Par François Jarraud
En éducation civique plus qu’ailleurs le jeu peut alimenter la réflexion et le débat. Pionnier de cette démarche, Denis Sestier, de l’association Ludus, évoque ici 20 ans de jeux éducatifs sur la citoyenneté, du jeu de cartes à l’ordinateur.
Je me souviens de mon premier jeu, celui que j’ai créé durant ma première année d’enseignement il y a …. Il y a longtemps ! J’avais alors la charge de plusieurs classes de sixième dans un collège de la banlieue ouvrière de Caen. Mes élèves n’étaient ni pire ni meilleurs que d’autres mais simplement, j’avais le sentiment que les cours d’éducation civique que, jeune débutant, je leur proposais ne les passionnaient pas de manière excessive. Moi même d’ailleurs j’avais un peu tendance à m’ennuyer lors de pénibles séances sur le budget de la commune ou les compétences du conseil municipal.
A l’époque, « pédagogie » n’était pas encore devenu un gros mot, qu’on ne menaçait pas de brûler en place de grève ceux qui essayaient de sortir des sentiers battus…
J’avais pourtant bien lu mes programmes et mes instructions officielles, et en bon enseignant j’avais écumé les différents manuels pour me donner des idées… Et pourtant ce n’était pas très enthousiasmant… C’est en appelant à la rescousse mon expérience de joueur et ma formation d’animateur de centre de vacances que j’ai décidé d’essayer de créer un jeu pédagogique sur le thème du conseil municipal.
Il faut dire qu’à l’époque, « pédagogie » n’était pas encore devenu un gros mot, qu’on ne menaçait pas de brûler en place de grève ceux qui essayaient de sortir des sentiers battus et que l’ennui à l’école n’était pas encore considéré officiellement comme une composante normale de l’acte d’apprendre.
Quelques éclaireurs avaient défriché un peu le terrain mais il faut bien dire qu’au début des années 90 le jeu pédagogique restait dans l’ensemble – tout au moins pour le secondaire – une vaste terra incognita.
Ce premier jeu était un jeu de simulation très simple dans lequel les élèves sont appelés à jouer, pour les uns, un conseil municipal chargé d’équiper une commune et de gérer un budget tout en respectant l’intérêt général, et pour les autres, des porteurs de projets dont l’objectif est de décrocher budgets et subventions .
La réaction des élèves fut d’abord incrédule puis très rapidement enthousiaste. A telle enseigne qu’il fallut refaire plusieurs parties, les enfants voulant essayer plusieurs rôles (ma programmation en a d’ailleurs pris un coup !). Les résultats des élèves à l’évaluation suivante achevèrent de me convaincre de l’intérêt de la formule : la plupart des élèves avaient acquis l’essentiel des notions que j’avais souhaité faire passer et les résultats étaient au moins aussi bons que lors des évaluations précédentes, le plaisir et l’enthousiasme en plus.
Nul doute que cette première expérience a été importante : constater que les élèves – loin d’être blasés et rétifs à tout effort comme on les décrit parfois, étaient capables de s’impliquer avec énergie dans des activités scolaires, pour peu que ces activités soient adaptées à leur âge et leurs capacités, a profondément orienté ma pratique du métier.
Par la suite, la rencontre décisive avec mon ami Yvan Hochet et la création du réseau Ludus (1998) ont donné une dimension beaucoup plus importante à la réflexion sur le jeu en classe et à sa pratique. La suite de l’expérience a confirmé la conviction que l’éducation à la citoyenneté est un champ privilégié pour l’utilisation du jeu pédagogique, notamment en collège.
Pour nous en effet, l’éducation civique ne peut se limiter à l’instruction civique, c’est à dire à l’acquisition de connaissances purement techniques sur le fonctionnement des institutions politiques ou judiciaires du pays. Elle ne peut pas non plus se réduire à la seule connaissance des textes fondamentaux et des principes d’organisation de notre société. L’éducation civique, est d’abord et avant tout une éducation aux valeurs. Or éduquer aux valeurs est beaucoup plus complexe que de décrire l’organigramme de la 5ème république (même si l’un n’exclut jamais l’autre). De ce point de vue là, le jeu, et tout particulièrement le jeu de simulation est – parmi d’autres – un vecteur de tout premier ordre. La production commerciale de « jeux éducatifs » basés sur l’émulation et utilisables tels quels n’est pas négligeable (la vogue de l’EEDD stimule les producteurs) et il est facile pour l’enseignant de créer un jeu évaluant les connaissances (un quizz, un jeu de l’oie, un jeu de 7 familles, un clone du Trivial Pursuit…). Mais l’univers du jeu de simulation est beaucoup plus intéressant et il n’est pas forcément plus complexe. Un exemple : le principe des « jeux de coopération » consiste à obliger les joueurs à s’entraider pour pouvoir gagner (si on ne gagne pas ensemble, on perd tous). Eprouver la solidarité des élèves dans une simulation est à notre avis plus efficace que de leur en faire recopier la définition.
Constater que les élèves loin d’être blasés et rétifs à tout effort étaient capables de s’impliquer avec énergie dans des activités scolaires…
Le jeu de simulation offre, par son essence même, la possibilité aux élèves non pas d’étudier un phénomène de l’extérieur mais de s’y impliquer sans risque . Ainsi, élire un mauvais dirigeant politique est beaucoup moins grave dans un jeu que dans la réalité. Le jeu est en quelque sorte pour les élèves l’occasion de s’entraîner à leur futur métier de citoyen. Il n’y a d’ailleurs qu’à l’école qu’on rechigne encore à reconnaître l’intérêt de la simulation : les futurs pilotes par exemple s’entraînent sur des simulateurs extrêmement perfectionnés sur lesquels tout le monde s’extasie. Pourquoi nos élèves ne pourraient ils bénéficier de simulateurs de citoyenneté ?
