L’immigration est au centre de tous les débats politiques et les enseignants sont en première ligne. Ils ont face à eux un public différent, avec des trajectoires différentes, des langues différentes, des origines différentes. Ils doivent porter les valeurs de la République alors que certains jeunes les rejettent et que les élèves en général vivent les inégalités au sein du système éducatif. L’histoire de l’immigration continue de s’écrire sous nos yeux avec la « crise » des réfugiés. Comment combattre les idées intolérantes ? Avec les outils de la connaissance nous explique Benjamin Stora, professeur à l’université Paris 13 et président du Conseil d’orientation du Musée de l’histoire de l’immigration. Parce que » l’Ecole constitue le dernier lieu où on peut opérer le vivre-ensemble, le mélange culturel ».
La France : une Nation qui s’est construite avec l’immigration
La question de l’immigration est devenue essentielle voire brûlante et dangereuse dans la société française du XXIème siècle. C’est une question centrale et importante dans les débats idéologiques : peur de l’autre, peur de l’étranger, crainte de la diabolisation, discours violents, incompréhensions,…
D’emblée, Benjamin Stora pose le postulat de départ à sa réflexion : le France s’est construite en partie avec l’immigration mais la France a justement du mal se représenter comme cette Nation qui s’est construite sur l’immigration. C’est comme si elle avait choisi d’effacer les apports successifs des différentes vagues migratoires qu’elle a connues. Par exemple, on se rend compte que les programmes scolaires, proposée par le Conseil Supérieur des Programmes, ont beaucoup de difficultés à aborder la question, il n’y a presque rien sur ce thème de l’immigration. On a préféré privilégier l’unité nationale et une histoire commune, linéaire avec une origine de peuplement fixe et stable.
Les grandes vagues migratoires en France depuis le XIXème siècle
Quelles grandes vagues migratoires ont permis de construire la Nation d’aujourd’hui ? Sujet sur lequel on ne peut faire l’impasse dans ce débat…
Les Italiens, les Belges, les Espagnols, les Juifs d’Europe centrale… Ce sont les premières grandes vagues d’immigration arrivées en France dès la fin du XIXème siècle. Il est parfois difficile de savoir ce qui a poussé ces personnes à se déplacer car la frontière qu’on essaie de tracer entre le « migrant économique » (qui vient pour travailler) et le « migrant politique » (déplacé par un régime politique tyrannique, persécuté) est souvent très difficile à tracer. Les Italiens, par exemple, avait besoin de fuir le fascisme mais également le marasme économique et le manque de travail de leur pays. C’est surtout une immigration en grande partie européenne qui a touché la France à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. La dernière grande vague migratoire enregistrée a été celle des 450 000 réfugiés espagnols, dans le Sud de la France, près de Perpignan (Rivesaltes, Barcarès, Saint-Cyprien, Gurs,…) due à de graves événements politiques (défaite des Républicains espagnols).
Quand on analyse ces premières vagues migratoires, on se rend compte que ça n’a pas été évident pour ces « étrangers » (le terme d’« immigré » n’apparaît que dans les années 60). La création de la carte d’identité date de 1927, par exemple : elle permet de tracer la frontière entre les nationaux et les étrangers. Toutes ces familles sont rencontré des difficultés extrêmes pour être intégrées : elles ont été confrontées au nationalisme français intégral de l’époque (politique maurassienne), à la xénophobie et aux persécutions (contre les italiens, par exemple, à la fin XIXème siècle, contre les Espagnols internés dans les camps des sables dans les années 40, contre les Juifs sous Vichy,…) Il serait d’ailleurs intéressant de se demander pourquoi il y a eu autant de camps en France et pourquoi il y en a encore…
Au début du XXème siècle, il y avait déjà des immigrations de type colonial : la France était considérée comme une terre de la liberté dans les années 30 et Paris étaient une des grandes capitales de la création artistique. Y ont notamment séjourné et vécu les peintres Picasso, Modigliani ou Chagall… Picasso d’ailleurs, grand peintre « français », de renommée internationale, a mis beaucoup de temps pour acquérir la nationalité française ! Il reste encore trace des nombreux courriers qu’il a rédigés à l’époque, témoignant de son long combat pour l’intégration. La culture noire en France était également très développée (culture du jazz notamment dans certains grands quartiers parisiens). Paris connaissait davantage de liberté et de tolérance à cette époque que les Etats-Unis, envahis par les questions ségrégationnelles. Il y a donc déjà une histoire ancienne de l’immigration et une histoire ancienne de l’intégration. Les étrangers étaient au plus bas de l’échelle sociale. Cela a peu changé aujourd’hui…
