– Marc Lohez –
Le conseil général des Landes vient de distribuer un portable à chaque élève de troisième du département ; l’initiative du président du conseil général Henri Emmanuelli avait commencé l’an dernier par l’équipement de trois établissements pilotes.
On a beau avoir vu travailler des élèves sur des ordinateurs depuis des années, cela fait un effet saisissant de voir une classe entière avec son ordinateur portable ouvert. Une ambiance sonore curieuse baignent ces cours où les élèves ne bavardent pas (encore): le silence est couvert par les clicks incessants click, cli-click, click: un hôpital pour criquets arthritiques.
Les élèves viennent juste de le recevoir leur ordinateur portable des mains du président-Père Noël, ils sont allé en cours d’histoire; On leur a dit d’ouvrir le Nathan interactif à la page sur la Russie Stalinienne : Henri Emmanuelli esquisse un sourire à la vue du petit père des peuples et des plans quinquennaux…
On aurait tort pourtant de ne voir dans ces machines qu’un cartable électronique de luxe. L’opération s’inscrit dans une volonté d’aménagement du territoire ; celle-ci vise à réduire la fracture numérique en persuadant les opérateurs de mettre des dérivations à hautes vitesses à partir des gros tuyaux qui parcourent les Landes du nord au sud sans s’y « arrêter ». Aussi ces cadeaux de Noël en septembre que sont les portables ne représentent qu’une pièce d’un système : De grosses bornes en plastique noir côtoient les talons des élèves sous chaque table ; elles permettent de connecter les ordinateurs entre eux, au serveur local, à Internet, au portable du professeur, lui même éventuellement relié à un tableau interactif ou à un vidéo-projecteur.
Ce réseau à plusieurs échelles peut avoir des conséquences considérable sur les pratiques, à condition de le vouloir, de le pouvoir et d’être patient car la révolution initiée par l’arrivée des ces » joujoux » recouverts de Kevlar suppose un long apprentissage et une réelle motivation de la part des professeurs. Apprivoiser cet outil global prendra des années et les quelques exemples de pratiques qui suivent ne sont guère que des pistes explorées, mais pas toujours universellement exploitées.
L’outil de documentation et de recherche et d’analyse : vers l’autonomie précoce des élèves ?
Fourni avec deux encyclopédies ( Universalis et Encarta) sur son disque dur, le portable commence bien souvent sa carrière pédagogique avec une initiation à la recherche dans ces outils, en tout cas pour les matières littéraires où » à contenu « . Un drame pour les documentalistes qui voient la fréquentation des troisièmes fondre comme neige au soleil au CDI. Mais très tôt, les élèves peuvent apprendre à passer d’un support d’information à un autre ; le professeur d’Histoire peut, par exemple, apprendre à ses élèves à ne pas se contenter de l’index du manuel interactif (les mots difficiles, événements et personnages présents sur les textes sont cliquables et conduisent à des définitions, des biographies) : une autre définition est disponible dans le dictionnaire également fourni ; on peut aussi compléter par une petite recherche dans les encyclopédies, voire sur Internet, le tout en classe : A Mimizan, 19 des 30 professeurs interrogés en mai 2002 l’avaient utilisé au moins un fois dans l’année.
http://www.landesinteractives.net/info/doc_pdf/bilmim05.pdf
La recherche documentaire est associée, voire intégrée dans le cours d’une façon plus aisée que par le déplacement du groupe au CDI où le travail sur un réseau de postes fixes : le lien est ici immédiat. Même sans révolutionner la structure du cours qui peut rester assez classique, l’élève doit gagner en autonomie au cours de l’année. Reste que cela n’a semble-t-il pas résolu la manie du copier-coller.
A un stade supérieur, les élèves d’art plastique de Mimizan constituent eux même le dossier iconographique (recherche des natures mortes, assemblage avec Paint) puis analysent les œuvres selon une grille qu’ils doivent rendre sous word.
Activités, expérimentations, simulation : de la pratique à la mémorisation ?
