- Antibi : « La constante macabre n’est pas un problème de notation ; c’est un problème de culture de l’évaluation »
- Deux ans sans notes au lycée. Un bilan
Alors que Najat Vallaud-Belkacem a inscrit la conférence sur l’évaluation dans l’agenda des enseignants, le père de l’évaluation par contrat de confiance (EPCC) publie un nouvel ouvrage qui tombe à pic. « Pour des élèves heureux en travaillant » c’est, si l’on a bien compris, l’objectif de la rénovation de l’évaluation voulue par le ministère. Véritable guide pratique pour installer l’EPCC dans son école, le livre fait avancer la réflexion sur l’évaluation en France avec des outils dont chaque enseignant peut s’emparer.
C’est en 2003 qu’André Antibi a publié l’ouvrage fondateur du MCLCM « La constante macabre ». Celle-ci se traduit par le fait que les enseignants semblent obligés, pour être crédibles, de mettre un certain pourcentage de mauvaises notes, même dans les classes de bon niveau. Le système de notation implique que certains élèves, souvent la moitié, aient « moins que la moyenne ». « On pense qu’une répartition de notes est un phénomène naturel, et donc qu’il est normal qu’elle donne lieu à une courbe de Gauss », explique A Antibi. Les résultats sont connus : sentiment d’injustice chez les élèves et aigreur des relations entre professeurs et élèves. Surtout, perte de confiance en soi des élèves, un phénomène qui affecte particulièrement les élèves français selon les enquêtes internationales.
Pour y remédier, André Antibi a imaginé l’évaluation par contrat de confiance (EPCC). Celle-ci repose sur un programme de révision explicite. Une semaine avant le contrôle les élèves disposent d’un programme de révision précis et un ou deux jours avant le contrôle un jeu de questions – réponses permet de déceler les difficultés. L’EPCC s’appuie donc sur des usages scolaires installés en travaillant de façon plus rigoureuse la préparation à l’évaluation.
Issu des innombrables conférences données par A Antibi, l’ouvrage ne reprend pas les bases de l’EPCC et son histoire. Le livre est pratiquement une Foire aux questions qui répond aux questions concrètes que les enseignants se posent sur sa mise en place et plus généralement sur l’évaluation. Comment assumer la transition entre évaluation classique et EPCC ? Quel lien entre l’EPCC et l’évaluation par compétences ? L’EPCC conduit-elle à supprimer les notes ?
« L’EPCC ne permet pas de résoudre tous les problèmes du système éducatif« , explique André Antibi. « Il permet d’améliorer sensiblement la situation présente de façon réaliste sans demander un surcroît de travail aux enseignants ». C’est parce qu’elle s’ancre dans le concret des enseignants que l’EPCC gagne régulièrement du terrain au point d’être pratiquée aujourd’hui par 50 000 enseignants. En effet, dans l’évaluation par contrat de confiance, il y a le mot clé qui ouvre la porte de la Refondation : la confiance.
François Jarraud
André Antibi, Pour des élèves heureux en travaillant ou les bienfaits de l’évaluation par contrat de confiance, Edition Math’Adore, ISBN 978-2-09-189255-9, 15€. En librairie vers le 15 septembre.
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Professeur de mathématiques, conférencier, mais aussi musicien, André Antibi poursuit depuis plus de 10 ans une véritable réforme de l’évaluation en France. Pas une énième réforme administrative. Mais une véritable révolution culturelle du système éducatif qui le refonde en mettant le contrat de confiance au centre. Il explique les objectifs de ce nouveau livre et sa stratégie au moment où le ministère veut faire réfléchir les enseignants au poids de l’évaluation traditionnelle.
L’ouvrage accorde une large place aux témoignages d’enseignants qui mettent en place l’EPCC. C’est une sorte de guide pratique ?
