensent et se réalisent dans les lycées de ville comme dans les petites écoles rurales.

 

L’exemple bourguignon illustre le souci de nombre de régions et de départements de favoriser la généralisation des usages en gommant les disparités de moyens. Les trois témoignages présentés, même s’ils offrent une vision positive de l’action collectivités/Etat en matière de numérique éducatif, posent toutefois en creux la question des rôles, de la gouvernance et de l’évaluation. Le rapport de l’Inspection sur l’expérience landaise est cité. Le manque de concertation de la part de l’Education Nationale peut amoindrir les effets des investissements des collectivités territoriales. Or, l’investissement est lourd pour elles et un retour est attendu. Comment évaluer ce retour ? Comment vérifier que le numérique a un impact réel sur les apprentissages ? Les échanges avec la salle montrent que les critères sont plutôt de l’ordre du qualitatif. La Région Auvergne a quant à elle utilisé Evalu ENT (dispositif d’évaluation des ENT mis en place par le Ministère) et mis en place des évaluations qualitatives des impacts des usages pédagogiques. L’évaluation est aussi un moyen de mesurer l’effet des actions pour les faire évoluer, favoriser leur généralisation. Elle parait donc indispensable et la diversité des évaluateurs liée au nombre d’acteurs impliqués dans le numérique éducatif, complique encore sa mise en place. La création d’un observatoire territorial parait nécessaire. Mais, autre question posée dans le public : comment évaluer de nouvelles pratiques dans un cadre qui, lui, n’a pas changé ?

 

La question de l’évaluation renvoie à la gouvernance, c’est ce que témoignages et échanges ont souligné lors de la table ronde. La réussite du numérique éducatif tiendra en partie à la capacité des acteurs politiques à travailler de façon concertée et à construire ensemble la stratégie numérique sur le territoire. La loi de refondation de l’école inclut d’ailleurs la possibilité d’un contrat tripartite entre la collectivité, l’Etat et l’établissement. Les projets numériques doivent se construire dans la concertation et dans le temps, dans un cadre négocié, contractualisé. Mais, le souligne Philippe Molès dans une belle conclusion, la réussite des projets tient aussi des individus, des relations qu’ils tissent entre eux. Alors, serait-on tenté de penser, le triptyque « contractualisation-évaluation-convivialité » sera le cocktail gagnant de la politique du numérique éducatif.

«La classe est-elle plus mobile avec le numérique ?»

Intervenants : André Delacharlerie Délégation Wallonie, Jean-Loup Burtin Directeur de la société FORMATICE pour BIC Education, Marie-Noëlle Martinez chercheur AC Toulouse (expérimentation tablettes au collège d’Albi, classe de 6ème), Michèle Monteils DGESCO et Jean-Paul Moiraud

Modérateur : Corinne Martignoni, DGESCO

Selon la très mauvaise habitude prise à Ludovia (sauf quand le modérateur est Eric Fourcaud), la table ronde ne l’est pas, et les intervenants ne font pas tous la même lecture du sujet à débattre. La confrontation va avoir lieu autour du terme de mobilité. Faut-il faire un bilan de l’utilisation des tablettes ou s’interroger sur la sédentarité des enseignants utilisant les nouvelles technologies en espace clos ? La mobilité est-elle celle des lieux d’apprentissage, des corps et des mondes virtuels, ou celle des supports que l’on peut mettre dans sa poche ?

Le thème de la mobilité était à l’honneur en 2011, je vous invite à relire les articles du blog du café. Pour Jean-Paul Moiraud, comme pour Jean-Loup Burtin, il faut parler aujourd’hui de mobiquité (la fusion des mots mobilité et ubiquité, qui décrit la capacité d'un usager en situation de mobilité à se connecter à un réseau sans contrainte de temps, de localisation, ou de terminal - wikipedia), et ça n’a rien à voir avec le format de l’outil, évidemment. La tablette permet la mobilité des corps, mais la mobilité des espaces est une histoire ancienne, liée pour Jean-Paul Moiraud à l’utilisation de la radio en classe dans les années 60. Invite à la mobilité tout appareil ou environnement qui permet la mobilité tout en restant assis, comme skype ou les mondes virtuels… une fois ces postulats posés, nous sommes libres de nous interroger sur les pratiques que génère cette mobiquité et sur ses applications didactiques.

