Souvenez-vous… En 2011, l’organisation par voie électronique du vote aux élections professionnelles dans l’Education nationale devait représenter une avancée technologique telle qu’elle allait placer ce ministère à l’avant-garde du progrès et de la démocratie sociale.
« Ré-vo-lu-tion… ère »
Malheureusement, en lieu et place, nous avons assisté en direct à la formation d’un énorme trou noir entre les discours portés par les politiques et certains fonctionnaires, aussi arrogants que sourds aux remarques des syndicats sur l’organisation et le déroulement du vote, et la réalité !
Le temps a passé, les politiques et certains directeurs de l’administration centrale s’en sont allés, tout aussi irresponsables les uns que les autres, mais les actions en justice de quelques syndicalistes de conviction, en l’occurrence ceux de la FAEN emmenés par Marc GENIEZ, leur Président, sont restées… et ont abouti.
Abouti à un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris qui, le 23 juin 2014, a annulé l’attribution du 15ème siège au comité technique paritaire (ci-après CTM) du ministère de l’Education nationale.
Rien de moins, ce qui justifie d’ailleurs une entrée au recueil Lebon…
Alors, que dit cet arrêt ?
Eh bien que :
Certes, on pourrait utilement discuter « ces quelques milliers de votes supplémentaires, qui ne représentent qu’une très faible part du nombre total d’électeurs » et considérer qu’il s’agit plutôt de quelques dizaines de milliers.
On pourrait également, discuter le fait « que, par suite, compte tenu tant du mode de scrutin que du nombre de listes, la prise en compte de ces suffrages supplémentaires n’aurait pu avoir d’influence que sur l’attribution, à la plus forte moyenne, du dernier siège (…) » et considérer, que ces votes auraient favorisé une ou deux organisations syndicales bien implantées dans les DOM TOM s’ils avaient pu s’exprimer.
Mais, tout cela serait inutile puisque, on l’a bien compris, il s’agit surtout, dans le cas présent, de préserver l’intérêt public et l’ordre social et de limiter les dégâts des erreurs commises.
Cela dit, la gestion des conséquences de cet arrêt contre lequel, rappelons-le, un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat est toujours possible, promet d’être complexe.
La première de ces conséquences est bien évidement la désignation de l’heureux bénéficiaire du pactole remis en jeu : les décharges de service pour activité syndicale attachées au 15ème siège au Comité technique ministériel.
Rappelons que l’article 16 du décret n°82-447 du 28 mai 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique dispose :
I. – Un crédit de temps syndical, utilisable sous forme de décharges de service ou de crédits d’heure selon les besoins de l’activité syndicale, est déterminé, au sein de chaque département ministériel, à l’issue du renouvellement général des comités techniques. Son montant global, exprimé en effectifs décomptés en équivalents temps plein, est calculé en fonction d’un barème appliqué aux effectifs. Ce montant est reconduit chaque année jusqu’aux élections suivantes, sauf modification du périmètre du département ministériel entraînant une variation de plus de 20 % des effectifs.
II. – Le contingent global de crédit de temps syndical de chaque ministère est calculé par application du barème ci-après :
1° Un équivalent temps plein par tranche de 230 agents jusqu’à 140 000 agents ;
2° Un équivalent temps plein par tranche de 650 agents, au-delà de 140 000 agents.
Les effectifs pris en compte correspondent au nombre des électeurs inscrits sur les listes électorales pour l’élection au comité technique ministériel.
III. – Le contingent global de crédit de temps syndical est réparti entre les organisations syndicales compte tenu de leur représentativité, appréciée de la manière suivante :
1° La moitié du contingent ministériel résultant de l’application du barème est répartie entre les organisations syndicales représentées au comité technique ministériel, en fonction du nombre de sièges qu’elles détiennent ;
2° L’autre moitié est répartie entre toutes les organisations syndicales ayant présenté leur candidature à l’élection du comité technique ministériel, proportionnellement au nombre de voix qu’elles ont obtenues.
(…)
L’enjeu de ce 15ème siège se monte donc à une soixantaine de décharges de service pour activité syndicale annuelle que multiplie trois années, 2012, 2013, 2014, soit, à 50.000,00 euros la décharge, 10 millions d’euros…
Alors à qui le gros lot, sachant que personne n’est capable de dire, et pour cause, sur quelle(s) organisation(s) syndicale(s) les suffrages qui n’ont pu s’exprimer se seraient portés et dans quelle mesure ?
Et que la prise en compte de ces suffrages manquant aurait fort bien pu modifier les chiffres des « plus fort restes » servant de base à l’octroi du dernier siège et, par voie de conséquence, les organisations syndicales pouvant prétendre à ce 15ème siège ?
Trois hypothèses se présentent.
1. Reprendre une décision accordant à la même organisation syndicale que précédemment les décharges de service pour activité syndicale, au bénéfice du doute.
Franchement, ce serait un peu osé…
2. Donner le 15ème siège et donc l’intégralité des décharges de service pour activité syndicale annuelle à l’organisation syndicale qui aurait été flouée en 2011.
Mais sur quelle base juridique en l’absence de certitude sur la teneur des votes non exprimés ?
3. Rendre un jugement de Salomon et partager entre les deux protagonistes de l’affaire.
Mais, à la condition qu’ils soient d’accord et que d’autres organisations syndicales ne viennent pas protester voire attaquer la décision prise…
Pourquoi ne pas voter ?…
Pour apprécier la deuxième conséquence de cette décision de justice, il convient de rappeler que les textes qui instaurent les comités techniques ministériels disposent du nombre exact de sièges que ces comités comprennent.
Au ministère de l’Education nationale, ce nombre de sièges est de 15.
Or, la conséquence de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris en date du 23 juin 2014 est de ramener ce nombre de sièges octroyés au comité technique ministériel du ministère de l’Education nationale à… 14 sièges pour la période 2011-2014.
Ce qui fait que, en l’absence de composition règlementaire du CTM de l’Education nationale pendant cette période, on peut se demander si les décisions du comité technique ministériel de l’Education nationale qui a siégé durant cette période ne sont pas entachées de nullité.
Ce qui pourrait bien inviter certaines organisations syndicales à tenter l’action juridique en annulation de certaines décisions qui leur déplaisent, surtout si ces décisions ont été prises à la majorité d’une voix, celle du siège dont l’attribution vient d’être annulée.
Enfin, dernière conséquence, l’organisation des prochaines élections professionnelles dans la fonction publique qui se dérouleront en décembre 2014.
Il n’est un secret pour personne, depuis les résultats de l’enquête PISA et autres enquêtes diverses et variées, que certaines décisions prises au ministère de l‘Education nationale l’ont plus été sur des fondements idéologiques ou politiques que sur l’intérêt général, et qu’elles ont mené, mènent et mèneront à des catastrophes tout aussi certaines qu’inévitables.
On aurait pu croire, depuis le 10 mai 2012, que certaines « improvisations » n’auraient plus court au ministère de l’Education nationale… et ailleurs.
Mais, il apparaît que le désespoir qu’engendre l’enchainement des défaites électorales invite encore à des décisions prises à la hâte et sur des fondements juridiques parfois discutables.
À quelques mois des élections professionnelles dans la fonction publique, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris rappelle opportunément que certaines décisions peuvent être lourdes de conséquences et qu’il convient de travailler le droit avant l’effet d’annonce.
Souhaitons donc que la Cour administrative d’appel de Paris soit entendue.
Laurent Piau
Laurent Piau, juriste, est l’auteur de l’ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF
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