Les exclusions ponctuelles de cours sont-elles un sacrifice inutile ? La Revue française de pédagogie n°210 analyse le phénomène sous un angle ethnographique sous la plume de Julien Garric (Aix Marseille Université). L’article y voit « une exclusion systémique » à laquelle participent à leur corps défendant des enseignants et des CPE. Il montre la concentration des exclusions sur quelques élèves et quelques enseignants et leur concentration dans les établissements de l’éducation prioritaire où elles accentuent in fine les inégalités. Nul doute que cet article fera débat.
Des exclusions massives
La question des punitions renvoie à une montée des désordres scolaires bien repérée. Parmi l’arsenal à la portée des enseignants il y a les exclusions de cours. Julien Garric les a étudié en immersion dans 3 collèges prioritaires Rep+ de 2016 à 2018. Il aborde cette question avec une grille de lecture ethnographique, cherchant à voir si ces punitions jouent un role dans la mise à l’écart de la scolarité de certains jeunes. Au total il a passé près de 130 demi journées dans les 3 collèges enregistrant ce qui se passait dans les classes et les bureaux de la vie scolaire. Il a multiplié les entretiens auprès d’enseignants (51), de CPE (6), d’AED (10) et des 3 principaux.
Ce qui ressort d’abord ce sont pourtant les statistiques. 855 exclusions officielles dans un collège, 1042 et 1350 dans les deux autres, des données qui ne reflètent qu’une partie des exclusions de cours, probablement la moitié. La plupart (90%) sont justifiées par des bavardages, des retards, des insolences, des refus de travail ou des oublis de matériel. Le refus de faire entrer en classe les retardataires participe d’un rituel entre certains élèves et l’établissement qui participe d’un décrochage.
Qui concernent des minorités
« Ces exclusions sont prononcées par un petit nombre d’enseignants et elles concernent un petit nombre d’élèves », note J Gerric. « Dans les trois collèges, 50 % des exclusions sont prononcées par les dix enseignants qui excluent le plus d’élèves et 25 % par deux seulement (sur un total d’environ 50 enseignants). De la même manière, les élèves exclus plus de dix fois dans l’année, qui ne représentent que 5 % de l’effectif total, cumulent 50 % du total des exclusions. Il s’agit donc de la pratique d’une minorité d’enseignants qui excluent très régulièrement une minorité d’élèves ».
La question partage les enseignants. La minorité excluante y voit une grande efficacité alors qu’une autre minorité n’exclue jamais. Par contre il y a quasi unanimité chez les enseignants pour dire que si un élève perturbe le cours il faut l’exclure pour « sauver la classe ». Pour certains les exclus sont identifiés comme « inadaptés au collège ».
Un statut ambigu
« L’exclusion ponctuelle de cours n’est pas considérée comme une punition éducative par les enseignants : le but recherché n’est pas de contribuer à la modification des comportements, mais à la mise en sécurité du groupe. Elle participe à renforcer, par la désignation d’élèves « perturbateurs », la cohésion de ceux qui restent en classe », estime J Garric. « Les élèves subissant des conditions de vie dégradées, l’exclusion préserve le climat scolaire de la violence supposée des quartiers que quelques individus voudraient importer dans l’école ».
Aussi l’exclusion ponctuelle de cours « joue un rôle dans l’affiliation des élèves à une carrière scolaire déviante dans les collèges REP+ et dans l’acception collective de la dégradation du statut de ces élèves ». Si on le suit, les enseignants désigneraient les actes permettant d’échapper à la contrainte scolaire : le refus de l’assiduité, l’insolence, la provocation ou la violence. C’est aussi une façon de dire que certains enseignants participent de la construction de la déviance.
Outil de régulation ou sacrifice nécessaire du groupe ?
« L’exclusion ponctuelle de cours est un phénomène routinier et quotidien, qui impacte l’activité professionnelle des enseignants et des CPE, enfermés dans les contradictions d’une exclusion systémique à laquelle ils participent à leur corps défendant », conclut J Garric. « L’exclusion est considérée par les enseignants comme un échec, prononcée faute d’alternative satisfaisante, pour faire tenir la situation de classe ». Pour les élèves exclus, « elle participerait non seulement à conforter dans leur comportement déviant les élèves les plus fragiles de notre école, mais fonderait la réussite des « bons élèves » sur l’éviction régulière, année après année, d’une minorité inadaptée, constituant une « catégorie sacrificielle » ».
Cette réflexion rejoint celle de Benjamin Moignard qui, en 2017, avait mis en évidence l’importance des exclusions notamment en Seine Saint Denis. » La fréquence avec laquelle ces sanctions sont utilisées participe d’une forme de remise en ordre symbolique d’une institution affaiblie confrontée à la souffrance de ses personnels. Pour faire la preuve de leur soutien à des enseignants en demande d’appui, des principaux cèdent parfois à l’usage presque systématique de cette sanction qui reste perçue comme la seule capable de « marquer le coup ». Le recours massif à ces exclusions est devenu un outil de régulation interne, dont les chefs usent et qu’une partie des équipes attend », écrivait-il. L’exclusion serait-elle devenue le symptome du mal être dans un système éducatif qui ne tourne plus rond ?
François Jarraud