Voie professionnelle : Les syndicats FSU et la réforme de l'apprentissage 

Que retiendra Edouard Philippe de la concertation sur l'apprentissage ? Il présente le 9 février les grands axes de la transformation de l'apprentissage, en compagnie de JM Blanquer, M Pénicaud et F Vidal. Le 8 février , les syndicats FSU de la voie professionnelle, le Snuep et le Snetap (enseignement agricole) ont lancé un appel pour défendre la voie professionnelle scolaire. Pour eux, la "valorisation" promise ne résiste pas à l'épreuve des chiffres.

 

Le rapport Brunet impose la promotion de l'apprentissage à l'école

 

 Remis le 30 janvier à la ministre du travail, le rapport Brunet devrait servir de base aux orientations gouvernementales annoncées le 9 février. Alors que l'apprentissage, au niveau bac et en dessous voit ses effectifs diminuer, le rapport recommande un gros effort d'information vers les élèves et les professeurs. Il demande une journée obligatoire d'information sur les métiers et l'apprentissage en 4ème et même deux journées en 3ème dont une où les élèves iraient en CFA. Le rapport Brunet demande aussi un module obligatoire de sensibilisation à l'apprentissage dans la formation initiale et continue des enseignants. Reste à savoir si cette séquence de propagande obligatoire est le  meilleur moyen de favoriser l'apprentissage auprès des enseignants.

 

Le rapport se soucie aussi de préparer les élèves des 3eme prépa pro,  des segpa et des classes des lycées professionnelles à la vie en entreprise. Il demande la création d'un enseignement de transition vers l'activité professionnelle (ETAP), évaluant l'aptitude à travailler en équipe, à respecter de srègles, à utiliser le numérique, les principes de l'entrepreneuriat. L'objectif c'est de certifier que le jeune est apte à travailler en entreprise dès la 3ème ou après. Cet enseignement prendrait la place de l'enseignement "prévention santé environnement".

 

Toujours dans le même esprit de faciliter l'entrée en entreprise, le rapport demande le regroupement des formations autour d 'un petit nombre de "socles professionnels" en seconde professionnelle. La spécialisation professionnelle se ferait plus tard. La rédaction des référentiels des formations professionnelle serait confiée aux branches professionnelles.

 

Enfin le rapport recommande aussi de lever des restrictions légales portant sur les apprentis mineurs en ce qui concerne la durée du travail ou le travail de nuit.

 

Deux questions à trancher : le pilotage et le financement

 

Le rapport n'a par contre pas tout arbitrer. Deux sujets épineux sont tranchés par E Philippe le 9 février. Le premier concerne le pilotage de l'apprentissage. Sera-t-il confié aux régions ou aux branches professionnelles ? Le Medef semble avoir obtenu gain de cause. Mais les régions ont de bons arguments car leur retrait mettrait fin au maillage territorial des CFA. Elles seules peuvent, avec la carte des formations, proposer un maillage des formations en accord avec la réalité économique locale et sans concurrencer les lycées professionnelles.  Confier le financement aux branches professionnelles aboutirait à concentrer les moyens sur les grandes branches au détriment des petits CFA et des régions isolées.

 

La seconde concerne le financement. E Macron avait promis que la taxe d'apprentissage irait aux CFA. Mais cette décision priverait les lycées professionnels de fonds strictement indispensables. Là aussi l'arbitrage du premier ministre est attendu. Mais sa marge de manoeuvre semble courte.

 

L'apprentissage peut-il concurrencer le lycée professionnel ?

 

Le 8 février, lors d'un ultime colloque, le Snuep Fsu et le Snetap Fsu se sont livrés à une critique en règle de l'apprentissage. Ils ont eu beau jeu de montrer que l'apprentissage ne s'étend que dans le post bac. Pour la sociologue F Maillard, les entreprises ne s'engagent pas dans la formation des mineurs. L'apprentissage au niveau CAP ou bac n'existe que dans quelques branches seulement. La tentative gouvernementale de forcer le développement de l'apprentissage a de fortes chances de se briser sur l'apathie des entreprises peu enclines à financer la formation des jeunes.

