Comment relever le défi de l’adaptation locale ? Les CSTI (cultures scientifiques, techniques et industrielles), confrontées à la réorganisation des politiques publiques, à la multiplication des sources et aux transferts de gouvernance de l’État vers les régions, doivent repenser leurs modes de diffusion. La question des partenariats, de l’offre de formation, de l’accessibilité des données ou encore de l’adaptation des médiations aux nouveaux usages sociétaux, sont au cœur des débats du 3ème Forum national de la CSTI, les 29 et 30 janvier 2014 à la Cité des Sciences. Si l’un des enjeux proclamés du Forum réside dans l’impératif de réconcilier le public, de l’écolier aux plus hauts décideurs, avec la culture scientifique, le transfert des fonds aux régions semble bien constituer une préoccupation urgente pour les acteurs.
Mieux coopérer, mieux s’organiser, mieux former
Quelles évolutions pour les territoires et leurs habitants à l’échéance de 2025 ? la première journée du Forum a donné lieu à des ateliers de travail ciblés. Comment articuler la stratégie culturelle avec les politiques territoriales, quand les champs thématiques, les pratiques, les préoccupations sociétales et les niveaux territoriaux, tendent à se cloisonner ? Comment mieux coopérer avec les enseignants, quand formation scientifique formelle et informelle peinent à s’accorder sur le partage des compétences ? Comment mieux coopérer avec les acteurs économiques pour les convaincre de l’intérêt des CSTI pour l’innovation et la créativité industrielles ? Comment mieux structurer l’offre de culture scientifique quand le foisonnement des sources les rend illisibles ? Comment atteindre les publics éloignés, en zones rurales et péri-urbaines, quand les vecteurs de médiation habituels semblent atteindre leurs limites ? Comment répondre aux nouveaux usages et aux désirs de créativité dans la mutation des technologies numériques ? Enfin, comment élargir la pratique de la médiation culturelle scientifique, en formant d’autres catégories d’acteurs, parmi les étudiants, les médiateurs culturels, les journalistes, etc ?
Des Maisons pour la science au service de la formation des enseignants
Dans l’atelier consacré à la coopération avec les enseignants, on rappelle la désaffection des élèves pour les sciences, les mauvais résultats PISA et le manque de formation professionnelle des enseignants, en particulier au primaire, pour le domaine de la culture scientifique. Là où se montent des projets de science et technologie, c’est souvent par l’investissement personnel d’un enseignant, généralement de manière bénévole. Comment gérer alors le partage de compétences avec une association CSTI, sans que l’enseignant ne se sente dépossédé de son projet, ou qu’il considère le partenaire scientifique comme un prestataire de services ?
Une cinquantaine d’heures de formation serait nécessaire pour permettre à un professeur des écoles de devenir autonome dans la conduite d’un projet scientifique. Depuis 2012, le réseau des Maisons pour la science, sous l’autorité de l’Académie des Sciences, dans le sillage de la Fondation La main à la pâte, propose aux enseignants des actions de formation pour réduire l’écart entre la science et l’école. La démarche progresse, mais d’autres problèmes persistent : la temporalité des programmes scolaires, très contraignante pour les enseignants, le manque d’appétence des chefs d’établissements pour intégrer les actions de culture scientifique dans le projet de développement culturel (TPE, AP, etc.). Enfin, la réforme des rythmes scolaires engendre une nouvelle difficulté : comment éviter de scinder l’apprentissage scientifique entre un volet ludique, apanage des acteurs extra-scolaires, et un travail plus aride de formalisation des savoirs, laissé à l’enseignement scolaire ?
Des expériences concluantes
Sophie Mouge, du Rectorat de Bordeaux, évoque l’expérience réussie du lycée de Marmande, qui a accueilli toutes les classes des collèges du secteur pour l’exposition Mathissime, organisée avec Cap-Sciences. Elle rappelle qu’il existe des supports documentaires à l’usage des professeurs dont la diffusion et la visibilité ne sont pas encore suffisants. « Nous avons publié sur Eduscol un vade-mecum complet sur le montage d’un projet de science et technique, souligne-t-elle. Il indique comment trouver les personnes ressources et les partenaires. » Autre modèle réussi, la coopération entre l’ENS Lyon-IFE et Météo France, dans un projet « Météo tremplin des sciences » validé par l’ANRU. Pour Françoise Morel-Deville, de l’ENS, et Catherine Baretti, de Météo-France, venues le présenter, ce projet adaptable du pré-élémentaire jusqu’au secondaire illustre bien la manière dont on peut faire aimer les sciences à partir de données familières du quotidien.