Marie-Noëlle Martinez, André Delacharlerie et Michèle Monteils se focalisent sur les expériences menées avec les tablettes numériques, qui sont l’outil nomade dernier cri. En tant qu’enseignants, nous nous sentons tout de même concernés par les évaluations menées.

Marie-Noëlle Martinez nous présente son mémoire de M2 à partir de l’observation de l’usage des tablettes au collège d’Albi, en classe de 6ème. Les résultats sont à prendre en toute relativité, car sur une période de 5 mois seulement (la DGESCO nous confirme que la majorité des expérimentations a débuté en 2012), mais font écho à tout ce que l’on a pu entendre l’année dernière à Ludovia : toutes les conclusions sont positives, les tablettes sont plébiscitées par les parents, les enseignants, et enfin les élèves (si, si, dans cet ordre !) ; ces derniers semblent les considérer comme un instrument de travail (ils y consultent beaucoup plus le cahier de texte que les jeux), même s’ils les emportent à la maison. Les qualités reconnues sont une augmentation de la motivation, une plus grande attractivité des cours, de nouveaux moyens de mieux apprendre, une très bonne ergonomie. Les pratiques de classe ont beaucoup évolué en 5 mois, une fois les problèmes techniques résolus à la fois au niveau des élèves (qui savent résoudre seuls les petits soucis techniques) que des enseignants (qui prévoient une substitution papier si nécessaire). Les activités sur tablette s’organisent harmonieusement avec les usages sur l’ENT ou l’emploi du TBI. Aucune influence sur les résultats scolaires n’a pu être observée, faute de possibilité de bloquer les paramètres (la classe témoin n’est évidemment pas composée des mêmes élèves).

La DGESCO recueille les données depuis 3 ans, et mène en parallèle une évaluation des projets. Ce qui nous a été présenté ici est un commentaire de la rubrique dédiée : http://eduscol.education.fr/cid71927/retour-des-experimentations-tablettes-tactiles.html
15000 tablettes ont été distribuées au niveau national avec des dotations massives en 2012, réparties ainsi : 119 écoles, 174 collèges et 42 lycées – les conseils généraux ont mieux soutenu les projets. La question de la mobilité est à nouveau posée, puisque les expérimentations à l’extérieur de la classe sont l’exception. Les avantages soulignés sont la rapidité d’allumage, l’autonomie des appareils, leur légèreté, leur simplicité d’utilisation. Les tablettes modifient en outre l’usage des TICE en classe, car elles sont utilisées comme un outil sur la table parmi d’autres, ce qui permet d’échapper à la lourdeur des réservations de la salle informatique de l’établissement, et favorise une alternance de travail individuel et collectif. L’impact est plus ou moins positif selon les disciplines, celles en profitant le mieux étant les LV, et celles l’utilisant le mieux dans sa fonction de mobilité étant l’EPS, la géographie, les SVT et les arts… Des réserves sont émises sur leur utilité en maths. On remarque cependant assez peu d’innovations dans les usages, ce qui démontre qu’une appropriation pédagogique est nécessaire, donc un accompagnement des enseignants. Les outils évoluent, dotés maintenant d’un stylet, d’une ardoise, de claviers détachables, de systèmes d’exploitation plus stables.
Restent à améliorer le développement d’applications pour l’enseignement, lentes à venir, et à résoudre le problème du renouvellement fréquent du matériel. Un choix doit être fait sur les tablettes à adopter dans l’Education Nationale : entre la tablette en classe et la tablette personnelle, entre les tablettes grand public, les tablettes dédiées à l’enseignement issues de l’appel à projet e-education 2, ou l’ardoise tactile BIC développée spécialement, ou les hybrides sous Windows 8, qui permettraient aux enseignants de réinvestir les logiciels et ressources dont ils enseignants avaient l’habitude.
La tendance actuelle de l’institution pensche pour une tablette en classe, car la mettre dans le cartable sous-entend sa solidité, et une maîtrise d’un usage différencié à la maison et à l’école (Michèle Monteils rêve de la tablette intelligente qui détecte si sa localisation est publique ou privée , après tout, nous sommes bien dans le thème de l’imaginaire).