Le système d’évaluation par contrat de confiance (EPCC) est présenté dans le livre « Pour en finir avec la constante macabre » (Ed. Math’Adore – Nathan, 2007). L’ouvrage actuel est essentiellement destiné à apporter des réponses aux nombreuses questions posées par les professeurs à la fin de mes conférences sur ce thème. On peut effectivement considérer qu’il s’agit d’un guide pratique pour la mise en place de l’EPCC. Mais il s’agit également de mettre l’accent sur un point très important : L’EPCC, initialement mis en place pour aider les enseignants à éradiquer la constante macabre, présente d’autres avantages : amélioration sensible du climat de confiance au sein de notre système éducatif, forte incitation au travail de nos élèves, amélioration du bien-être des élèves (et de leurs professeurs). Cette amélioration permettrait de remédier à un grave dysfonctionnement de notre système éducatif, le mal-être des élèves français à l’école. Selon les enquêtes internationales à ce sujet, notre pays est particulièrement mal classé dans ce domaine.
Un enseignant peut il appliquer seul l’EPCC ?
Oui. Mais il convient de ne pas mettre en place l’EPCC « en cachette ». Le chef d’établissement doit être d’accord (c’est pratiquement toujours le cas). Les parents d’élèves doivent être prévenus. Souvent un courrier explicatif leur est adressé, en précisant clairement qu’il ne s’agit pas du tout d’un système laxiste, que l’EPCC bénéficie du soutien du Ministère et de nombreuses personnalités reconnues, que, dans le cadre de l’évaluation par contrat de confiance, le niveau des élèves augmente puisqu’ils travaillent vraiment beaucoup plus sur les notions fondamentales du programme. Il convient d’autre part de signaler que l’enseignement ne se réduit pas à des activités de restitution de type « EPCC », que les élèves auront également à résoudre des problèmes « complexes » (non notés) pendant la phase d’apprentissage, qui représente l’essentiel du temps scolaire.
L’évaluation par compétence se développe. Est-elle compatible avec l’EPCC ?
L’évaluation par compétence est souvent une notion très vague, mal définie, qui perturbe donc la majorité des enseignants. Je pense qu’il y a cependant un point très positif dans ce type d’évaluation : on cible beaucoup mieux sur quel domaine est évalué l’élève. Je propose donc une définition modeste mais accessible du mot « compétence » : une compétence correspond à une partie d’un programme. Il pourrait y en avoir une dizaine par discipline chaque année. Chaque contrôle porterait sur l’une de ces compétences et pourrait être évalué dans le cadre de l’EPCC. On pourrait alors remédier plus clairement et plus efficacement aux lacunes éventuelles d’un élève, en lui proposant d’être soumis, en fin de trimestre par exemple, à un nouveau contrôle portant sur la compétence non réussie, en lui permettant ainsi d’obtenir cette compétence. En réponse à votre question, l’évaluation par compétence, au sens que je propose ici, n’est donc en rien incompatible avec l’EPCC.
L’EPCC est-ce une évaluation sans note ? Que pensez-vous de leur suppression ?
L’EPCC est réalisée sans suppression des notes. Une telle suppression me semble dangereuse pour plusieurs raisons. Cela perturberait les enseignants, les élèves et leurs parents, car ils perdraient leurs repères. Le point suivant est encore plus dangereux : on pourrait laisser croire que la suppression des notes permettrait de supprimer le phénomène de constante macabre dont souffre notre pays, c’est-à-dire cette tendance inconsciente à ne considérer une évaluation sérieuse que lorsqu’il y a un certain pourcentage d’échec, même dans les classes de bon niveau. Or je peux affirmer que la constante macabre n’est pas un problème de notation ; c’est un problème bien plus profond de culture de l’évaluation. Si on supprimait les notes, les lettres,…, on s’arrangerait toujours pour avoir un certain pourcentage de mauvaises appréciations pour être crédibles.
L’EPCC est soutenue par de nombreux mouvements et personnalités. Presque par tout ce qui compte dans le système éducatif, du ministère à la Fsu. Alors comment expliquer que sa diffusion soit encore si lente ?
Il y a environ 50 000 professeurs qui mettent en pratique l’EPCC. C’est effectivement peu compte tenu du nombre total d’enseignants en France. Malgré les effets très positifs de ce système d’évaluation, je ne pense pas qu’il doive être imposé aux professeurs sans explications, sans discussions. Plus généralement, je pense que l’avis des enseignants doit être vraiment pris en compte avant de proposer une mesure nouvelle. Je dois dire que la plupart des enseignants qui pratiquent l’EPCC l’ont fait après en avoir été informés, le plus souvent après une journée de formation sur la constante macabre et sur ce système d’évaluation.
