Le 12 mars 2020, JM Blanquer affirmait le matin qu’il ne fermerait pas les écoles. Dans l’après midi le président de le République annonçait le confinement général. Un an plus tard, le ministère de l’Education nationale présente un bilan officiel avec un souci : montrer que la France est en pointe et que l’institution scolaire a toujours été présenté, réactive et jamais dépassée. Une présentation qui se heurte à la mémoire collective mais aussi à ce que montrent des enquêtes sociologiques ou même des travaux de l’OCDE.
« L’institution s’est adaptée »
« Il y a eu des difficultés mais l’institution s’est adaptée dans des temps très resserrés », nous dit un haut cadre du ministère. Si « tout n’a pas été parfait », le dossier construit par le ministère, dont des éléments ont été communiqués par le ministre aux députés le 10 mars, sonne comme une série de communiqués de victoire.
Ainsi dès le 8 février 2020 le ministère réagit au covid 19 en fermant 3 établissements. La chronologie saute de façon diplomatique la journée du 12 mars. Mais « mi mars » des pages disciplinaires sont créées sur Eduscol et Ma classe à la maison ouvert. Fin mars c’est Lumni. Le 10 avril l’ouverture de Docaposte (un mois après la fermeture) est célébrée. Et la circulaire sur la réouverture partielle du 11 mais est publiée le 4 mai.
Le ministère met aussi en avant des chiffres. 17 millions de visites sur le site du Cned pour le premier confinement. 11 millions de classes virtuelles tenues. 217 millions de visites sur les ENT en mars 2020. 417 000 visiteurs uniques sur Lumni de mars à juin 2020. Etc.
Ce que nous dit la comparaison internationale
Tous ces efforts sont bien réels. Mais il sont à comparer à ce qui s’est passé ailleurs. C’est un travail que l’OCDE a fait en novembre 2020.Dans son étude sur la continuité pédagogique pendant la crise sanitaire, l’OCDE ne mentionne la France que 6 fois. Et l’étude montre la France a négligé certains domaines.
Ainsi l’OCDE cite bien Lumnix mais parmi d’autres exemples similaires , en Nouvelle Zélande, au Portugal par exemple. Là où la France n’est pas citée en exemple c’est dans le soutien social aux élèves. Si le ministère met en avant 8000 ordinateurs disponibles au prêt, le Chili en revendique 125 000 (avec connexion internet payée) par exemple. L’Angleterre a veillé à maintenir ses repas gratuits offerts aux élèves. La Suède, la Norvège, la Slovaquie, le Portugal , le Mexique, le Canda se sont intéressés aux élèves allophones, jugés plus vulnérables, avec des programmes spéciaux. Une idée qui n’a même pas effleuré la rue de Grenelle. Celle-ci met en avant son programme de cours d’été. Mais la plupart des pays en ont fait autant. Pour le déconfinement, des pays ont largement recruté des enseignants, des aides, des psychologues pour la réouverture. On sait ce qu’il en est ici. La France a financé 1.5M d’heures supplémentaires. Le Royaume Uni a débloqué un milliard supplémentaire pour ses écoles. Le Canada deux milliards.
Le radeau de la Méduse
Mais ce qui frappe surtout c’est l’écart entre la mémoire que cadres de terrain, enseignants et parents gardent de cette période extraordinaire. Ce que tout le monde sait c’est qu’il y a eu des mois où l’institution nationale a été hors jeu. Et des semaines où localement elle a été absente.
La mémoire des enseignants garde le souvenir de ces semaines où ils ont assumé seuls l’institution, où ils ont du réinventer des formes d’enseignement avec les moyens du bord. Parce que en réalité, et malgré l’évidence de l’arrivée du confinement, le discours officiel était qu’il n’aurait pas lieu. Il n’y a donc eu aucune préparation de faite avant que tombe l’annonce du 12 mars.
Un récent numéro d’Administration & éducation (n°169) rappelle tout cela. C Bisson Vaivre et A Tobaty, deux inspecteurs généraux honoraires, ont des images parlantes pour décrire cela. C’est « le radeau de la Méduse » : les professeurs abandonnés sur leur radeau voient l’institution s’éloigner et les laisser seuls face au destin.
Ce numéro dresse un vrai bilan de la période en s’appuyant sur des témoignages mais aussi des recherches menées par des laboratoires universitaires. Christine Félix, Pierre-Alain Filippi, Sophie Gebeil et Perrine Martin (Univ. d’Aix Marseille) s’appuient sur une série d’entretiens avec des enseignants pour montrer les effets d’un enseignement à distance non anticipé. » Le silence institutionnel à propos des moyens à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs visés a contraint les différents protagonistes à définir eux-mêmes les tâches les plus appropriées à cette situation inédite de travail à distance de l’école, notamment en s’efforçant de « mettre à leur main » des outils, matériels et symboliques, vis-à-vis desquels ils n’avaient que très peu de familiarité avant ce premier confinement », écrivent-ils. Dans cette première période ils montrent » l’absence du management de proximité sur la scène du travail réel lors de ce premier confinement ».
Violaine Kubiszewski, Feirouz Boudokhane-Lima, Annie Lasne, Florent Lheureux et Emilie Saunier (Université de Bourgogne) s’appuient sur près de 2000 témoignages de professionnels de l’éducation de l’académie de Besançon. Ils montrent qu’il y a eu « adhésion massive à la continuité pédagogique mais avec des interprétation différentes sur les objectifs. Des contacts inédits se sont noués avec les élèves avec la prise de conscience de la montée des inégalités. En Rep, Séverine Chauvel (Upec), Romain Delès et Filipo Perone (Univ. de Bordeaux) montrent » de nouvelles formes de réflexivité (chez les enseignants) et, parmi celles-ci, une capacité accrue à appréhender les difficultés éducatives des élèves et de leurs familles dans leur complexité. Les entretiens ont mis au jour que le confinement a été l’occasion d’un accroissement de leur réflexivité : sur les pratiques professionnelles, mais aussi sur les représentations des familles et des élèves ».
Est-on mieux préparé ?
La crise sanitaire été l’occasion de découvertes nombreuses chez les enseignants. Elle a laissé des traces. Elle a mis en évidence l’importance de nouveaux acteurs (professeurs principaux, référents tice etc.). Qu’a-t-on fait de tout cela ?
Alors qu’un nouveau confinement rode, quelle préparation concrète a été faite s’il devait arriver ? Quels moyens distribués pour faire face à la fracture numérique de tant d’élèves ? Quel rôle pour ces acteurs méconnus qui ont aidé leurs collègues à faire tourner l’école en mars et avril 2020 ? Certains semblent même exclus de la prime informatique. Quelle capitalisation matérielle, organisationnelle et pédagogique dans les établissements ?
La principale leçon de cet épisode, peu glorieux pour le ministre et ses hauts cadres, c’est que l’institution veut l’enfouir. Sous un beau dossier , une chronologie travaillée et une avalanche de chiffres.
François Jarraud