Le HCE veut un collège du socle commun 

Par François Jarraud


Attendu depuis des mois, le rapport du Haut Conseil de l'Education demande la mise en place d'une "école du socle commun", regroupant école et collège, pour appliquer réellement au collège le socle commun. Pour cela il demande une formation professionnelle des enseignants, une refonte des programmes, une large autonomie, y compris financière, des collèges et un engagement effectif du ministère. C'est beaucoup d'exigences pour un texte qui accuse d'inertie ou de mauvais volonté bien des acteurs de l'Ecole.


"Il est temps que notre pays prenne conscience qu’il a besoin d’élever significativement le niveau moyen des performances de ses élèves s’il veut élargir la base de la sélection de son élite et répondre aux défis mondiaux. Cet objectif constitue pour la scolarité obligatoire du XXIème siècle une ambition équivalente à celle que Jules Ferry nourrissait pour l’école primaire du XXème siècle lorsqu’il rendit l’instruction gratuite et obligatoire". L'enjeu semble suffisamment important au HCE pour qu'il ne s'embarrasse pas de circonlocutions diplomatiques. En 44 pages seulement, les "sages" du HCE exposent les insuffisances du collège, montrent comment, pourquoi et à cause de qui elles perdurent, avant de montrer les mesures à prendre pour faire appliquer réellement le socle commun.


Un collège aux performances médiocres. "Performances des élèves médiocres et en baisse, inégalités de réussite d’origine sociale accrues, malaise enseignant, problèmes de vie scolaire qui se multiplient", le constat que dresse le HCE est sévère. Il dénonce aussi "des disparités importantes entre les établissements" doublées d'une "fracture sociale" qui conduisent "à la constitution de quasi-ghettos : dans certains collèges, ce n’est plus l’hétérogénéité qui pose problème, mais bien plutôt l’homogénéité sociale et/ou ethnique de la population scolaire", écrit le HCE. La ghettoïsation, le HCE la retrouve aussi dans la constitution de véritables "filières de relégation" dans l'éducation nationale, où " l’« individualisation des parcours » consiste en fait à créer des dispositifs à part destinés à prendre en charge la grande difficulté scolaire". Et comme le HCE n'a pas froid aux yeux, il n'épargne pas au lecteur l'énumération précise de ces dispositifs : CPPN, quatrième technologique, module de découverte professionnelle de 6 heures, CPA, CLIPA, DIMA, quatrièmes des Maisons familiales rurales. Autant de structures où le HCE se fait des amis… Aux yeux du HCE tout cela est aggravé par l'assouplissement de la carte scolaire qui a augmenté les inégalités.


Des responsables désignés... Si on en est arrivé là, c'est que des acteurs ont refusé l'idée du socle commun. Le collège a été financièrement défavorisé face au lycée, estime le HCE. L'administration centrale a fait "de la résistance passive". Les inspections générales, selon le HCE, ne se sont pas souciées d'encourager l'interdisciplinarité dans les programmes. Le HCE dénonce aussi "de nombreux enseignants" défavorables au collège unique, des syndicats (il mentionne le Snalc et le Snes) et le scepticisme des parents qui les pousse à demander des dérogations à la carte scolaire.


Pourquoi "l'école du socle commun" ? " L’exemple des pays étrangers fournit des leçons et des pistes instructives", écrit le HCE. "Les pays qui ont maintenu un système de filières, tel qu’il en existait en France avant 1975, n’obtiennent pas les meilleurs résultats en termes de performances et d’équité. Les pays dont le système éducatif fonctionne le mieux partagent au moins trois caractéristiques : ils sont parvenus à définir pour leur École un objectif clair faisant l’objet d’un large consensus parmi la population ; ils ont su mettre en place une formation des maîtres visant à développer des pratiques éducatives qui favorisent la réussite de chaque élève ; ils ont en général octroyé à leurs établissements scolaires des marges d’autonomie rendant possible une organisation souple". C4est déjà presque un programme que fixe le HCE en demandant l'application effective de la loi du 23 avril 2005 créant un socle commun de connaissances et de compétences.


