« On a intérêt à garder le plaisir d’enseigner et la foi dans le métier. Ce sont les enfants qui me motivent ». Lundi 1er septembre, les enseignants de l’école du 188 rue d’Alésia, à Paris, renouent avec le métier. Ils n’ont rien oublié d’une année de combat contre la réforme des rythmes. Mais ils sont très mobilisés pour faire réussir les enfants de ce quartier populaire du 14ème arrondissement.
Neuf classes, 20 enseignants ?
A 9 heures, ce 1er septembre, il y a déjà une vingtaine d’enseignants autour du directeur, Gauthier Lechevalier, pour organiser la rentrée des élèves. L’école du 188 rue d’Alésia a beau être au centre de Paris, ne pas faire partie officiellement de l’éducation prioritaire, elle est entourée de tours de logements sociaux. Ses 211 élèves viennent de familles populaires. En Cm2, par exemple, parmi les 28 élèves (quand même..), seuls trois n’ont pas des noms d’origine étrangère.
C’est une des raisons du nombre d’enseignants. Un Rased au complet est installé dans l’école. « C’est tout à fait nécessaire au regard des difficultés rencontrées », m’assure Marie, maitre G. Il y a aussi les professeurs de la Ville de Paris qui assurent l’EPS et l’éducation artistique. Enfin parmi les professeurs des écoles, il y a plusieurs stagiaires à mi-temps et des enseignantes expérimentées à temps partiel. Ainsi le CE2 est tenu par deux enseignantes à mi-temps. En Cm2, Aïssa assure 80% du temps scolaire et Céline complète. Ca parait compliqué mais, spontanément, ce lundi matin, les enseignants se rassemblent par classe et commencent tout de suite à échanger sur le partage du travail. C’est rodé !
Gérer la cour…
Une réunion de rentrée d’enseignants ce n’est pas forcément très sage. On se raconte ses vacances. On échange sur les élèves et sur les projets. Mais l’oreille suit bien les propos du directeur qui a la confiance de ses collègues. La matinée est consacrée à la mise en route de l’école et aux projets pédagogiques.
Présentés par le directeur, les aménagements de programme, le nouveau socle ne passionnent pas les enseignants. « On a supprimé quelques notions trop complexes et c’est très bien », me dit Marie, trente ans dans ce métier et cette école. « A part ça, la base des programmes reste la même. Chaque ministre qui arrive change les programmes. On est habitués. Mais c’est pour la vitrine ». L’attention augmente avec la répartition des 108 heures annualisées et surtout l’organisation concrète de la semaine. Comme une bonne partie des enseignants sont nouveaux, Gauthier Lechevalier entre dans les détails du déroulé d’une journée de classe. Sans le dire il informe des nouvelles consignes réglementaires : « jamais d’élève seul dans le couloir, jamais d’élève pas surveillé ». Il donne le mode d’emploi s’il faut isoler un élève. On entre dans le détail des déplacements dans l’école, du planning de la surveillance de la cour de récréation, des entrées et sorties. Qu’est-ce que ça veut dire surveiller une récréation ? Comment donne-t-on des soins ? En début d’année l’école accueille les CP dans la salle de classe le matin afin de nouer le contact avec les parents.
Jumeler l’école avec New York
Arrivent les projets pédagogiques. Dans ce quartier populaire l’école n’en manque pas et ils sont accueillis très positivement par les enseignants. Les grands projets de Gauthier Lechevalier c’est le parrainage et la médiation. Il s’agit d’aider les petits à trouver leur place dans l’école mais aussi responsabiliser les grands en aidant des volontaires à devenir les tuteurs des petits. Le projet de médiateurs vise aussi à modifier le rapport aux autres, à sortir de l’individualisme. La gestion de la cour est au coeur de ces projets. C’est là que se manifeste le vivre ensemble. Et l’équipe de l’école aimerait que ça change. « On veut sortir de la dictature du ballon sans l’interdire », explique G Lechevalier. « Il faut des jeux individuels mais aussi collectifs pour développer une autre sensibilité ».
Un autre grand projet de l’année touche l’image de l’école. Deux classes vont travailler avec des architectes sur la façade de l’école pour en changer l’image. Une classe orchestre redémarre en Ce2. Enfin se profile un partenariat avec une école américaine. Pour échanger avec New York, les cm bénéficieront d’une assistante d’anglais.
Le plaisir d’enseigner rongé par le contrôle
« Pour mardi tout est prévu », m’assurent Marie et Hichem, un professeur stagiaire. « On va échanger sur les vacances, parler des petits soucis, expliquer comment on travaille, parler des craintes et des questions des élèves », confie Marie. « On va aussi commencer à travailler », assure Hichem. En cm2, le cahier de préparations d’Aïssa est déjà entièrement rempli pour le jour J.
L’envie de rentrer est bien là. Restent aussi des souvenirs aigres. « L’année dernière a été épuisante. Avec les nouveaux rythmes on n’a plus le mercredi pour recharger les batteries », explique Marie. « Les enfants confondent le périscolaire et le scolaire ». Dans l’école, visiblement les deux univers se côtoient mais ne se parlent pas. Marie confirme ce que des études ont montré. Ce qui la fatigue ce sont surtout les injonctions. « On n’a plus la liberté que l’on avait », dit-elle. « On nous demande trop de comptes. Il faut des bilans pour tout, des projets rédigés pour la moindre sortie. Je suis fatiguée de cette paperasse ». Pourtant, Marie est volontaire pour tous les projets. « C’est un beau métier. En classe je prends plaisir à enseigner ». Hichem, qui vient de quitter le métier d’opticien pour devenir enseignant, n’en perd pas une miette.
François Jarraud
Sur le site du Café
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