Jean-Loup Burtin souligne le manque de ressources prévues pour l’outil, et déplore que la didactique des disciplines ne soit pas le souci principal, lorsque l’on parle de mobilité. Les applications existantes ont le défaut de ne pas permettre aux enseignants d’adapter leurs propres ressources. D’autre part, il faut veiller à ne pas accroitre la fracture sociale et scolaire. Au Canada, par exemple, où une étude vante les bienfaits de l’usage des ordinateurs portables,

(http://eduscol.education.fr/numerique/actualites/veille-education-numerique/fevrier-2013/usages-ordinateurs-portables-primaire-secondaire)

Les familles les plus défavorisées ont été dotées prioritairement. On sait que les temps d’apprentissage ont été raccourcis par le numérique. Il faut aussi repenser les lieux. Enfin, le travail collaboratif n’est peut-être pas facilité par des outils de plus en plus petits.

Il ressort des études que l’on obtient avec les outils numériques un travail scolaire bonifié et facilité, avec une meilleure répartition du temps, un accès accru à une information actuelle et de qualité, une attention améliorée sur la tâche scolaire, une interaction accrue, un apprentissage interactif et un  développement des compétences signifiant, une équité, une ouverture sur le monde et et des opportunités d’avenir.

 

André Delacharlerie nous montre le témoignage d’une enseignante de CP fort satisfaite de son expérience de l’utilisation des tablettes mais il en ressort que c’est parce qu’elle a accès à des applications développées pour l’enseignement (Etigliss) http://etigliss.ecolenumerique.be/ qui lui permettent de conserver ses activités traditionnelles (étiquettes) avec une attractivité nouvelle et une plus grande rapidité d’exécution des exercices. Cette application lui permet d’utiliser et modifier ses propres ressources.

Une intervention du représentant de la FCPE souligne le souhait des parents de mettre la tablette dans le cartable, et encore mieux, de mettre le cartable dans la tablette ; à quoi il est répondu en conclusion que le mieux sera de ne plus rien transporter, mais de tout retrouver partout sur différents matériels selon les lieux où on se trouve. Il faut développer l’interopérabilité.

Le compte-rendu sur le site de Ludovia par Lyonel Kauffman et Laurence Juin

http://www.ludovia.org/2013/2013/08/28/table-ronde-la-classe-est-elle-plus-mobile-avec-le-numerique/

 

 

L’éducation nationale face à la dialectique entre promesse politique et imaginaire technologique

Très attendue pour sa dimension tant institutionnelle que prospective, la grande table ronde de Ludovia n'a pas répondu aux attentes des participants. Nous étions plus de 200 le 27 août à Ax les Thermes pour ce qui devait être un moment important autour de la venue du ministre Vincent Peillon. Dès le matin nous savions qu'il était retenu, ce que la rectrice de l'académie de Toulouse nous a confirmé. La particularité de cette table ronde est qu'elle a rassemblé sept femmes et un homme comme intervenants. Cela a été signalé par plusieurs auteurs de twitts (#ludovia2013) qui oeuvraient pendant la soirée comme un fait marquant et symbolique d'un changement qui veut que désormais les TIC ne sont plus l'apanage de la seule gent masculine. Au delà de cet état de fait, il y a le contenu de cette table ronde qui s'articulait autour de deux questions : d’abord : les promesses des TICE ont-elles été tenues ? Et ensuite : Que peut-on imaginer en matière de numérique pour les dix ans qui viennent ?