Des réformes institutionnelles. Pour cela il demande que l'institution et ses représentants à tous les niveaux, "notamment les corps d’inspection", tiennent "un discours cohérent et mobilisateur sur le socle commun". Il souhaite que les programmes soient modifiés pour que les exigences du socle soient prises en charge, que soit introduit "un enseignement de culture manuelle et technologique", ce qui suppose une refonte des programmes de technologie, et que la loi de finances regroupe les financements de "l'enseignement scolaire du socle commun", aujourd'hui éclaté entre primaire et secondaire. En effet, " l’école primaire et le collège ont logiquement vocation à constituer un ensemble : « l’École du socle commun », d’une durée de neuf ans." Cet école aura à cœur de supprimer les redoublements. A défaut , " un système qui subordonnerait le maintien des moyens à la mise en place de projets pédagogiques alternatifs au redoublement est tout à fait envisageable"…

Former les enseignants. " Une des conditions essentielles de la réussite de « l’École du socle commun » est de former les enseignants du collège aux pratiques les plus efficaces, à l’enseignement en classe hétérogène et à la psychologie de l’adolescent", écrit le HCE. Ce qui implique que des stages soient "systématiquement offerts" aux étudiants dès la 1ère année de master, que les enseignants soient formés à l'hétérogénéité et que le service des enseignants soit modifiés pour prendre en compte toutes leurs missions " ce qui pourrait conduire à un allongement de leur présence dans l’établissement". Le rapport cite le collège Clisthène en exemple.


Plus d'autonomie pour le collège. Le HCE demande que "tous les collèges puissent disposer d’une certaine latitude dans la répartition des moyens qui leur sont attribués, cette marge de manoeuvre devant représenter au moins 10 % de leur dotation" et que les élèves bénéficient d'une prise en charge éducative du matin au soir.

Le rapport du HCE

http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/21/60.pdf



Bruno Racine : "Mettre en place une véritable stratégie de changement"


Il fixe aussi les objectifs de ce document ambitieux voire un brin audacieux. Tout en reconnaissant les failles de l'institution ("L’institution s’est intéressée jusqu’à présent à la validation du socle commun plus qu’à son acquisition"), il invite tous les acteurs à adhérer au projet du socle commun et à ce qu'il implique pour le collège. " Si l’École ne peut pas tout, elle ne doit pas se dédouaner de sa responsabilité dans son champ propre de compétences…"



Votre rapport établit que le socle commun, voté en 2005, n’est toujours pas appliqué sérieusement dans les collèges. Pourquoi est-ce grave ?


Parce que l’échec scolaire est massif en France et que la situation s’aggrave d’enquête en enquête. Or ce n’est plus tenable.


Les inégalités de réussite scolaire sont en très grande partie le reflet aujourd’hui d’inégalités sociales. Ce n’est pas juste, et cela dément le principe d’« égalité des chances » : tout élève doit pouvoir maîtriser le socle commun, puisque celui-ci correspond à ce que nul n’est censé ignorer en fin de scolarité obligatoire sous peine de se trouver marginalisé ou handicapé.

Rappelons-nous que la maîtrise effective de ce socle constitue un engagement de la Nation envers la jeunesse.


N'occultons pas aussi le fait que, sur le plan économique, on ne peut plus se permettre un tel échec scolaire : d'abord, l’échec scolaire coûte énormément d’argent (coûts cachés : indemnisations et aides sociales liées au non-emploi, besoins de soins accrus, dépenses liées à des taux plus élevés de délinquance…) ; ensuite, il est avéré qu’une formation initiale de qualité pour tous est un levier de la croissance économique.


Parce que le socle « commun » est un ferment de cohésion sociale, ne pas le mettre en œuvre, ce serait mettre en péril cette cohésion. Le ministre de l'Education nationale l’a d'ailleurs rappelé à la veille de cette rentrée. Et, il ne s’agit pas d’une lubie française : on observe un mouvement d’ensemble en faveur de la maîtrise d’un tel socle dans tous les pays développés, et en particulier dans l’Union européenne.



Que répondez-vous à ceux qui disent que le socle commun c’est un minimum culturel "sans ambitions" ?


La mission d’information parlementaire sur la mise en œuvre du socle commun au collège dit clairement, dans le récent "rapport Grosperrin", que cette approche est la plus ambitieuse qui soit. Dire que le socle commun, est un abaissement des exigences ou un nivellement par le bas ne peut relever que de la mauvaise foi. Il n'est que de lire vraiment le texte du socle commun pour se rendre à l'évidence : on est vraiment très, très loin d’un simple "lire, écrire, compter, raisonner"!


