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Forum 2009 > Messages > Une école Freinet sous la loupe des chercheurs
Une école Freinet sous la loupe des chercheurs

Yves Reuter, enseignant chercheur à l’Université de Lille III, s’est intéressé à une école. Une école de Mons en Bareuil, au cœur d’un quartier en grande précarité, était en déperdition, victime de sa mauvaise réputation. Un inspecteur décide alors de revitaliser l’école en s’appuyant sur une équipe appliquant la méthode Freinet mais avec des moyens constants. Une équipe de chercheurs, dont faisait partie Yves Reuter est mobilisée pour  évaluer l’organisation pédagogique mise en place. L’expérience a débuté en septembre 2001, impliquant toute l’école de la petite section au CM2.  Son observation a duré cinq années.

L’équipe de recherche était pluridisciplinaire avec des didacticiens, une sociologue notamment. Le travail s’inscrivait dans la durée de façon à éviter les effets conjoncturels, et s’exemptait d’une collaboration avec les enseignants pour ne pas influencer les résultats.

L’école étudiée est centrée sur les apprentissages. C’est l’élève et lui seul qui apprend, nul ne peut apprendre à la place de l’élève. Avec ce principe, on change de conception de l’enseignement : enseigner n’est pas transmettre mais permettre à chacun, à son rythme, de s’approprier les savoirs. Mais ceci n’est possible que si le milieu pédagogique favorise le désir d’apprendre chez l’enfant. Le cadre doit être sécurisant. Il faut donc réfléchir à ce que signifie autoriser l’erreur, il faut aussi faire fonctionner le maitre et les autres élèves comme des aides et non comme un facteur de risques. Les élèves s’autorisent alors à parler de leurs erreurs. Le cadre doit aussi être facilitant car il doit articuler le collectif et l’individu. L’accent est mis sur la coopération et pas sur la compétition.

Apprendre ne peut se faire qu’en travaillant est un autre principe. L’élève doit travailler, c’est son métier. Le travail d’apprentissage est basé sur deux piliers : la production de travaux et la réflexion des élèves sur ce qu’ils font. Cette pédagogie permet d’aboutir à des élèves réflexifs. L’élèves assume plusieurs rôles : initiateur, chercheur, professeur, aide, discuteur. Cette multiplicité de positions face au savoir est facilitée par l’existence d’un système de règles régi de façon démocratique, dans un système qu’ils ont co-construit, dans lequel ils ont du pouvoir.

Cela demande une redéfinition du rôle des enseignants. La classe est centrée autour des apprentissages, les enseignants doivent faire en sorte que les élèves apprennent et progressent, favorisent les apprentissages. Les élèves n’apprennent pas au même rythme, donc ne travaillent pas forcément en même temps sur les mêmes projets. Le savoir qui se construit individuellement doit se rattacher au savoir collectif de la classe, en compatibilité avec le cadre fixé par l’institution.

Les effets constatés sont multiples. Tout d’abord, les parents ont ramené leurs enfants vers cette école qui était fortement délaissée. Ensuite, on a constaté rapidement une nette diminution des actes de violence, au bout de trois mois. Le système de norme des élèves a changé au fil des années vis-à-vis de la violence : des  manifestations de violence  acceptées au départ sont perçues désormais comme violentes. Les élèves en difficulté, rejetés par d’autres écoles, se sont parfaitement intégrés. Ceux qui sont en souffrance ne voient pas leur souffrance renforcée par l’école, bien au contraire. Sur les apprentissages disciplinaires, les résultats sont positifs. Les élèves progressent et leurs performances deviennent équivalentes ou supérieures à des élèves de milieu similaire dans des cadres scolaires plus classiques. Des compétences de communication, de contrôle de la tâche, d’auto évaluation sont développées. Il n’y a pas d’effondrement lors du passage au collège. Les personnels de service bénéficient aussi des effets positifs de ‘expérience, dans la qualité de leur relation avec les élèves. Les parents apprécient l’amélioration de la communication, les informations sur ce qui est fait en classe, ce qui favorise l’implication des parents d’élèves dans la scolarité. Cette implication peut trouver des prolongements dans l’animation des ateliers. Les écoles du quartier se sont mobilisées encore plus dans leurs propres projets, titillés par les résultats de l’école Freinet.

La transférabilité du projet parait difficile. Il faut une équipe impliquée, pour laquelle la pédagogie Freinet constitue un véritable projet, presque un projet de vie. Le projet est fragile car soumis aux risques de changement de personnels, voire d’inspecteur. Il l’est aussi vis-à-vis de certains savoirs classiques en grammaire ou en mathématiques notamment. Il l’est également pour les élèves qui changent de cadre. Pour les enseignants, les difficultés avec des élèves peuvent être vécues douloureusement, proportionnellement à l’investissement personnel consenti. Les parents peuvent montrer des inquiétudes, troublés par des références scolaires, de performance présentés par les médias ou même des politiques. Les relations entre les enseignants et l’institution sont souvent houleuses.

Le bilan est largement positif. Des méthodes d’observation ont été mises en place pour l’infirmer ou le confirmer. La méthode Freinet s’est avérée efficace en dehors du cadre d’une classe unique, rurale, dans des milieux favorisés. Dans le cas de Mons en Bareuil, elle a réussi ce que l’institution préconise mais qu’elle ne parvient pas à mettre en œuvre. Ce type d’expérience permet d’ouvrir le champ des possibles pour l’institution. Une formation ambitieuse des enseignants pourrait avoir pour objectif de fournir un maximum de possibles aux enseignants pour qu’ils puissent s’en emparer sur le terrain, mobiliser la méthode adaptée au terrain qu’ils rencontrent.

 

Monique Royer

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