Pour accélérer la diffusion de l’EPCC, il serait très souhaitable que le ministère encourage la mise en pratique de ce système d‘évaluation, en précisant d’ailleurs que d’autres systèmes d’évaluation peuvent avoir des effets positifs : contrôle en cours de formation, devoirs à la maison, études de textes ou de dossiers en temps non limité,… plus généralement tout système d’évaluation qui permet de restaurer la confiance, de supprimer le stress, de récompenser le travail, sans piège. Je pense qu’actuellement le système qui permet le mieux d’évaluer l’acquisition de connaissances est l’EPCC.
L’EPCC est-elle enseignée en Espe ?
D’après quelques témoignages, il en est parfois question, mais à ma connaissance cette notion fait rarement partie d’un programme officiel .Cependant, en accord avec Jean-Paul Delahaye, alors Directeur Général de la DGESCO, une vidéo de présentation du phénomène de constante macabre et de l’EPCC, destinée à la formation d’étudiants et d’enseignants, est disponible sur le site EDUSCOL.
Il y a cette année un intérêt officiel de l’institution scolaire pour les questions d’évaluation. Comment se situe votre mouvement, le MCLCM, dans cette perspective ?
Notre mouvement se tient à la disposition du Ministère pour toutes les questions concernant l’évaluation, et plus particulièrement le phénomène de constante macabre et le système d’évaluation par contrat de confiance. Le soutien du Ministère pour notre action ne fait pas de doute, comme l’a signalé, par exemple, Florence Robine, directrice générale de la DGESCO, lors de l’inauguration de notre colloque annuel le 4 juin 2014. Ce soutien n’est pas que verbal ; les subventions du Ministère au MCLCM (crédits, heures supplémentaires aux enseignants) ont pratiquement doublé cette année. Nous sommes donc encouragés et nous allons poursuivre notre action.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur l’EPCC
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- Deux ans sans notes au lycée. Un bilan
Peut-on abandonner les notes au lycée ? Une année d’examen ? Célia Guerrieri, une jeune professeure de lettres, fait le bilan de deux années d’expérimentation en première. « La note est devenue utilitaire pour une grande majorité d’élèves, et non pas le simple constat qu’elle devrait être pour permettre de progresser. Cette dimension utilitariste m’a semblé parfois aller de pair avec un désintérêt pour la matière », nous dit-elle. Mais, « évaluer par compétences ne fait pas de miracle »…
« Les notes et les classements sont toujours une erreur »(1) : quel constat, dans vos pratiques, vous a incitée à tenter l’expérience du sans-note ?
Je suis TZR, et au fil des années et de mon expérience dans des établissements très différents, je me suis rendu compte de ce qui était, pour moi, un invariant : les notes étaient rarement ce qui permettait aux élèves de progresser. Pour certains, c’était un jugement porté sur leur personne, leur intelligence ; pour d’autres, un moyen d’obtenir la moyenne qui leur garantirait le passage désiré ou la dernière console de jeu en récompense. De plus, alors même que l’évaluation doit leur permettre d’observer ce qu’ils maîtrisent et ce qu’ils doivent travailler, j’ai constaté dans mes classes que la note n’était pas pour eux un indicateur explicite par rapport à ce qu’ils savaient faire ou pas, mais simplement un indicateur pour savoir où ils se situaient par rapport au reste de la classe.
