Le rapport annuel de SOS Homophobie vient de paraitre. Présentant une analyse des appels reçus sur la ligne d’écoute de l’association, il s’avère particulièrement alarmant. En 2013, parallèlement au mouvement contre le mariage pour tous, l’homophobie, en paroles et en actes, a connu en effet une recrudescence : le nombre de témoignages reçus est en hausse de 78 % par rapport à 2012 ; le nombre d’agressions physiques rapportées a doublé pour atteindre 188 cas, soit à peu près une tous les deux jours. L’Ecole n’échappe pas à ce déferlement d’homophobie décomplexée : le nombre de témoignages relatant des actes homophobes en milieu scolaire a augmenté en 2013 de près de 30 % (110 cas, contre 88 en 2012). Une situation qui doit inciter à la vigilance et à la prévention…
Voici un témoignage parmi bien d’autres reçu par l’association : « Julia, lycéenne, nous confie avoir fait son premier coming out à la fin de son année de quatrième auprès de l’une de ses amies proches. Celle-ci a, heureusement, bien pris la situation et son comportement n’a pas changé envers Julia. Petit à petit, d’autres de ses ami-e-s sont mis au courant et un surveillant du collège vient même lui demander en public « s’il est vrai qu'[elle] es[t] gouine ». Elle finit par lui dire la vérité et la nouvelle se répand rapidement dans l’établissement, au point qu’elle reçoit des insultes et remarques déplacées. Sa situation empire quand trois garçons prennent l’habitude de la plaquer contre des murs pour la tripoter afin de « la faire changer d’avis sur les hommes ». Au bout d’un moment, d’autres élèves lui lancent même des pierres. C’est un de ses professeurs qui finit par venir à son secours en convoquant les élèves et en faisant en sorte qu’ils-elles ne recommencent plus. Aujourd’hui, Julia est en terminale et, bien qu’il lui arrive de se dire que « naître hétérosexuelle aurait été plus facile », elle estime aussi « être ce qu’elle est »et « qu’il ne faut jamais se cacher ».
L’association souligne combien l’homophobie est particulièrement destructrice quand les insultes ou brimades homophobes touchent des adolescent-e-s : « leur identité personnelle étant encore en construction, ceux-celles-ci sont généralement des cibles plus faciles à atteindre par des attaques morales et physiques liées à leur orientation sexuelle ou identité de genre. » Les conséquences peuvent être graves : repli sur soi, décrochage scolaire, refus d’alimentation, troubles du sommeil, anxiété sociale, fugue, pulsion de mort. « L’envie de se suicider (généralement vue comme la seule issue possible par les victimes) est explicitement présente dans près de 10 % des témoignages de personnes de moins de 25 ans. » Il faut en tirer les conséquences : « Ignorer les LGBTphobies à l’école, tout comme ne pas chercher à les reconnaître, revient à tourner le dos à ces jeunes. »
L’homophobie en milieu scolaire est aussi une affaire d’adultes. Soit parce que des enseignants contribuent au climat : « lorsque l’auteur-e d’une l’agression est un-e membre du personnel de l’Education nationale (23 % des cas), l’acte LGBTphobe rapporté a quasi systématiquement lieu dans un établissement privé confessionnel. Dans ce cas, l’acte en question prend généralement la forme d’une discrimination ou d’insultes à peine voilées et glissées, par exemple, dans un discours traitant d’éducation sexuelle ou du débat sur le mariage pour tou-te-s. » Soit parce que des enseignants se trouvent eux aussi harcelés pour leur orientation sexuelle : « près de 13 % des victimes sont des professeur-e-s ou membres du personnel éducatif. »
Les chiffres de SOS Homophobie sont confirmés par ceux de l’association Le Refuge qui propose soutien et hébergement d’urgence aux jeunes homosexuels rejetés par leurs familles : le nombre d’appels sur leur ligne a augmenté d’un quart entre 2012 et 2013 alors qu’entre 2011 et 2012, le chiffre avait déjà doublé, 1159 personnes ont contacté l’association et 203 personnes ont été hébergées. Rappelons que SOS Homophobie dispose d’un agrément national du ministère de l’Education nationale, ainsi que d’agréments au sein des académies de Créteil, Paris et Strasbourg pour réaliser des interventions en milieu scolaire auprès de collégien-ne-s et lycéen-ne-s afin de déconstruire les stéréotypes et les idées reçues qui forment le terreau de l’homophobie : « Durant l’année scolaire 2012-2013, nos intervenant-e-s ont ainsi sensibilisé plus de 15 000 élèves dans 550 classes dans toute la France. »
Dans ce contexte lourd, on posera, naïvement, quelques questions. La ligne Azur est un service essentiel car susceptible d’aider les adolescents en questionnement ou en souffrance : l’affiche de présentation est-elle réellement mise en place dans tous les établissements pour informer les élèves de son existence ? Quelles ont été les suites effectives du rapport Teychenné sur les discriminations LGBTphobes à l’Ecole paru au cœur de l’été 2013 ? L’Ecole aura-t-elle le courage de résister aux pressions pour combattre vraiment le fléau de l’homophobie?
Jean-Michel Le Baut