Les sciences « gagnent du temps » en filmant des expériences difficiles à faire en classe et en les transformant en document vidéo que l’élève peut gagner chez lui : ainsi la division cellulaire filmée au microscope pour la classe de SVT, que l’on va pouvoir revoir à volonté ; il en est de même pour les simulations (oscilloscope par exemple) d’appareils trop coûteux. C’est donc la totalité de la logique du cours que l’élève peut retrouver chez lui et pas seulement la trace écrite de son cahier (on pourrait faire la même observation pour les extraits vidéo concernant l’histoire contemporaine) ; on a peut-être là une clef pour une meilleure mémorisation. On mémorise, on se salit moins, mais quels sont les dangers pour le devenir de la pratique dans ces matières expérimentales ?
L’élève acteur et créateur
Outil de recherche, le portable associé aux moyens de partage du réseau est aussi un outil de présentation valorisant, pour le professeur, mais aussi et surtout pour les élèves : revues de presse, dossiers agrémentés d’extraits sonores et vidéo, l’exposé classique où l’élève ânonnait le texte devant des élèves prend un sacré coup de vieux pour les élèves dont les professeurs les laissent s’emparer un temps du vidéo projecteur depuis leur portable. (L’an dernier comme cette année, un logiciel de présentation équipe les portables)
Dans certaines matières, la création sur le portable apparaît naturelle : en technologie, les élèves utilisent un logiciel de C.A.O. (conception assistée par ordinateur) pour réaliser des objets en 3D (une télécommande…). Même sans outil très performant (un simple Paint), les arts plastique initient les élèves aux collages, à la retouche d’image.
Contrôler : la question de la trace écrite et de la surveillance
Disparue chez certains professeurs où l’on renvoie les élèves à des cours sous Word disponibles sur le réseau local, la prise de note et le cahier sont maintenus avec vigilance et rigueur dans d’autres où le portable est surtout un ersatz de matériel d’expérimentation (voir supra). Il n’y a sur ce sujet, ni consensus parmi les professeurs, ni régularité absolue dans leur pratique : on peut maintenir le cahier et faire une expérience de prise de note sur ordinateur qui offre l’intérêt de pouvoir être corrigée et remise en forme ; certains exercices peuvent être rendus sous Word, voire sous html.
D’un coté, la suppression de la prise de note/dictée laisse plus de temps pour approfondir l’analyse des documents en classe, mais de l’autre, les élèves ont parfois peur de moins bien mémoriser s’il n’écrivent pas : force de l’habitude ou handicap réel ? Pour la trace écrite comme pour beaucoup d’autres pratiques, le stade des recherches en laboratoire n’est sans doute pas prêt de s’achever.
Et les utilisations illicites du portables ? Elles existent bien sûr, à la maison comme en classe, où elles vont de la simple promenade dans des pages non prévues du manuels, jusqu’à l’utilisation de jeux et à l’échange de messages : la perversion du portable a simplement remplacé l’agenda. Mais l’agenda lui, ne pouvait être contrôlé à distance par le professeur, qui ici est doté d’un logiciel lui permettant de voir tous les écrans et de bloquer les ordinateurs des contrevenants : mais si l’ordinateur du professeur se transforme en tour de contrôle des trafics informatiques des élèves, quid de son rôle de diffusion des documents (via le vidéo-projecteur ou le réseau)? Là encore, cela suppose une diminution du rôle « démonstratif » du professeur, et une montée de son rôle de suivi du travail des élèves, éventuellement dans le cadre d’une pédagogie différenciée: Quel travail !
Quelques liens :
Le site officiel de l’expérience (témoignages, bilans)
http://www.landesinteractives.net/
Son forum :
http://www.landesinteractives.com/forum/list.php?collapse=1&f=1
(nb : d’autres supports de mutualisation existent, par l’Académie de Bordeaux notamment, mais la liste de diffusion est strictement réservée aux collègues des landes)
Sur H-Français, plusieurs témoignages d’une collègue d’Histoire Géographie (Fabienne Saint Germain
http://h-net.msu.edu/cgi-bin/logbrowse.pl?trx=vx[…]
(21 janvier 2002)
http://h-net.msu.edu/cgi-bin/logbrowse.pl?trx=vx[…]
(27 septembre 2002)
Cet article est paru dans le numéro 24 du Café pédagogique, le 3 Octobre 2002