Quelques exemples : pour ce qui est de la culture humaniste, avec le 5ème pilier du socle commun, il s'agit de donner les repères indispensables pour comprendre le monde actuel et éveiller au goût de la culture. Savoir échanger des idées, développer son esprit critique, savoir travailler en équipe…, ce sont des compétences essentielles. Les mathématiques, les mathématiciens en parlent comme d’une discipline "citoyenne" : sondages, indicateurs, classements… Notre société est constamment analysée à grand renfort de chiffres, de pourcentages, de probabilités. Et, par l’enseignement des mathématiques, il s’agit à la fois d’acquérir des méthodes utiles dans la vie quotidienne ou pour étudier d’autres disciplines, et de développer ses capacités d’abstraction, donc de raisonnement. La culture scientifique et technologique, elle, doit développer la curiosité de l’élève et lui permettre notamment d’accéder à une représentation globale et cohérente du monde comme de comprendre son environnement quotidien ; elle contribue en outre à apprendre à distinguer entre faits démontrables d’un côté, opinions et croyances de l’autre.


Dans la logique du socle commun, on s’intéresse aux acquis des élèves. On connaît bien l’écart actuel entre le contenu des programmes enseignés et ce qui est retenu par les élèves en fin de compte : avec le socle est introduite une obligation de résultats concernant les acquis. Le socle commun, ce sont des savoirs durables et mobilisables, vivants donc, en dehors de l’École et après l’École : là est l’intérêt des « compétences », qui s’appuient sur de solides connaissances. Il n’est que de penser aux langues vivantes étrangères pour comprendre l’importance et la justesse de cette approche.


Et ce, sans compensation possible entre les sept « piliers » du socle : on est loin du culte de la « moyenne ». Comme l’a fait remarquer le SNPDEN à la mission d’information parlementaire que je viens d'évoquer, aujourd’hui, la France est le seul pays au monde où le fait de ne pas savoir la moitié des connaissances à acquérir permet malgré tout de progresser dans le cursus scolaire.


On ne peut sans cesse déplorer le faible niveau des élèves et des étudiants, leurs lacunes - fautes de français innombrables, inculture, etc.-, et s’opposer au socle commun : ce n’est pas cohérent.


Signalons aussi que la scolarité ne s’arrête pas en fin de 3ème : il y a d’autres enseignements après le socle. Et même pendant la scolarité obligatoire, le socle n’est pas le tout de l’enseignement. En ce sens, oui, bien sûr, le socle commun est un plancher – mais très au-dessus du sol !



Et à ceux qui craignent que le socle commun tire vers le bas leur enfant ?


Les enquêtes PISA le prouvent : défendre résolument le socle commun pour tous, donc s’atteler à faire vraiment reculer l’échec scolaire, est le meilleur moyen pour dégager une élite à la fois plus nombreuse et de meilleur niveau. Cela signifie qu’avoir l’ambition du socle pour tous les élèves, ce n’est donc pas du tout en avoir moins pour quelques-uns : c’est aussi avoir plus d’ambition pour l’élite. Non seulement l’objectif de maîtrise du socle commun par tous les élèves n’est pas préjudiciable aux meilleurs, mais cette mise en œuvre leur est même bénéfique.


Pourtant, la tentation est grande d’isoler les enfants en difficulté au moins pour éviter que leurs problèmes ou leur comportement ne retardent les autres. Beaucoup de parents et aussi d’enseignants pensent que les résultats seraient meilleurs dans un système qui présenterait des classes scolairement plus homogènes et des filières. Or le regroupement des faibles aggrave encore leurs performances, et, en réalité, chacun a à gagner à une certaine hétérogénéité des niveaux scolaires – à condition toutefois que les pratiques pédagogiques soient efficaces et que l’ordre règne dans la classe, ce qui suppose un bon encadrement par les adultes, ainsi que le HCE l’a rappelé pour le collège.



Que faut-il faire des élèves actuellement en DP 6, en 4ème Maisons Familiales Rurales etc., dans ces filières de relégation ? Que pensez-vous à ce propos des ERS qui viennent d’être créés ?


Il ne serait pas raisonnable de les réintégrer purement et simplement tant que le système reste inchangé dans ses principes et son fonctionnement. Ces filières sont aujourd’hui le seul moyen de gérer la difficulté scolaire – je dis bien la « gérer » : elles ne la résorbent pas, et peuvent l’aggraver. Mais elles apparaissent comme la seule possibilité face à la difficulté scolaire en l’absence d’une « École du socle commun », qui propose à tous les élèves un enseignement qui ne soit pas uniquement axé sur la préparation du lycée général, et en l’absence de pratiques efficaces intégrant la diversité des modes d’apprentissage et assises sur la conviction que tout enfant, tout adolescent peut apprendre.