De très nombreux élèves ne produisaient leur devoir que pour la note qu’ils allaient obtenir et non pas pour connaître leurs acquis et leurs objectifs de travail. Pour un grand nombre d’entre eux, cela signifiait aussi répéter sans cesse les mêmes erreurs ; pour d’autres, passer en classe supérieure sans jamais avoir acquis les compétences nécessaires, tout simplement parce que, par un jeu stratégique, ils arrivaient à obtenir les notes qui suffisent. Est-ce que cela signifie que la note est une erreur comme le dit Freinet? Je pense que c’est surtout la façon dont les élèves la perçoivent et l’usage qu’ils en font: la note est devenue utilitaire pour une grande majorité d’élèves, et non pas le simple constat qu’elle devrait être pour permettre de progresser. Cette dimension utilitariste m’a semblé parfois aller de pair avec un désintérêt pour la matière: à partir du moment où seules les notes que je rends intéressent les élèves, pourquoi s’intéresser à ce que je dis, ce que j’essaie de leur faire découvrir, prendre le temps d’y réfléchir? L’évaluation par compétences permet de les recentrer sur ce qu’ils savent faire, ce qu’ils veulent réussir, ce qu’ils se sentent capables d’essayer.
En citant plusieurs exemples concrets dans votre bilan, vous remarquez qu’un élément moteur de la motivation de l’élève est de cesser de noter l’activité pédagogique elle-même, et d’évaluer l’implication de cet élève dans l’activité : cela a-t-il prise sur ceux que l’on inclut trivialement dans le « ventre mou » de la classe ?
Evaluer par compétences ne fait pas de miracle: les très bons restent très bons, ceux qui ne veulent pas travailler continuent à ne pas travailler. Nous avons tous eu de ces élèves qui travaillaient mais qui n’y arrivaient pas. Par « ne pas y arriver », généralement on veut dire qu’au vu de la production rendue, on ne peut pas leur mettre la moyenne alors même que l’on voudrait récompenser leurs efforts. Grâce à l’évaluation par compétences, ce type d’élève ne reçoit plus une longue série de 8 ou de 9 mais voit, petit à petit, les croix dans les petites cases qui progressent, ce qui le pousse à continuer ses efforts. Vous créez un cercle vertueux.
Lorsqu’un des mes élèves, face à un devoir, panique, je lui dis: « Il n’y a pas de note, calme-toi et fais de ton mieux. » Cela les rassure, même s’ils ne se rendent pas compte à quel point « fais de ton mieux » est en réalité bien plus exigeant. Et, à quelques exceptions près, c’est ce qu’ils font: de leur mieux. L’évaluation par compétences permet de les recentrer sur ce qu’ils savent faire, ce qu’ils veulent réussir, ce qu’ils se sentent capables d’essayer, au lieu de se fixer un objectif complètement abstrait dont ils ne savent que très confusément comment l’atteindre: le fameux 10/20. Ils se concentrent sur des petites choses, et en accumulant les petites réussites, ils arrivent à progresser, même si ce n’est pas de beaucoup.
Les élèves s’impliquent également beaucoup plus dans la participation orale, les activités créatives ou collaboratives car ils ont quelque chose à apporter, même si ce n’est pas grand chose, et ils savent que j’en tiendrai compte. L’évaluation est finalement constante, dans toutes les situations et activités proposées en classe. Ainsi, chaque élève pourra trouver des entrées de progression qui lui sont propres pour atteindre un objectif commun.
Les élèves à profil, tels que les « dys-« , tirent-ils profit de la classe sans-note ?
Depuis de nombreuses années, je veille à tenir compte de ces élèves à profil particuliers. Le « sans note » est arrivé plus tard dans ma pratique, mais cela m’a paru être un outil supplémentaire pour ces élèves. Grâce à l’évaluation par compétences, je peux tenir compte de l’oral d’un élève, ce qui est très important avec des dyslexiques ; je peux aussi donner des entrées de travail précises, ce qui est utile pour des élèves avec TDA(H) ; je vais considérablement soulager un élève qui a une phobie scolaire sans pour autant créer une « injustice » par rapport au reste de la classe.
Les savoir-agir ne demandent pas que l’on sache faire quelque chose en suivant un cheminement qui est toujours le même et fixé. Au contraire, cela demande de savoir utiliser une variété de moyens et d’attitudes. Les élèves à profil tirent donc parti de cela puisqu’ils vont suivre des cheminements qui leur sont propres, avec les outils qui leur conviennent, tout en cherchant à atteindre le même objectif de résolution des tâches que le reste de la classe. Mais c’est aussi une raison pour laquelle évaluer par compétences est complexe: vous avez besoin d’une grande souplesse et de beaucoup de réactivité en cours d’année pour pouvoir vous adapter aux élèves à profil qui sont en face de vous. Votre livret de compétences devient un cadre que vous modifiez, avec l’élève, sans perdre de vue vos objectifs d’enseignant.