Le cas particulier des mathématiques : trop sclérosées ?
« En ce qui concerne les mathématiques, reconnaît Martin Andler, Professeur des Universités et Président d’Animath, le développement de la culture scientifique se heurte à des modes de fonctionnement spécifiques à l’enseignement scolaire français. » Tandis que les sciences se sont ouvertes à la culture scientifique, par le biais expérimental, en particulier sous l’influence de l’éducation populaire, les mathématiques sont restées dans le cadre très contraint des programmes et des évaluations scolaires classiques. « Quand on voyage à l’étranger, regrette-t-il, on voit bien les limites du modèle français, qui valorise un élève passif, discipliné, sans initiative même concernant ses choix d’orientation. On ne parvient pas à mettre en valeur d’autres formes de performance que celles de l’épreuve d’examen, en temps limité, sans documents. Pourtant, la construction d’un projet est bien plus réelle et révélatrice des aptitudes scientifiques d’un étudiant ! Avec la réforme des rythmes scolaires, l’intervention des acteurs du périscolaire dans le domaine des mathématiques pourrait bien constituer une chance. C’est un facteur d’évolution des pratiques. Les professeurs sont trop enfermés dans les modèles de formation qu’ils connaissent et qu’ils ont eux-mêmes subis pour oser en sortir. »
Recommandations de l’OPECST : formation et égalité
La présentation du rapport de l’OPECST, « Faire connaître et partager les cultures scientifiques, techniques et industrielles : un impératif », par la députée Maud Olivier et le sénateur Jean-Pierre Leleux, a permis de réaffirmer la nécessité d’inscrire le développement des CSTI dans la formation initiale et continue des enseignants et d’en promouvoir la pédagogie dans les différents niveaux d’enseignement. Autre point essentiel : la réduction des inégalités d’accès au savoir scientifique et technologique, pour corriger la « démocratisation ségrégative » du système scolaire, et la lutte pour l’égalité femmes-hommes. La création des conditions d’un dialogue apaisé entre le public et les acteurs des sciences, de la technique et de l’industrie, en particulier par une meilleur diffusion des CSTI concernant le domaine industriel et une plus grande participation des citoyens au débat public. Enfin, une simplification de la gouvernance par le transfert des crédits aux CSTI aux régions, sous le contrôle du Ministère chargé de la recherche.
Combattre l’ignorance et la manipulation idéologique en sachant
La Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, a souligné la qualité du travail réalisé dans ce rapport et salué les conclusions avec lesquelles elle s’accorde pleinement. Elle a rappelé les enjeux sociétaux réels d’une culture scientifique et technique : la peur et la défiance du public, à l’égard des sciences et des technologies dans les domaines du climat, des nanosciences, du nucléaire ou encore des OGM, reposent trop souvent sur une méconnaissance de ces sujets. L’idée même de progrès vient à être contestée dans le débat public, faute d’un éclairage suffisant. Ainsi des opposants à la loi sur l’utilisation des cellules souches embryonnaires pour la recherche, brandissaient les images d’embryons de 6 mois à titre de protestation alors que les cellules concernées, en tout début de développement, sont à peine visibles à l’œil nu. Lutter contre l’ignorance qui aveugle, mais aussi lutter en faveur du sens du risque, de l’innovation et du dépassement de l’échec, c’est une perspective que Geneviève Fioraso partage avec Aurélie Filipetti et Vincent Peillon dans une démarche commune d’élargissement du champ culturel et éducatif. En conclusion, la Ministre s’est félicitée du succès des MOOC de l’enseignement supérieur lancés récemment : le cours sur les CST Eurêka quidquam compte déjà parmi les plus visités par le public, signe d’une réelle curiosité pour ces domaines.
Jeanne-Claire Fumet
Pour en savoir plus :
Sur les Maisons pour la science
Le programme du Forum sur Universciences
Le vade-mecum pour mener un projet de science ou de de technologie sur Eduscol
Le dossier pédagogique de l’exposition Mathissime Cap-sciences
Les Maisons pour la science sur le site de l’Académie des Sciences