Voilà une loi qui a été adoptée après un large débat il y a 5 ans. Vous expliquez que tout le monde traîne des pieds à l’appliquer, les enseignants, l’Inspection, le ministère... Comment est-ce possible ? Qu’est-ce qui rassemble cette coalition ? Finalement, qui veut du socle commun ?


La question divise, et, sur le plan politique, le clivage n’est pas droite-gauche : les députés qui ont signé le "rapport Grosperrin" soutiennent nettement le socle commun, mais, devant cette mission d’information parlementaire, le ministre de l'Education nationale a, lui-même, reconnu que la "mobilisation générale" n’avait pas été décrétée sur le socle commun.


Qu’est-ce qui rassemble cette coalition d’opposants, comme vous l’appelez ? Elle réunit des adversaires en réalité irréductibles, des postures et des doctrines incompatibles. Le socle commun, c’est le rappel que les objectifs démocratiques doivent trouver leur expression dans la réalité quotidienne de l’École.



Aujourd’hui, pour beaucoup d’enseignants, le socle commun se traduit par une grille de compétences à remplir, parfois sans trop savoir ni comment, ni pourquoi. De quels leviers de changement dispose-t-on ?


On entend même certains enseignants parler d’« usine à cases », et cette expression reflète leur perplexité devant la procédure d’évaluation et de validation du socle commun aux trois paliers. Avant d’évaluer une compétence, il faut bien sûr avoir formé l’élève à cette compétence. L’institution s’est intéressée jusqu’à présent à la validation du socle commun plus qu’à son acquisition, mais la DGESCO se dirige clairement dans ce sens comme le montrent les débats du séminaire national que cette grande direction a tenu en mai dernier.


L’institution le sait, le socle commun marque un profond changement dans les représentations et les pratiques pédagogiques. Il bouscule des habitudes de pensée et de travail très ancrées. Il est vital avant tout, pour la mise en œuvre effective du socle commun, de susciter l’adhésion de tous les acteurs concernés (y compris les parents) : cela signifie poser la question des objectifs du projet éducatif, faire comprendre les exigences du socle commun, et aussi mettre en place une véritable stratégie de changement, car les injonctions seules ne peuvent suffire.


Les professeurs s’investissent beaucoup pour la réussite de leurs élèves : il faut leur donner les outils pour faire maîtriser le socle commun à chaque élève, et les soutenir dans cette tâche difficile. Le Haut Conseil de l’Éducation le dit dans son Bilan, une des clés de "l’École du socle commun", ce sont les pratiques professionnelles dans les classes. D’où l’importance décisive de la formation initiale et continue.



On a connu dans le passé (les années 1980) les "10 %" de moyens à la disposition des établissements. L’effet n'a pas été évalué. En donnant plus d’autonomie aux établissements, ne risque-t-on pas de donner plus de liberté à l’élitisme ?


L’utilisation de ces moyens doit faire l’objet d’un contrat d’objectifs (au niveau académique, avec les rectorats), tel qu’il est d’ailleurs prévu dans la loi du 23 avril 2005 ; les projets ou initiatives pédagogiques financés grâce à cette marge de manœuvre supplémentaire seront de ce fait encadrés. Il appartient à l’institution de veiller à la pertinence des objectifs fixés. Arrivées à leur terme, les actions menées devront systématiquement être évaluées : seules celles qui auront donné des résultats positifs auront vocation à être reconduites et diffusées.



Un syndicat, le SGEN, recommande le développement de l’accompagnement personnalisé et du tutorat au collège. Pensez-vous que cela aille dans le bon sens ?


La démarche de l'accompagnement personnalisé qui part des acquis de l'élève et de ses besoins pour l'aider à construire et à maîtriser son parcours de formation et d'orientation est très intéressante. Toutefois, avant d’étendre au collège une mesure qui vient tout juste d’être mise en place au lycée à la dernière rentrée scolaire, il me semble nécessaire que les enseignants soient formés à l’accompagnement personnalisé ; sinon, on court le risque de voir ces heures transformées par exemple en heures de « rattrapage » du programme. Il ne faut donc pas se précipiter, mais plutôt tirer les premiers enseignements de la mise en œuvre de l’accompagnement personnalisé au lycée.