 

 On ne peut que déplorer que l'ensemble des intervenants aient si peu répondu à ces questions sur le fond. Les représentants des collectivités territoriales sont restés davantage sur un inventaire des actions menées. Les représentants des entreprises ont eu du mal à mettre en évidence ce qui s'est réellement passé. Quand aux représentants plus institutionnels, ils ont tenté de donner un éclairage rassurant, en particulier Madame Bizot, IGEN de Lettres que l'on voyait là dans un son costume de chargée par le Ministre de la préfiguration de la direction du numérique éducatif. Madame le Recteur de Toulouse n'a pas réussi à nous faire entrer dans le quotidien de son académie comme avait su le faire auparavant Raymonde Yerna, Conseillère du Ministre de l’Enseignement supérieur Région Wallonie communauté française. En effet par un exposé clair et tonique, elle a mis en évidence ce qui était en train de se passer au sein d'un continuum initié en 1999 et qui se poursuit au moins jusqu'en 2020. On a pu en particulier apprécier l'approche par l'analyse des besoins, basée sur une enquête importante menée sur le terrain pour repérer les besoins avant d'engager une action. S'appuyant sur cette enquête la conseillère, à l'instar d'autres participants a aussi insisté sur le caractère évolutif, mouvant de cette stratégie. En s'appuyant sur une approche très liée aux besoins des établissements, les équipements, la formation des enseignants et la question des ressources au sein d'une communauté, on a pu retrouver là des piliers bien connus de tous les plans connus aussi bien en France que dans de nombreux pays.

 

Du côté des collectivités et des entreprises on a plutôt été surpris de la difficulté qu'ils et elles ont eu à s'engager dans les promesses autrement qu'en rappelant que ce qu'elles font est simplement de promouvoir le numérique (et les retombées commerciales qui suivent pour les entreprises, électorales pour les politiques) et que cela, même si c'est lent, fonctionne à peu près. En fait la présence de ces personnes à la tribune n'a pas permis une véritable analyse, tant elles sont ancrées dans leur quotidien. Les bilans ont parfois tourné à l'autosatisfaction et ont surtout été centrés sur l'équipement. Car finalement cela est central pour les acteurs, la suite n'étant pas vraiment de leur ressort. On a très peu parlé des ressources numériques, tout juste évoqué les manuels scolaires, pour faire allusion au progrès constitué par l'arrivée des tablettes en regard des premiers projets d'il y a quinze ans. A écouter l'ensemble des intervenants on a pu avoir l'impression que le numérique était né avec la démocratisation d'Internet à partir de 2000. Sans faire dans le passéisme, on aurait aimé qu'une intervention un peu synthétique fixe le cadre historique du développement des TIC et évite ainsi la traditionnelle amnésie dans le domaine.

 

L'ensemble des intervenants a eu beaucoup plus de mal à se sortir des moyens. Evoquant les programmes, Madame Bizot a bien indiqué que leur refonte devait rendre le numérique "ordinaire", reprenant en cela, indirectement, les propos de Madame Reyes de Microsoft qui appelait à ne pas parler d'école numérique (on ne parle pas d'entreprise numérique) mais bien d'école, dans un contexte numérique. Malheureusement cette même personne a évoqué l'informatique comme un simple outil. Or Madame Bizot, à l'instar d'autres personnes, s'est élevée contre cette vision qui oublie de dire que les outils numériques sont des instruments de notre vie sociale, de notre culture et que l'école avait à s'en emparer en tant que tel, sans pour autant négliger ce qui se cache derrière les écrans : les algorithmes, les langages.

 

Ce qui a été le plus décevant de cette table ronde a été la prospective. Outre qu'aucun des participants ne semble savoir ce que signifie réellement ce terme, c'est surtout une absence de dimension prospective qui a prévalu. La phrase  "l'école de demain c'est l'école que nous imaginerons et construirons tous ensemble" est la parfaite illustration de cette absence de réflexion sur l'avenir. Bien qu'ayant tenté de ranimer la flamme en parlant de l'avenir des locaux du fait du numérique, l'animateur n'a pas eu d'autres réponses qu'une évocation des labos de langues et des salles informatiques.... ce qui en terme d'architecture des bâtiments scolaires est un peu court.

 

Très attendue pour sa dimension tant institutionnelle que prospective, cette table ronde n'a pas répondu aux attentes des participants. Ils sont pourtant restés bien tard (23 heures) avant d'aller se détendre au barcamp proposé par les organisateurs. Une journée particulièrement bien remplie, riche de contacts, d'échanges et de réflexions, parfois davantage dans les coursives que sur la place centrale.

Bruno Devauchelle