« La massification de l’école n’offr[e] aucune garantie sur sa démocratisation » (2) : La classe sans note, selon vous, rend-elle ainsi l’enseignement des Lettres au lycée plus « démocratique » ?
Selon moi, évaluer par compétences est un outil qui doit s’inscrire dans un ensemble pédagogique. Arriver à préparer nos élèves à devenir les citoyens d’un monde qui change, irrémédiablement et très vite, qu’on le veuille ou non, ne peut pas reposer sur le simple fait d’enlever des notes. Mais dans un ensemble cohérent, cela y participe grandement. On peut éviter, ou tout du moins limiter, le décrochage de ceux qui arrivent en Seconde par le jeu des passages, en donnant toute sa place à l’idée de progression différenciée. En rendant les attentes précises et explicites et en diversifiant les situations d’évaluations, on peut également permettre à tous ceux qui percevaient le Français comme une discipline éthérée de progresser sur des compétences de lecture, de rédaction et de publication, de plus en plus essentielles. On peut aussi contourner la vision utilitariste de la matière et amener tous les élèves à s’impliquer, participer, parvenir à réfléchir par eux-mêmes. Enfin, dans une véritable évaluation par compétences, telle que Tardif l’envisage(3), l’autonomisation et la transdisciplinarité sont sans le moindre doute des atouts fondamentaux pour ces futurs citoyens.
Dans votre bilan, vous portez l’accent sur l’importance d’expliquer votre démarche en début d’année à vos élèves et à leurs parents. Avez-vous noté des résistances de leur part, ou au contraire, une relation de confiance a-t-elle pu s’instaurer ?
Les parents m’ont semblé être dans une attitude de curiosité polie. Certains étaient légitimement anxieux, mais l’échange permettait de les rassurer en attendant de voir ce qui se passerait au jour le jour. Une fois qu’ils ont pu constater que l’absence de note n’empêchait ni l’exigence disciplinaire ni les progrès, une relation de confiance s’est instaurée. Cela va sans doute paraître étonnant, mais les plus grandes résistances ne sont pas venues des parents mais des élèves. Voilà que je leur supprimais le seul et unique point de repère qu’ils connaissaient depuis l’école primaire! A cela s’ajoutait l’inquiétude: « va-t-elle mettre une note trimestrielle à la tête du client? »
Les deux années durant, cela m’a pris un trimestre d’explications patientes et rassurantes. En enlevant les notes, on bouleverse complètement ce qu’ils pensent savoir de l’école et ce qu’ils croient qu’on attend d’eux. La note est pour eux le seul moyen d’évaluer, alors même qu’ils ne savent pas vraiment ce qu’elle évalue et que, par ailleurs, pestant tant et plus sur les enseignants qui notent « trop large » ou « trop dur », ils savent qu’elle est parfois très relative. La relation de confiance a mis, pour chacune des deux années, un trimestre pour s’instaurer. La seconde année était tout de même plus facile grâce à mes anciens élèves qui pouvaient transmettre la façon dont ils avaient vécu leur année « sans note ».
L’évaluation par compétences a fait son entrée dans le secondaire depuis plusieurs années maintenant. Comment situez-vous le livret de compétences de la classe sans-note, dont vous proposez des exemples dans votre bilan, par rapport au Livret Personnel de Compétences ?
Le LPC propose une solution toute faite que l’enseignant doit faire sienne. Or, l’évaluation par compétences n’est en aucun cas une série de cases impersonnelles à cocher. Le livret est un outil qui intervient en aval d’une réflexion complexe qui élabore les savoir-agir que l’on estime nécessaires. Ces savoir-agir et les moyens d’y parvenir peuvent varier d’une académie à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’une classe à l’autre. Créer mon propre livret m’a permis de proposer des items qui étaient le fruit d’une réflexion didactique et pédagogique fondée sur des enjeux locaux sans pour autant faire fi des programmes ou des attentes de l’examen.