Par ailleurs, en dehors de l’éducation nationale, il y a beau temps que les associations et intervenants de tous ordre dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté ont compris le potentiel éducatif du jeu et l’utilisent couramment dans leurs interventions notamment en direction des jeunes publics (mais pas seulement).
Jean Pierre Rosenczveig est le président bien connu du tribunal pour enfants de Créteil. Avec Bernard Bobillot (éducateur à la PJJ) de Seine St Denis) ils ont fondé l’Association pour la Promotion de la Citoyenneté des Enfants et des Jeunes dont l’objectif est de développer la connaissance des institutions républicaines, notamment les institutions et les principes de la justice. Outre des formations et des interventions classiques l’APCEJ propose des simulations de procès dont les pièces sont tirées d’affaires réelles. On est bien là dans le domaine de la simulation. D’autre part, l’association a produit un excellent jeu de plateau sur le monde de la justice : il s’agit du jeu place de la loi , qu’on ne saurait trop recommander d’utiliser avec tous types de publics. Il s’agit d’un jeu très simple, sur le modèle du « Trivial pursuit ». La principale différence réside dans le fait qu’il ne s’agit pas prioritairement de connaître des réponses mais plutôt d’en discuter, d’abord au sein des équipes puis entre les équipes elles mêmes. Un « Livre des lois » fournit les éléments nécessaires à la discussion. Testé en classe à plusieurs reprises et notamment dans un collège classé en ZEP, ce jeu m’a permis – entre autres – de constater que plusieurs de nos élèves avaient déjà une expérience directe ou indirecte de la justice. Le jeu offre surtout la possibilité de faire émerger les représentations des joueurs sur la justice et de les confronter à la réalité grâce au livre des lois. Au total quel que soit le contexte, ce jeu s’est toujours révélé extrêmement utile et les séances qui y ont été consacrées sont très loin d’avoir été une perte de temps.
Depuis quelque temps déjà on voit se développer la notion de Serious Games, que l’on pourrait traduire par jeu sérieux ou plus élégamment par jeu éducatif. Il s’agit tout simplement d’applications informatiques à visée clairement éducative. Ainsi de nombreux Serious games ont été créés pour initier les jeunes au développement et à la solidarité internationale. Par exemple, le déjà ancien Food Force, créé par l’ONU place-t-il les joueurs en situation d’humanitaires chargés d’intervenir sur le site d’une catastrophe majeure. Dans le même ordre d’idées, le jeu « Arrêtons les catastrophes », développé par l’ONU et l’International Strategy for Disaster Reduction (IDSR) propose-t’il aux joueurs de limiter l’impact des catastrophes naturelles en les prévoyant et en développant un environnement plus sûr pour les populations . Il existe de très nombreux exemples que nous ne pouvons pas développer ici . D’autant que le jeu vidéo n’est pas au cœur de nos préoccupations professionnelles (problèmes matériels, de conception, de coût, de temps, d’intérêt pédagogique … expliquent que nous n’avons pas vraiment pu développer cette pratique ludique dans nos classe).
Mais le monde du jeu vidéo n’est pas le seul, loin de là, à proposer des « jeux sérieux ». De nombreuses associations humanitaires, souvent proches du monde de l’animation ont produit des jeux de formation notamment dans le domaine de l’éducation au développement et de la solidarité internationale : ainsi par exemple l’excellent jeu des chaises qui permet en très peu de temps et sans moyens particuliers de faire ressentir aux élèves l’inégalité de la répartition des richesses mondiales, ou encore le jeu de plateau Non merci Saint Nicolas qui traite du problème des ouvrières du textile en Asie du Sud-Est et de la nécessaire lutte pour la conquête des droits . Le jeu militant n’est d’ailleurs pas une nouveauté : les ouvriers de Lip durant leur mouvement des années soixante-dix avaient produit un remake original du Monopoly intitulée Chomageopoly (il s’agit d’un collector : si vous le trouvez sur une foire au grenier jetez-vous dessus et prévenez-nous !). Ce jeu est en outre l’un des premiers jeux de coopération puisque les joueurs doivent s’unir pour lutter contre le système qui les a licencié.
Jeux pédagogiques, éducatif, Serious games… Quelle que soit l’appellation, toutes ces productions recouvrent une même réalité : la recherche d’outils pédagogiques adaptés au public auquel ils sont destinés et susceptibles d’améliorer la compréhension des phénomènes enseignés et l’implication des élèves dans leur propre formation.
Denis Sestier
Pour le réseau Ludus
Le réseau Ludus :
– le site :
http://www.discip.ac-caen.fr/histgeo/ludus/index.htm
(On y trouvera plus d’une dizaine de jeux utilisables en éducation civique)
– le blog :
http://lewebpedagogique.com/reseauludus
D’autres jeux
Jouer pour former au Québec
Le réseau canadien Media Awareness propose de nombreux jeux éducatifs pour familiariser les adolescents aux risques d’Internet et à d’autre srisques sociaux.
Ainsi, la première aventure des Trois Petits Cochons convie les jeunes joueurs (8-10 ans) à en apprendre davantage sur le marketing en ligne, la protection de la vie privée et les rencontres avec des étrangers. Le jeu Alexandre et Alexandra invite les adolescents à aider les héros à visiter 12 sites fictifs afin d’évaluer leurs habiletés à naviguer en toute sécurité.
http://www.media-awareness.ca/francais/jeux/index.cfm
L’éducation à l’interculturalité
Le lycée de Querbes (près de Rodez) a construit de nombreux jeux pour amener les élèves à réfléchir sur leurs préjugés et à accepter la différence. Un travail tout à fait remarquable.