Quant au tutorat, le principe en est tout à fait positif. Des expérimentations ont déjà été menées dans ce domaine ; il serait bon qu’on en fasse le bilan, notamment pour identifier les éventuelles difficultés rencontrées (nombre de tuteurs, créneau horaire choisi…), avant de généraliser ce dispositif.



Le système scolaire sait se piloter par les examens. N’y a-t-il pas là un levier à mettre en œuvre ? Ne serait-ce pas plus efficace qu’un pilotage par le budget (plus ou moins d’argent selon les redoublements par exemple) ?


Au collège, le diplôme national du brevet, combine un contrôle continu (dans toutes les disciplines) avec des épreuves finales (dans trois disciplines) et suppose en outre la validation de certaines compétences (B2I, certification du niveau A2 en langue vivante…). En l’état actuel des choses, le DNB ne permet pas d’attester la maîtrise de l’ensemble des compétences du socle commun et il ne saurait donc être utilisé comme outil de pilotage de « l’École du socle commun ». Par ailleurs, la logique du socle est fondée sur une évaluation régulière et systématique de l’acquisition des compétences. Cela ne veut pas dire que le DBN n’ait aucune raison d’être : outre sa valeur symbolique, qui peut être importante pour certains, c’est le premier examen auquel les élèves sont confrontés, ce qui permet aussi de juger d’un certain nombre de capacités.



Vous demandez une "école du socle commun". Qui y enseignerait, des instits ou des profs du secondaire ? Quelle cohérence pédagogique donner à cette école ?


Le Haut Conseil, plutôt que de bouleverser le régime des corps actuels, a préconisé de le compléter par une logique de métiers, sous la forme, par exemple, de mentions aux concours (en distinguant collège et lycée).



Après la publication du rapport, il y a eu des réactions favorables, sournoisement défavorables, hostiles même. Quelles perspectives voyez-vous pour ce rapport ? Etes-vous optimiste ?


Je pense que le moment est venu pour un débat sur ce que notre société attend de la scolarité obligatoire et sur la manière d’atteindre cette ambition historique : élever le niveau moyen des jeunes Français jusqu’à seize ans et, dans le même temps, dégager une élite plus nombreuse !



L’École peut-elle remédier aux inégalités sociales et à la ghettoïsation en marche dans nos villes ? D’autres leviers ne seraient-ils pas plus efficaces ?


Si l’École ne peut pas tout, elle ne doit pas se dédouaner de sa responsabilité dans son champ propre de compétences : aujourd’hui, globalement, elle accroît les inégalités de réussite d’origine sociale – elle pourrait les réduire. C’est ce que montre « l’effet maître » : dans la même ZEP, avec le même public scolaire, avec les mêmes conditions de travail, le taux de réussite en lecture au CP peut varier, selon la classe fréquentée, dans des proportions considérables.


Une communication de la Commission au Conseil et au Parlement le rappelle également : les facteurs qui revêtent le plus d’importance pour l’efficacité et l’équité d’un système éducatif sont la qualité, l’expérience et la motivation des enseignants, ainsi que les types de pédagogie qu’ils appliquent.


Bruno Racine

Propos recueillis par François Jarraud


Liens :

Le rapport du HCE

http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/21/60.pdf

Le HCE veut un collège du socle commun

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/1[...]

Le rapport du HCE ouvre le débat sur le collège

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/1[...]

Collège : Jean-Paul Delahaye entre dans le débat

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/1[...]



Le collège unique, pour quoi faire ? Entretien avec Jean-Paul Delahaye


"Ce qui fait problème au collège, c’est qu’on a trop souvent confondu " unique " et "uniforme". Premier outil de la démocratisation de l'enseignement, le collège unique semble définitivement condamné. Dans cet article paru en janvier 2007, Jean-Paul Delahaye nous rappelle les enjeux d'une école moyenne ouverte à tous et montre des pistes pour sa réussite.


delahaye.jpgUn élément important de la morosité ambiante à l'intérieur du système éducatif, c'est le sentiment que tout a été essayé pour assurer la démocratisation scolaire et que tout a échoué. Partant de là beaucoup pensent qu'il faut soit revenir aux vieilles recettes, soit désinvestir l'Ecole de sa mission et la confier à d'autres (le patronat, l'armée, Internet même...), soit perdre de vue l'objectif de scolarisation et éjecter précocement les enfants de pauvres de l'Ecole. Dans ce brouillard votre livre apporte un éclairage intéressant. Vous dites qu'il faut revenir au collège unique. Pourquoi ?