La classe sans-note se doit de respecter un cadre réglementaire : les élèves ont-ils malgré tout une note sur leur bulletin trimestriel ? En outre, en Lettres, en classe de Première, il faut former les élèves aux Épreuves Anticipées de Français. La perspective du passage en classe supérieure, la constitution des dossiers d’Admission Post-Bac sont d’autres contraintes encore. La classe sans-note peut-elle se fondre dans ce moule ?
J’enseigne en lycée: la note est nécessaire pour les dossiers d’Admission Post-Bac. De plus, je n’ai pas mené cette expérience dans le cadre d’une équipe pédagogique entière, j’étais seule et il me fallait donc être en cohérence avec les pratiques de l’établissement. Pour cela, à chaque fin de trimestre, je prenais le livret complet des élèves pour établir une note trimestrielle prenant en compte tous les aspects que j’avais évalués : savoirs, savoir-faire, savoir-être, mais aussi progression. Etablir cette note n’a pas été simple puisque je n’avais aucun cadre de « traduction », qu’il me fallait être à la fois cohérente, juste et impartiale, et enfin que je devais prendre en compte de façon égale la participation orale, écrite, les productions individuelles en temps limité, les productions de groupe, les productions « créatives »…
C’est une approche holistique où vous rassemblez tous les fils pour constituer une tapisserie qui tente de donner une image de l’élève, dans sa globalité, à un moment de l’année. S’il suffisait d’attribuer tant de points à chaque item sur les livrets que j’ai réalisés, tout deviendrait plus simple. Mais dans ce cas, vous perdez la notion de progression, d’implication, de collaboration, tout ce qui relève de la différenciation… et vous revenez à la case départ en attribuant des points fixes. C’est aussi, je pense, la raison pour laquelle toute une réflexion en amont est nécessaire. Sinon, vous faites une feuille avec des petites cases à cocher sans jamais véritablement voir l’élève. Cette « traduction » en note est, je crois, la grande difficulté d’une évaluation par compétences, au sens où Tardif l’entend, dans le système tel qu’il existe actuellement, et sur laquelle je veux continuer à travailler.
Une classe sans-note peut-elle être mise en place par une équipe pédagogique entière ?
La transdisciplinarité est très présente dans les travaux de Tardif. De même, évaluer par compétences dans le cadre d’une équipe pédagogique complète permet de varier les situations d’apprentissages et d’évaluations, et cela participe aussi de la différenciation. Il me semble qu’une véritable évaluation par compétences ne peut en fait avoir lieu que dans le cadre d’une équipe pédagogique complète. Mais cela peut être complexe à mettre en œuvre, ne serait-ce que par le travail de formation ou d’auto-formation nécessaire pour chaque enseignant de l’équipe.
Pierre Estrate
Notes :
(1) Célestin Freinet, Les invariants pédagogiques (1964), invariant no 19
(2) « Je suis parti de l’idée que l’école de la République, dont la forme est restée jusqu’à présent classique, cherche à devenir l’école de la démocratie, et une école démocratique. Mais je conjecture que la démocratie ne s’est pas encore dotée de sa propre forme scolaire, la massification de l’école n’offrant aucune garantie sur sa démocratisation. » Henri Louis Go, Freinet à Vence. Vers une reconstruction de la forme scolaire, collection Paideia, PUR, 2007
(3) Jacques Tardif, L’évaluation des compétences, Chenelière Education
Des références :
Le bilan sur le site de Celia Guerrieri
http://guerrieri.weebly.com/blog/deux-annees-sans-notes
Jacques Tardif, L’évaluation des compétences, Chenelière Education.
Carol-Ann Tomlinson, Vivre la différenciation en classe, Chenelière Education
Britt-Mari Barth, Le Savoir en construction, Retz
Le blog d’Anne Andrist
http://anneandrist.ch/cavaoubienblog/
Le blog de François Lamoureux
http://sicestpasmalheureux.com/
Le blog de Delphine Guichard
http://www.charivarialecole.fr/
Le point sur Eduscol
http://eduscol.education.fr/cid65721/les-classes-sans-note.html
Sur le site du Café
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