Les vagues qui arrivent ensuite et qui s’additionnent à celles d’avant ont tendance à être opposées. Elles viennent essentiellement du sud de la Méditerranée : Maghreb et Afrique subsaharienne. Cette immigration post-coloniale s’est développée au moment des indépendances coloniales. Or, la France a officiellement fermé ses frontières en 1974. Aucun gouvernement n’est jamais revenu sur cette loi depuis, donc on assiste à l’arrivée de nombreux clandestins qu’on régularise tous les 10/15 ans environ. La question à se poser est celle de savoir si ces vagues migratoires non européennes n’ont pas un écart culturel trop fort par rapport à la culture française, si on les compare aux vagues d’immigration européennes ? En effet, il peut sembler y avoir un écart important, notamment sur l’Islam, nœud du problème actuellement. C’est en fait un paradoxe : la proximité culturelle des immigrés post-coloniaux (ils parlent français le plus souvent !) semble bien plus importante que celle des immigrés européens (qui ont des langues très éloignées du français et avec lesquels il est beaucoup moins évident de se parler et de se comprendre).
Avec ces dernières vagues migratoires, qui constituent un sujet de préoccupation fort au sein de la société français, trois malentendus de sont posés :
– tout d’abord, il y a un fossé, un premier grand quiproquo historique, entre cette vision de la France-pays des Droits de l’Homme et de la tolérance et la réalité de ce qu’ils vivent en arrivant. L’écart est trop important et on leur faire savoir. Ils ont l’impression d’être dans un espace connu, évident mais ce n’est pas le cas ;
– le second fossé est celui qui séparent certaines de ces populations et la France, du fait d’une incompréhension qui tient à l’histoire de la colonisation (traumatismes culturels, politiques,…) qui persiste (notamment autour de l’idée de « repentance ») ;
– enfin, troisième différence lourde vient du fait que la première vague migratoire arrivait dans une société très forte du point de vue de son identité républicaine ; or aujourd’hui, le modèle culturel français en crise et s’interroge sur son identité, notamment du fait des mondialisations : la France n’est plus une grande puissance impériale et coloniale, elle est juste un pays comme un autre et elle a du mal à l’accepter.
Ces quiproquos, en les additionnant, créent des perturbations fortes au sein de la société française que le Musée de l’histoire de l’immigration va essayer d’expliquer sans renvoyer uniquement à la cause de la religion.
Face au rejet des apports de l’immigration : un Musée national pour mieux comprendre
Le Musée de l’immigration a été créé en 2002, suite au choc provoqué par l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, afin de valoriser l’apport des immigrations dans la construction française, et notamment, faire connaître ces apports. Mais la création de cet établissement n’est pas allée de soi : ce Musée pourtant « national » n’avait jamais été inauguré par un président de la République en fonction, il a fallu attendre plus de dix ans pour cela (l’inauguration a eu lieu en décembre2014). Aujourd’hui encore, il reste difficile à imposer dans le paysage culturel actuel français. Les dotations pour ce musée sont très faibles par exemple. Il a une place importante dans l’Histoire de notre Nation mais c’est toujours le plus petit musée national de France ! Petit et méconnu… Malgré quand même 400 000 visiteurs cette année sur une exposition « Fashion Mix », qui a rassemblé des créateurs de nombreux autres pays, et bien sûr quelques créateurs français.
Le Musée propose également des formations d’enseignants et des classes sont accueillies régulièrement. Il dispose également de ressources mises à disposition du réseau Canopé, d’Eduscol, et peut prêter des livres, bibliographies, textes,… En plus d’expositions temporaires, on y trouve bien sûr une exposition permanente sur l’histoire générale de l’immigration en France de la fin du XIXème siècle jusqu’à maintenant. On y voit également les « migrants de l’intérieur », déplacés pour cause de développement industriel, lors des Révolutions industrielles. Le Musée essaie de s’affranchir de l’idée que ce sont les questions de religion qui expliquent tout, la difficulté étant de revenir à l’Histoire, de revenir à ce qui a conduit à des rapprochements ou des séparation : il s’agit en effet d’en revenir à une Histoire qui soit assumé dans toutes ses facettes : ses aspects valorisants comme ses difficultés.