JP D.- Je ne dis pas les choses comme cela car, malgré toutes les difficultés rencontrées, le collège a globalement atteint les objectifs qui lui étaient fixés. Les enseignants de collège, les pionniers de 1975 comme les professeurs qui leur ont succédé, ont permis à un nombre sans cesse plus important d’élèves d’acquérir les connaissances et les compétences attendues dans le tronc commun de formation, alors même que les moyens étaient comptés au collège et que le contexte social dégradé rendait de plus en plus difficile l’action pédagogique en direction d’adolescents à l’hétérogénéité croissante.. Tout n’a donc pas échoué et mon livre est d’abord un hommage rendu à tous les personnels d’enseignement, d’éducation et de direction qui travaillent quotidiennement dans les collèges. Ce que j’essaye de montrer dans ce qui est d’abord un essai historique sur le collège unique depuis sa fondation en 1975, c’est qu’à côté de ce collège dont notre pays n’a pas à rougir, il apparaît aussi un collège qui ne parvient plus à réduire de façon significative le nombre des élèves en grande difficulté, élèves issus massivement du peuple, ceux que vous appelez à juste titre les enfants de pauvres. Le retour sur trente ans de politiques scolaires concernant le collège montre qu’on ne pourra pas dire que le collège unique a échoué tant que sa construction ne sera pas achevée. Mais on ne pourra pas achever cette construction tant qu’on considérera le collège comme la propédeutique du seul lycée d’enseignement général et non comme un niveau d’enseignement ayant sa personnalité propre au sein de la scolarité obligatoire. D’une certaine manière, il est quasi miraculeux que l’Education nationale et ses enseignants soient parvenus à intégrer dans ce « petit lycée » une proportion aussi importante de collégiens. Mais, pour 15 à 20 % des élèves, le système atteint ses limites.



Pourtant le collège unique semble totalement rejeté aussi bien du ministère (par exemple avec l'apprentissage junior) que de nombreux professeurs, sans parler des parents qui votent avec leurs pieds. Comment expliquer ce rejet ? En quoi ont-ils tort ?


JP D- Depuis trente ans, il y a beaucoup plus de continuité que de rupture dans les politiques ministérielles pour mettre en place des formules permettant de diversifier les parcours afin de rendre le collège plus efficace. Chaque période apporte sa contribution, notamment en matière d’alternance qui n’a jamais cessé de faire partie des possibilités offertes aux élèves des collèges. Ce travail d’ajustement permanent est une œuvre de longue haleine qui a obtenu des résultats, mais on peut comprendre ce que ressentent les enseignants qui travaillent dans des endroits particulièrement difficiles.


Il me semble qu’il y un point qui est difficilement contestable, en tout cas tant que notre République fonctionnera avec les valeurs qui sont les siennes aujourd’hui : on ne construit pas une société de citoyens libres, égaux et fraternels en séparant les enfants et adolescents dès le milieu de la scolarité obligatoire dans des filières précocement distinctes, étanches et socialement marquées. Si on refuse l’hétérogénéité au collège, on ne peut pas ensuite se plaindre de la montée du communautarisme et du creusement de la fracture sociale. Ce qui fait problème au collège, c’est qu’on a trop souvent confondu « unique » et « uniforme ». Hétérogénéité et uniformité sont incompatibles, et c’est leur télescopage qui n’est plus supporté à juste titre par les enseignants et les parents. Rassembler au même endroit tous les jeunes adolescents dans des classes hétérogènes n’est possible que si l’on met en place de façon réaliste, comme l’avaient d’ailleurs imaginé les fondateurs de 1975, dans le prolongement du projet de Jean Zay et du Plan Langevin-Wallon, un tronc commun et non un collège unique uniforme. L’idée de tronc commun suppose une base et donc une culture commune suffisamment large et solide (c’est l’idée de socle commun) pour construire une société dans laquelle on puisse s’épanouir et vivre ensemble, mais elle inclut aussi l’idée de branches multiples et diversifiées se nourrissant de ce tronc commun et proposant, à partir de celui-ci, des parcours différenciés d’égale dignité à des élèves différents.


Qu'est-ce qui a manqué au collège unique pour réussir ?