 

S Girardin, co secrétaire générale du Snuep, dénonce la refonte du lycée professionnel envisagée pour favoriser l'apprentissage. Et d'abord la réduction à 80 du nombre des bacs professionnels. "On veut faire des secondes indifférenciées pour que les jeunes soient plus murs et opérationnels pour entrer en apprentissage". Pour le Snuep cette déprofessionnalisation est une destruction des enseignements et une source de souffrance pour les enseignants.

 

Le Snuep craint une véritable saignée des lycées professionnels au bénéfice de l'apprentissage. Les CFA viendraient y prendre les meilleurs élèves tout comme le financement pourrait glisser vers les CFA."On envoie les jeuens vers un système qui se privatise et qui est pris en main par les branches professionnelles. On oublie les objectifs de formation des jeunes", affirme S Girardin.

 

Pour le Snuep, la voie professionnelle est celle de la réussite. "Malgré toutes les réformes on mènent à la qualification de très nombreux jeunes",  dit-elle. Elle n'a pas de mal à souligner que le taux de décrochage est beaucoup plus faible en LP qu'en apprentissage. Favoriser l'apprentissage ce serait aussi renforcer la ségrégation , les entreprises sélectionnant sur des critères ethniques et de genre. "Le développement de l'apprentissage c'est celui des discriminations", estime Olivier Bleunven, secrétaire général adjoint  du Snetap.

 

Des propos appuyés sur une étude du Céreq. Pour le Céreq, "en termes d'accès à l'emploi comme de salaire, l'avantage des apprentis est très net mais surtout très variable selon les niveaux de diplôme... Pour les bacheliers professionnels, les écarts de chômage à trois ans de vie active, entre ex-apprentis et ex-lycéens sont de 13 points. Pour les sortants de l'enseignement supérieur, ces écarts sont de 6 points. Par exemple, pour les diplômés d'un master professionnel par la voie scolaire le taux de chômage est de 16% contre 10% pour ceux issus de l'apprentissage. Pour un niveau de diplôme donné, les apprentis perçoivent aussi des salaires plus élevés que les jeunes sortis de la voie scolaire".  Mais les auteurs de l'étude indiquent les limites des comparaisons entre populations d'apprentis et de scolaires. "L'avantage associé à l'apprentissage est ici interrogé dans la mesure où l'entrée dans ces formations en alternance est sélective. De ce fait, certaines populations socialement défavorisées bénéficient peu des avantages procurés par cette voie de formation. De plus, l'essor de l'apprentissage se trouve également interrogé parce qu'il tend à se développer dans les niveaux de formation les moins exposés au risque de chômage, ainsi que dans des filières offrant déjà les débouchés les plus favorables. Enfin, si l'apprentissage semble réduire le risque de chômage, il ne constitue pas pour autant un rempart contre la dégradation conjoncturelle du marché de l'emploi".

 

"Le ministre dit vouloir revaloriser la voie professionnelle. Mais en réalité il continue à dégrader cette voie. La valorisation ne résiste pas aux chiffres", explique S Girardin. Sur les 2600 postes supprimés dans le second degré à la rentrée, les lycées professionnels en donnent de 800 à 1000.

 

Les syndicats SNUEP, SNETAP, SNES et SNEP ont lancé un "appel" le 8 février appelant à la mobilisation et dénonçant les mesures à venir." Les mesures envisagées comme la modification des dispositifs de financement, les modifications des systèmes de gouvernance renforçant le poids du privé, le mixage des parcours et des publics, la fusion des diplômes professionnels, le renforcement du rôle des branches dans les programmes et les politiques certificatives, ne sont aucunement motivées par l'intérêt des jeunes. Ces dispositifs vont au contraire aggraver leurs conditions d'études et mettre à mal le travail des personnels".

 

Pour Fabienne Maillard, rien ne change. "Il y a une contradiction entre le discours de valorisation et la fait qu'on oriente en voie pro les jeunes qui encombreraient la voie générale. En fait la voie pro sert à gérer les flux de jeunes dont on ne sait pas quoi faire".

 

Filière dominée et méprisée, la voie professionnelle voit son destin encore remis en question le 9 février. Indispensable au fonctionnement des voies "nobles", générales et technologiques, elle devrait obtenir des garanties sur son fonctionnement quitte à accepter davantage d'apprentis en son sein.

 

François Jarraud

 

Rapport Brunet

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Par fjarraud , le vendredi 09 février 2018.

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