Comment enseigner cette question à l’école ?
La question de l’éducation et de l’instruction est décisive sur le thème de l’immigration, encore qu’une autre problématique est aussi importante, celle de la vidéosphère, c’est-à-dire de ce qui est diffusé et transmis en dehors de l’école : comment maîtriser la puissance d’un système contre-éducatif à l’intérieur duquel les enseignants sont mal armés voire dépassés ? Comment s’approprier et utiliser cette vidéosphère ? Comment s’y adapter ?
D’un point de vue pédagogique, et même si les programmes restent très discrets sur le sujet des colonisations et de l’immigration, la transmission du savoir reste essentielle pour l’école d’aujourd’hui. Aller au plus simple sur le plan pédagogique, c’est raconter aussi l’histoire des autres. Or, pour la raconter, il faut la connaitre. Or, en France par exemple, il n’y a que 4 enseignants de l’histoire du Maghreb pour les universités. On a donc pris du retard, on connaît peu les langues étrangères. Bien sûr, tout ne peut pas être que de la responsabilité des enseignants. Mais, comment enseigner aux élèves l’histoire des autres quand nous-mêmes on ne la connaît pas ? Par exemple, que savons-nous réellement des artistes des pays d’Afrique du Nord ou de l’Afrique subsaharienne ?
Un effort de réciprocité est attendu : on ne peut pas demander aux autres de tout savoir de nous si nous on ne sait rien d’eux. Cela pose bien sûr la question de la formation des enseignants… En effet, il existe par exemple un manuel scolaire d’histoire français-allemand qui permet de faire valoir deux points de vue différents sur deux Histoires nationales douloureuses. Entre historiens, des compromis et des versions acceptables pour les deux Etats ont été trouvées. Mais dans les deux pays, les enseignants ne s’en sont pas emparé, ce manuel est méconnu et ne suscite pas d’intérêt, donc on reste prisonniers des Histoires nationales.
Par ailleurs, on peut se demander ce que sont réellement les mécanismes d’intégration dans notre société et la manière de les réactiver : ne devrions-nous pas renoncer au projet purement intégratoire pour essayer de construire un vivre-ensemble dans le respect des différences ?
Clairement et pour conclure, l’Ecole constitue le dernier lieu où on peut opérer le vivre-ensemble, le mélange culturel. Elle doit garder comme fil conducteur l’idée de participer au règlement du problème plutôt qu’à son aggravation. L’objectif de l’éducation de tous temps, c’est de combler ces fossés trop grands que sont la méconnaissance et la peur de l’autre et donc l’exclusion. Pourtant, il existe un discours pessimiste en France, un point de vue dominant emprunt de déclinisme et de catastrophisme, un point de vue qu’on entend partout qui assène que « tout est fini »….
A cela il nous faut répondre par une attitude beaucoup plus positive : certes, on est en crise, mais alors qu’est-ce qu’on fait ? Quel(s) discour(s) décide-t-on de construire ? Comment on tend la main ? Car, si l’on décide que « tout est fini », à l’Ecole comme ailleurs, alors, il n’y a plus rien à faire, plus rien à produire, c’est la guerre, les affrontements, la ghettoïsation… A quoi sert l’éducation si tout est déjà terminé ? Il nous faut prendre conscience que l’Histoire n’est jamais finie, jamais terminée et qu’il y a toujours quelque chose à faire, peut-être même en proposant davantage aux enseignants de se former à la connaissance du monde et des autres.
Alexandra Mazzilli
Programme du musée à venir :
– Une exposition « frontières » en préparation : à quoi sert une frontière ? Comment franchir une frontière ? Faut-il fermer ou ouvrir une frontière ?
– Une exposition prévue pour 2016 sur les Italiens en France (très grande vague migratoire).
– Une exposition prévue en 2017 : Paris-Londres, capitale des immigrés, avec une mise en miroir de ces deux des « villes-mondes »
Il y a aussi des expositions intermédiaires et des expositions itinérantes, dont l’une est consacrée aux réfugiés climatiques. Le Musée envisage que ces expositions partent à la rencontre des établissements scolaires mais les moyens sont pour l’instant trop restreints.
NB : Nous publierons d’autres comptes-rendus de l’université d’automne le 27 octobre….