En fait, en trente ans de politiques scolaires concernant le collège unique, beaucoup d’aménagements, parfois de transformations plus radicales ont été régulièrement proposées pour améliorer de fonctionnement du collège unique. Je rappelle que quatre importantes consultations nationales ont produit des rapports assortis de propositions. On ne peut donc pas dire que le fonctionnement du collège n’a pas été étudié : il y a le rapport de Louis Legrand en 1982, le livre blanc des collèges d’Alain Bouchez en 1994, le rapport de François Dubet et de son équipe en 1999 et celui de Philippe Joutard en 2001, sans oublier bien sûr, même si cela ne concernait pas seulement le collège, le débat national sur l’école conduit en 2003-2004 par Claude Thélot. Tous ces travaux, tant dans leurs analyses que dans leurs propositions, j’en cite de larges extraits dans mon étude, peuvent être encore très utiles aujourd’hui.


Je crois que le diagnostic a été bien posé dès Alain Savary dans sa déclaration sur les collèges le 1er février 1983 : la France, disait-il alors, « n’a pas encore réussi à faire la synthèse de ce que furent les cours complémentaires et le primaire supérieur, d’une part, et le premier cycle des lycées, de l’autre ». Parce que l’on a choisi le « secondaire inférieur », le premier cycle des lycées donc, et non une voie intermédiaire entre l’école primaire et le lycée comme matrice pour le collège unique, les élèves qui ne se destinent pas à l’enseignement général du lycée sont devenus, à des degrés divers, des élèves en difficulté « à orienter ». En prenant cette option, on a ainsi gommé tout ce qui pouvait ressembler à la mise en place d’un tronc commun portant en germe toutes les diversifications à venir pour maintenir, coûte que coûte, l’hégémonie du seul enseignement général de disciplines préparant à des études longues. Les obstacles rencontrés depuis 1975 pour élaborer un socle commun ou encore l’histoire de la disparition de l’enseignement technique dans le tronc commun du collège, car de fait considéré comme inutile pour les futurs bacheliers de l’enseignement général, sont à cet égard exemplaire. Ne retenir dans le tronc commun du collège que les contenus disciplinaires qui préparent à l’enseignement général des lycées, ce n’est pas construire l’école moyenne pour tous mais c’est faire comprendre à une partie des élèves que le collège qui les accueille n’a pas été pensé pour eux.


Il faut ajouter à cela le fait que, trop longtemps sans horaire stabilisé et gagé sur des moyens pérennes, et sans formation des enseignants à la pratique pédagogique différenciée et en groupes variables, l’aide aux élèves en difficulté (notamment l’aide au travail personnel) n’a pu avoir de réelle efficacité. On ne va pas ou on ne peut pas aller jusqu’au bout de la logique qui préside à l’émergence des solutions – le plus souvent pertinentes - proposées pour les élèves en difficulté. C’est aussi la question du pilotage des réformes qui est ici clairement posée.


Il faudrait revisiter ces éléments fondamentaux pour achever la construction du collège unique : la question des objectifs du collège (le collège unique pour quoi faire ?), et donc celle des enseignements et de la pédagogie. On a donc, pour toutes ces raisons, beaucoup plus une impression d’un collège inachevé que d’un collège en échec.



Peut-on empêcher les collèges, et particulièrement ceux qui ont encore une certaine mixité sociale, de construire des filières internes de bonnes classes ? Finalement l'Ecole n'a t'elle pas toujours séparé les enfants des pauvres de ceux des riches ?


Devant les difficultés réelles et importantes rencontrées dans un collège resté trop uniforme, certains établissements mettent effectivement en place, pour garder une certaine mixité sociale, des modalités de scolarité qui ressemblent à des filières. On peut renvoyer ici notamment aux travaux d’Agnès van Zanten sur la « colonisation » de certains établissements par les classes moyennes. D’une certaine manière, faute de pouvoir mettre en place pour les raisons que j’ai indiquées un véritable tronc commun articulé avec des branches, certains collèges peuvent avoir privilégié les branches, c’est-à-dire quelque chose qui s’apparente effectivement à des filières. Mais il est un peu facile de stigmatiser les équipes qui agissent ainsi, souvent dans un contexte de ghettoïsation qui dépasse d’ailleurs la seule école, car elle n’ont pas véritablement le choix ou alors le « choix » entre des solutions toutes non satisfaisantes tant que l’on aura pas remis de l’égalité (de l’excellence partout) dans l’offre scolaire : garder une forme de mixité sociale dans l’établissement pour tirer celui-ci vers le haut mais au prix d’une moindre hétérogénéité dans certaines classes ou garder une hétérogénéité totale dans les classes, mais en courant le risque de faire fuir les élèves qui le peuvent et donc d’homogénéiser et de ghettoïser tout l’établissement. Les donneurs de leçons sont invités à proposer leurs solutions !



Le collège unique était lié aux Pegc, ce corps de professeurs souvent issus de l'enseignement primaire. Faut-il revenir à un corps similaire ? Quelles solutions peut-on aujourd'hui proposer pour construire un collège qui fasse réussir tous les élèves ?


Vous posez en fait la question de savoir si les enseignants de collège sont aujourd’hui préparés à enseigner au collège et, particulièrement, aux collégiens en difficulté. Il faut ici rappeler que, dès l’origine, en 1975, on a en effet compté sur les enseignants spécialisés de l’ancienne voie 3 et sur les PEGC de l’ancienne voie 2, pour réussir l’amalgame de publics scolaires autrefois séparés. La circulaire de 1979 précise par exemple qu’il est nécessaire de préserver un équilibre entre ces enseignants et les professeurs certifiés pour « parfaire le collège unique ». C’est en 1987 qu’il est décidé et en 1988 qu’il est mis en œuvre une unification du corps enseignant en collège et un alignement sur les compétences de type lycée.


Ce qui pose problème, ce n’est pas tant la disparition des PEGC que l’insuffisante préparation des professeurs à mener à bien par exemple des actions de remédiation en direction d’élèves en grande difficulté. S’il faut un haut niveau d’exigence scientifique pour tous les professeurs, tout le monde peut comprendre que ce n’est pas la même chose d’enseigner les mathématiques en terminale S et dans une classe de sixième qui accueille quelques élèves ayant des difficultés lourdes en lecture et dans les apprentissages de base en mathématiques.

On peut aussi comprendre, qu’au début du collège, un nombre d’enseignants trop important n’est sans doute pas la meilleure manière d’organiser la transition avec l’école primaire.



La question du collège unique est liée à celle des missions des enseignants, des programmes, du pilotage du système éducatif, des méthodes pédagogiques. Peut-on vraiment faire bouger tout cela dans le contexte actuel ? Est-ce possible ?


Comme on peut déjà le voir, l’école sera un thème central des prochaines échéances. Formons le vœu que toutes ces questions soient effectivement débattues, mais le collège unique sera immanquablement au cœur des réflexions.



Quelle pourrait être la première mesure à conseiller au nouveau ministre qui arrivera en mai 2007 ?


Il ne s’agit pas d’une mesure mais d’une orientation de caractère politique car la question du collège est une question éminemment politique. L’école moyenne est une étape essentielle dans la construction de notre société républicaine. Sa mission est de préparer des parcours d’égale dignité à partir d’une base commune à tous les citoyens, non de figer précocement des destins individuels socialement marqués. Comme alternative à l’uniformité qui conduit de fait à la ségrégation, il y a l’organisation de la diversification pédagogique. Cette tâche est longue et difficile. Alain Savary disait que c’est « une œuvre de plusieurs générations ». Sans cette réflexion politique de fond, les « mesures » prises risquent de ne pas avoir toute l’efficacité escomptée. Comme a pu l’écrire en 1994 Alain Bouchez, « si le collège se fixe pour mission de préparer au lycée, si le baccalauréat est l’unique critère de réussite ou le seul viatique admissible, si la société peut se satisfaire des laissées-pour-compte qui n’atteindront jamais ce niveau et assumer sans état d’âme cette exclusion, il conviendra de ne changer que peu de choses aux pratiques du collège : quelques allégements d’effectifs réclamés, quelques heures d’aide et de soutien, mettre en place des structures précoces d’évitement scolaire ne manqueront pas de donner satisfaction ».


Jean-Paul Delahaye


Entretien : François Jarraud



delahaye.jpgDernier ouvrage de J.-P. Delahaye :

Le collège unique, pour quoi faire ?, Les élèves en difficulté au cœur de la question, Pars, Retz, 2006, 158 p.


Présentation :

http://www.inrp.fr/vst/Ouvrages/DetailPublication.php?id=324 


Sur le collège unique:

Collectif pour le collège unique - Conférence du 4/6/2003
http://www.cafepedagogique.net/divers/collectif/



Sur le site du Café

Par fjarraud , le mercredi 31 août 2011.

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